Réactions et ouverture d’enquête après l’annonce de la naissance de deux bébés génétiquement modifiés

Publié le 27 Nov, 2018

L’annonce hier de la naissance de jumelles dont le génome aurait été modifié (cf. Chine : naissance de deux bébés génétiquement modifiés) a suscité les réactions indignées de la communauté scientifique. En effet, comme l’explique le médecin et journaliste Jean-Yves Nau : « Il ne s’agit pas ici, comme il y a un an, d’une réédition du génome d’embryons humains surnuméraires destinés à être détruits – mais bien d’une modification délibérée du génome d’embryons conçus in vitro puis implantés in utero dans le but de les faire naître porteurs d’une mutation transmissible à leur descendance ».

 

Même si des doutes s’expriment déjà quant à la réalité de ces expériences : le chercheur He Jiankui, qui dirige un laboratoire à Shenzhen (sud), a diffusé l’annonce de l’expérience sur Youtube. Le travail, qui n’a été publié dans aucune revue, il n’a donc pas pu être attesté par des paires, indépendamment de ses dires, ce qui inquiète, « c’est que cette annonce est loin d’être absurde. Et même si He Jiankui se révèle un affabulateur, bien des spécialistes s’attendent à ce que l’expérience soit tentée un jour ou l’autre, et particulièrement en Chine, où les règles éthiques sont bien moins contraignantes ».

 

Des réactions jusqu’en Chine où une enquête devrait être ouverte

 

En Chine, l’annonce de l’implantation d’embryons génétiquement modifiés, réalisée en dépit des « règles éthiques pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines », publiées en 2003 par les ministères des Sciences, Technologies et de la Santé : l’article 3.9 interdit en théorie la réimplantation d’un embryon génétiquement modifié dans un but reproductif, a suscité de nombreuses réactions.

 

Celle de la Southern University of Science and Technology qui se dit « la première surprise »,  et « profondément choquée ». Elle précise que les expériences ont été conduites hors du campus. Pour l’université, l’utilisation de CRISPR pour modifier des embryons humains « constitue une violation sérieuse de l’éthique académique et des codes de conduite ». Elle rappelle que toutes les recherches conduites en son sein doivent respecter des règles d’éthique internationales et demande l’enquête d’une  commission indépendante pour ce qu’elle qualifie d’« incident ». La Commission nationale de la santé chinoise, qui explique « attacher une grande importance » à l’affaire, a demandé aux autorités sanitaires de la province du Guangdong « d’ouvrir immédiatement une enquête minutieuse afin d’établir les faits ». Beaucoup d’interrogations tournent autour des autorisations : il n’aurait « déclaré officiellement ses travaux que très tardivement, le 8 novembre seulement », selon le registre chinois des essais cliniques. « Qu’en est-il du consentement éclairé des parents sollicités ? » Les formulaires évoquent le « développement d’un vaccin contre le sida », ce qui est assez éloigné de la procédure proposée. 

 

Par ailleurs, « plus d’une centaine de scientifiques chinois de haut rang, dans une lettre ouverte mise en ligne sur le réseau social Weibo, s’insurgent contre ce qu’ils qualifient d’expérience ‘folle’ ». Si celle-ci était « scientifiquement possible, les scientifiques et les experts médicaux ont choisi de ne pas l’utiliser sur des êtres humains à cause des incertitudes, des risques, et, plus important, des problèmes éthiques qui s’ensuivent », écrivent-ils.

 

Ces scientifiques redoutent le coup ainsi porté à la réputation de la science chinoise. « La boîte de Pandore a été ouverte », estiment-ils. « Nous devons la refermer avant de perdre notre dernière chance. En tant que chercheurs biomédicaux, nous nous opposons fermement et condamnons toute tentative d’éditer des gènes d’embryons humains sans examen sur l’éthique et la sécurité ! ».

 

Dans le reste du monde, des chercheurs qui s’interrogent

 

Co-découvreuse de CRISPR-Cas9, Jennifer Doudna (UC Berkeley) considère que si l’annonce était confirmée, que cela « renforcerait le besoin urgent de confiner l’utilisation des éditions des gènes sur les embryons humains à des dispositifs où un besoin médical non satisfait existe, et où aucune autre approche médicale ne constitue une option viable, ainsi que le recommande l’Académie des sciences américaine ». Tandis que Feng Zhang, membre du Broad Institute du MIT et d’Harvard et un des co-inventeurs de la technique de modification du génome CRISPR-Cas9, déclare être « favorable à un moratoire sur l’implantation d’embryons modifiés ». « Profondément préoccupé », il a également estimé que les risques de l’expérimentation surpassent les bénéfices.

 

Un autre chercheur, Gaétan Burgio, de l’Australian National University (Canberra), utilisateur au quotidien de CRISPR, se dit « mal à l’aise » pour commenter cette annonce, faute d’éléments tangibles disponibles. « Mais si c’est vrai, cela fait un peu peur. » Dans l’ensemble, il juge qu’ « on va trop vite avec CRISPR, y compris sur les essais cliniques sur les adultes », dont près d’une vingtaine ont été enregistrés à ce jour. Pourtant, « ces tests menés sur des adultes sont très différents de l’annonce chinoise. Ils n’entraînent aucune modification transmissible des gènes d’un individu. Les modifications des gènes réalisées par CRISPR ne concernent dans ces cas que quelques cellules d’un organe bien précis, et pas toutes les cellules de l’organisme. Et surtout, les cellules germinales, qui forment les spermatozoïdes et les ovules, ne sont pas altérées ».

Le Figaro, Cyrille Vanlerberghe (26/11/2018) ; Le Monde, Hervé Morin (26/11/2018) ; La Vie, Sixtine Chartier (26/11/2018) ; Jean-Yves Nau (26/11/2018), AP (26/11/2018)

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