Les procréations médicalement assistées demandées par des couples âgés « ne doivent-elles pas être découragées » ?

Publié le 28 Août, 2017

« Les techniques d’AMP, aussi performantes qu’elles soient, ne peuvent tout résoudre et notamment faire remonter le temps biologique ». Une délibération du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine évalue les risques des Procréations Médicalement Assistées (PMA) tardives avec ou sans donneur. Un texte surprenant et, par de nombreux aspects, bienvenu.

Peu probable hasard de calendrier ou conséquence d’évènements récents (cf. L’ABM contrainte d’autoriser la PMA pour un homme de 69 ans), le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine a publié en juillet un document concernant « l’âge de procréer » pour les couples qui souhaitent engager une procédure de PMA.

Faut-il imposer une limite d’âge à la procréation médicalement assistée ?

En effet, la procréation médicalement assistée « rend plus aiguë la question de l’âge » parce qu’elle met à disposition des couples des techniques et des alternatives, jusqu’au don de gamètes, qui permettent de devenir parents alors même que les fonctions naturelles ne sont plus en capacité d’engendrer. Et si « le législateur a fait le choix d’imposer une condition relative à l’âge de procréer dans le cadre de l’AMP »[1], la question se pose d’en établir une limite. Un exercice difficile, selon l’Agence, qui se situe à la croisée d’une « logique sociale et existentielle », celle de « l’autonomie des parents et leur liberté », et d’une « logique médicale », qui doit définir un « cadre de discussion avec les couples demandeurs », et qui « cristallise » les tensions.

Dans ce processus, l’ABM souligne l’importance de définir ces limites pour l’enfant, « le tiers acteur » de la PMA : « La décision de procréer, de faire naître artificiellement ou d’adopter un enfant, n’est pas de celles qui concernent uniquement ma liberté subjective, mon autonomie, voire mon intimité, mais à l’inverse, de celles qui m’obligent à me demander ce que je dois à l’autre. Du moins si la question éthique est posée, et si l’enfant n’est pas considéré comme un simple objet de désir »[2]. Mais le bien de l’enfant érigé bien haut dans l’échelle des valeurs apparaît comme un talisman illusoire : un « standard souple » comme le qualifie le document… Les atermoiements du texte pour justifier de l’opportunité d’une norme en matière d’accès au parcours de PMA sont, de ce point de vue, exemplaires : « L’autonomie des parents et leur liberté dans le processus de décision doivent être reconnus, mais sont d’autant mieux respectés que la médecine assume en son nom propre la définition de limites ».

Aujourd’hui, le report de la maternité apparaît comme une cause majeure de stérilité des couples et, pour ces derniers, le rapport met en garde contre « le risque de se retrouver devant une infertilité liée à l’âge ». Une modélisation publiée par l’Ined[3] montre qu’à l’âge de 25 ans le report de la grossesse de 30 mois diminue le nombre moyen d’enfants et augmente la proportion de couples restant involontairement sans enfant de 9,8% à 12,8%, le recours à une AMP ne corrigeant que très faiblement cette réduction.

Femmes, hommes, enfants, tous concernés par les risques de l’âge

Dans la pratique, les professionnels limitent l’accès à la PMA pour les femmes à 43 ans. Une limite qui s’impose de facto, l’assurance maladie ne prenant plus en charge les FIV au-delà du 43e anniversaire. Pour les hommes, le consensus médical l’établit à 60 ans.

La déclaration du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine poursuit son argumentaire en mettant en évidence les risques encourus pour chaque partenaire engagé dans un parcours de PMA : la femme, l’homme, mais aussi pour l’enfant à naître.

Chez la femme, une étude menée à la maternité de Port Royal à Paris[4] conclut que « le cumul de l’âge, d’une FIV et d’une grossesse multiple constitue une très mauvaise combinaison ». « Le pourcentage de nouveau-nés ayant une complication est de 30,7% dans le groupe des femmes de plus de 50 ans et de 14,3% pour des femmes âgées de 45-49 ans. » Un chiffre déjà élevé par rapport aux taux habituels en obstétrique. Par ailleurs, si le don d’ovocytes permet de s’affranchir de l’âge de ses propres gamètes, il n’évite pas l’âge de la femme qui demeure exposée à un risque supérieur de mortalité et de morbidité. Le taux de fausses couches augmentent ; le nombre d’enfants obtenus reste faible, même quand les ovocytes utilisés sont ceux de femmes encore jeunes.

Du côté de l’homme, un lien a été établit « depuis longtemps » mentionne le document, entre certaines maladies rares chez l’enfant et l’âge du père : des pourcentages supérieurs d’enfants atteints d’autisme (le risque est multiplié par 6 si le père a plus de 50 ans), de schizophrénie (multiplié par 3 si l’homme a plus de 50 ans par rapport aux pères de moins de 25 ans) et de troubles bipolaires (25 fois plus pour un père de plus de 45 ans comparé à un père de 20-24 ans). Par ailleurs, la quantité de sperme et sa qualité décroissent avec l’âge. En 2010, une étude mettait en évidence « une relation entre l’âge du père et les complications de la grossesse comme les fausses couches, la pré-éclampsie, les pathologies du placenta, la prématurité et le recours à la césarienne ».

Concernant l’enfant, le document évoque deux grands écueils :

  • « Les hommes peuvent procréer à un âge où ils sont déjà grands-pères et ne jamais devenir grands-pères des enfants de leurs derniers enfants ». Et le Conseil s’interroge : « Comment peut s’inscrire dans l’ordre de la filiation et dans l’ordre du groupe social l’enfant conçu par un homme qui est déjà socialement et psychologiquement grand-père ? »
  • La parentalité tardive « expose à un risque accru de devoir aider ses parents avant d’avoir atteint l’âge adulte » et « peut réduire les chances que les deux parents survivent jusqu’à ce que leur enfant ait atteint l’âge adulte ». Les études montrent que « si l’enfant a été conçu à l’âge de 45 ans, 5,5 % des femmes et 12,1 % des hommes seront décédés avant que l’enfant soit âgé de 18 ans ».

Face à l’infertilité, la technique est loin d’être toute puissante

Des arguments qui ne doivent pas manquer de faire réfléchir : l’âge est bien un facteur de risque pour la santé de la mère ou celle de l’enfant à naître. Il est décuplé, 1,6 fois plus important, quand la grossesse est obtenue par FIV. Aussi avant de se prononcer sur l’opportunité de fixer une limite à l’âge de la procréation, le document interroge : « Compte tenu des points négatifs, ces procréations ne doivent-elles pas être découragées » ? Chez l’homme, « l’augmentation des anomalies chez l’enfant et le futur adulte liés à ‘l’âge du gamète’ pose la question de l’innocuité de l’action médicale. (…) Avoir un enfant à 70 ans et plus est techniquement possible mais est-ce raisonnable ? ». Aussi mentionnée, la conservation des gamètes avant traitements à risque pour préserver la fertilité. Ces actes médicaux devraient être astreints, précise le document, aux mêmes normes que celles de la PMA elle-même.

Alors que la PMA se banalise et que d’aucun souhaite l’ouvrir aux femmes seules et aux partenaires homosexuelles, que le coût de cette pratique, prise en charge par la sécurité sociale[5], atteindrait en France les 200 millions euros par an[6], le Conseil d’orientation de l’Agence rappelle « que la situation la moins à risque est la procréation à un âge jeune »… et que la procréation « à un âge avancé » demande « une médicalisation quelque peu artificielle de la procréation ». Il met en garde contre « l’attrait magique que les techniques d’AMP suscitent dans le public mais également chez certains médecins », et invitent les pouvoirs publics à « mettre en place les conditions pour que les couples jeunes puissent procréer tout en poursuivant leur projet de vie », estimant qu’il s’agit « d’un vrai choix de société ». Enfin il interroge : « L’irruption de ces techniques bouleverse-t-elle la sagesse des couples et celles des équipes médicales ? ». Des questions pertinentes émanant d’un tel organisme.

En conclusion, le Conseil d’orientation s’accorde sur l’importance de mettre des limites d’âge claires pour encadrer l’accès à la procréation médicalement assistée. Confirmant la pratique, cet âge pourrait être fixé, avec ou sans donneur, à 43 ans pour les femmes[7] et 60 ans pour les hommes. Une position de bon sens qui n’a pas manqué de faire couler l’encre alors qu’il s’agit d’une position a minima[8] compte tenu de l’argumentaire avancé, la PMA soulevant de surcroit de nombreuses questions éthiques. Il est étonnant de constater qu’énoncer une limite suppose immédiatement un cortège de précautions. Comme si les limites devaient forcément être une entrave à la liberté, à l’autonomie, qu’elles contrevenaient au choix et au désir des personnes, alors qu’elles permettent de rapprocher de la réalité biologique une pratique qui manipule le vivant pour ouvrir un chemin d’humanité un peu plus cohérent. On en vient presque à regretter que la délibération n’engage pas l’Agence de la biomédecine, le Conseil d’Orientation n’ayant qu’un rôle de Conseil. Elle risque cependant de s’inviter dans le débat, lors de la révision des lois de bioéthique annoncées pour 2018.

 

Pour aller plus loin : L’Agence de Biomédecine publie son rapport annuel  (inclut « le rapport de l’ABM en quelques chiffres »).

 

[1] Une des conditions légales du recours à la PMA est que « l’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune », sans précision supplémentaire concernant « l’âge de procréer ».

[2] Sylviane Agacinski, p. 4 de la déclaration.

[4] L’étude a comparé 361 femmes âgés de 25-35 ans à 361 femmes âgées de plus de 42 ans (âge moyen 44,6 ± 2.0).

[5] La prise en charge par la sécurité sociale est de 100% dans la limite de 6 tentatives d’inséminations et de 4 tentatives de FIV pour l’obtention d’une naissance et sous réserve que ‘âge de la femme ne dépasse pas 43 ans. Par ailleurs, la « loi de modernisation de notre système de santé » adoptée le 26 janvier 2016 a modifié le code du travail pour prévoir un régime d’autorisation d’absence destiné aux femmes future mère et aux hommes futur père engagés dans un parcours de PMA : les autorisations d’absence accordées sont payées par l’employeur. Les temps d’absence sont assimilés à du temps de travail effectif.

[6] Délibération du 8 juin 2017 concernant les réflexions sur l’âge de procréer en assistance médicale à la procréation, p.19 : « Le coût de l’assistance médicale à la procréation pour l’assurance maladie en France peut être évalué à environ 200 millions d’euros par an ».

[7] Avec une discussion au cas par cas entre 43 et 45 ans.

[8] Délibération du 8 juin 2017 concernant les réflexions sur l’âge de procréer en assistance médicale à la procréation, p.8 : « En 2016, une enquête a été réalisée auprès de 244 professionnels, cliniciens ou biologistes, pratiquant l’AMP. Pour 85,2% des répondants, un homme en âge de procréer moins de 60 ans. 78,3% des biologistes et 91,5% des gynécologues interrogés souhaitent une limite fixée par la loi à 60 ans. Une deuxième enquête a été effectuée auprès de gynécologues et gynécologues-obstétriciens ne pratiquant pas l’AMP. Pour ces derniers, une courte majorité est en faveur d’une limite plus précoce chez l’homme, à 55 ans ».

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