Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier »

8 Avr, 2024

Le 6 avril, dans un entretien au journal le Monde, Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, a annoncé le contenu du plan décennal sur les soins palliatifs, et son financement. Il sera officiellement présenté ce lundi à l’occasion d’une visite à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif.

Afin d’aboutir à la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie (cf. Fin de vie : légaliser l’euthanasie n’est « pas un progrès, mais un catafalque social »), le Gouvernement affirme vouloir proposer une politique « ambitieuse » pour garantir l’accès aux soins palliatifs. « Quand quelqu’un pensera remplir les critères pour demander potentiellement une aide à mourir, la première chose qu’on va lui proposer, ce sont des soins palliatifs » promet la ministre.

Avec ce plan, l’Exécutif espère contrer les oppositions au projet de loi sur la fin de vie, qui sera présenté mercredi 10 avril au prochain conseil des ministres (cf. Fin de vie : le débat va « fracturer les différents groupes politiques de l’intérieur, en plus de fracturer le société »). D’ici là, le Gouvernement va examiner l’avis rendu par le Conseil d’Etat (cf. « Aide à mourir » : première étape pour le projet de loi, le Conseil d’Etat), qui a demandé à ce que certains points concernant « l’aide à mourir » soient détaillés.

Mais encore faut-il pour cela que les soins palliatifs soient accessibles, comme le reconnait elle-même la ministre. Le risque est grand. A défaut de places suffisantes, des patients pourraient être poussés à avoir recours à l’euthanasie ou au suicide assisté, et la liberté de choix revendiquée par certains disparaitrait (cf. Fin de vie : « créer les conditions de la liberté, c’est apporter une bonne prise en charge des patients »).

« Seuls 30 % des mineurs et 50 % des adultes qui en ont besoin y ont accès »

Pour établir le plan décennal, le Gouvernement s’est appuyé sur le rapport du professeur Franck Chauvin (cf. Soins palliatifs : la promesse d’« une petite révolution », mais pas de moyens), dont presque toutes les propositions ont été reprises. L’objectif affiché est « d’assurer l’accès de tous, y compris des enfants, aux soins palliatifs » (cf. Fin de vie : « Les soins palliatifs pour les enfants sont souvent occultés »).

« On a besoin d’aller plus loin dans la prise en charge de la douleur dans sa globalité et pour tous les publics » admet Catherine Vautrin qui reconnait que « nous sommes aujourd’hui dans la moyenne basse des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques pour la prise en charge palliative. Seuls 30 % des mineurs et 50 % des adultes qui en ont besoin y ont accès » (cf. « L’enjeu n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement »).

« Notre stratégie est de donner une impulsion forte dès les trois prochaines années » promet donc la ministre. Mais l’effort annoncé sera-t-il enfin réel ? Il semble difficile d’y croire alors que la loi garantit un droit d’accès aux soins palliatifs depuis 1999, et que pas moins de cinq plans se sont succédés jusque-là sans véritable effet (cf. Des soins palliatifs en crise, et les belles promesses de l’Exécutif).

« Sur sept ans de mandat d’Emmanuel Macron, cela fait six ans que l’Etat n’investit pas, et il faudrait célébrer des promesses pour les dix ans qui viennent ? » s’indigne ainsi Erwan le Morhedec sur X (cf. Fin de vie : Les soins palliatifs, « parent pauvre de la médecine »). « Il attend la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie pour faire des promesses » poursuit l’avocat et essayiste, « il faudrait être naïf pour s’y fier ».

220 lits supplémentaires dans les USP

Alors qu’il y avait 55 000 places d’hospitalisation à domicile en 2021, le Gouvernement en promet 70 000 en 2024. 220 lits supplémentaires devraient en outre être créés dans les unités de soins palliatifs des départements qui n’en ont pas et, dès 2024, des USP devraient ouvrir dans 9 départements, dont le Cher, l’Orne, le Lot, ou la Guyane. « Il restera une dizaine de départements pour lesquels la situation est plus compliquée » reconnait toutefois la ministre qui ajoute néanmoins : « notre objectif, c’est d’y parvenir en 2025 pour que tous les départements disposent d’une unité de soins palliatifs ». Les équipes mobiles de soins palliatifs devraient, quant à elles, passer de 412 à 427, d’ici à 2025.

Ces engagements semblent bien loin de pouvoir correspondre au nombre de personnes en attente de soins palliatifs. D’autant que les besoins vont en augmentant. « Le nombre de patients qui nécessiteront des soins palliatifs va croître de 16 % en dix ans » indique ainsi elle-même la ministre.

En outre, n’est-ce pas là des vœux pieux, quand on sait le manque de moyens humains du secteur ? N’oublions pas que récemment des unités de soins palliatifs, comme celle d’Houdan dans les Yvelines, ont dû fermer faute de personnels (cf. « On ne peut pas développer tout un discours sur les soins palliatifs et fermer une unité »).

« On sera très vigilants sur l’inscription concrète des crédits »

Catherine Vautrin a confirmé que le Gouvernement prévoit d’allouer 1,1 milliard de plus en dix ans aux soins palliatifs. « En 2034, on aura 2,7 milliards d’euros consacrés aux soins d’accompagnement » indique ainsi la ministre qui précise que les nouvelles mesures seront financées « à hauteur de 100 millions d’euros en moyenne chaque année sur l’ensemble de la décennie ». La ministre admet toutefois que « dix ans, c’est long ».

Même si le chiffre peut impressionner, en tenant compte de l’inflation, ces montants paraissent bien dérisoires par rapport aux efforts restant à faire pour couvrir les besoins des Français, qui vont augmenter avec le vieillissement de la population, comme l’indique la ministre qui relève que « nous allons augmenter les dépenses de 66 % » (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une voie pavée de tromperies »).

Claire Fourcade, présidente de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP) reconnait toutefois qu’il y a du positif dans ces annonces[1]. « C’est une victoire d’abord pour tous les Français qui ont besoin d’être accompagnés ou qui ont des proches qui ont besoin de l’être » admet-elle (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »). « C’est une première marche annoncée » poursuit-elle, tout en restant prudente sur l’engagement du plan et son application. « On va se battre pour rendre effectif cet engagement » prévient-elle (cf. Plan décennal pour les soins palliatifs : encore des promesses ?). « C’est dans la loi de financement de la sécurité sociale que doivent s’inscrire ces mesures, on espère qu’elles vont s’inscrire de manière pluriannuelle dans la durée, parce que dix ans, c’est long et il peut se passer beaucoup de choses » souligne la médecin. « On sera très vigilants sur l’inscription concrète des crédits dans le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, car la version 2024 ne contenait pas une ligne sur les soins palliatifs » rappelle-t-elle[2].

Former les médecins

Alors que le manque de personnel spécialisé est l’un des obstacles au développement des soins palliatifs, le Gouvernement propose de créer une spécialité « médecine palliative et d’accompagnement » (cf. Soins palliatifs : la Cour des comptes présente son rapport).

La ministre précise que l’objectif est de créer chaque année dix postes de chef de clinique durant la stratégie décennale, et dix postes d’universitaires titulaires à compter de 2025. Un premier professeur des universités devrait être nommé à Tours cette année ajoute Catherine Vautrin. Mais ces nominations relèvent-elles réellement de son ministère ? interroge Erwan le Morhedec sur X. Quoi qu’il en soit, cela prendra des années avant que des médecins spécialisés ne soient formés.

Actuellement, 30 % des postes (médecins, infirmières…) qui devraient être pourvus dans les structures de soins palliatifs ne le sont pas. Claire Fourcade souligne que le manque de moyens humains est « une source d’inquiétude majeure ». Dans certains départements censés ouvrir des USP en 2024, « il n’y a aujourd’hui personne pour le faire » s’inquiète-t-elle. « On a besoin de pouvoir proposer aux jeunes médecins un engagement dans la durée et une carrière, des postes hospitaliers » ajoute en outre la présidente de la SFAP qui souhaiterait que « tous les médecins qui sont confrontés à la question de la fin de vie » soient formés.

Afin d’intervenir « en complémentarité avec les équipes médicales », le Gouvernement annonce également la création d’une « réserve opérationnelle de l’accompagnement de la fin de vie » constituée de bénévoles. « L’objectif est de doubler, d’ici à dix ans, le nombre de bénévoles engagés dans l’accompagnement de la fin de vie » précise Catherine Vautrin. « On en compte aujourd’hui 6 000 ».

Changer les mots ?

Bien que la dissociation des questions de « l’aide à mourir » et des soins palliatifs ait été demandée (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés), le plan décennal sur les soins palliatifs figurera finalement, en partie, dans le projet de loi sur la fin de vie discuté à l’Assemblée Nationale dès le 27 mai.

Ainsi, le projet de loi définira ce que sont les « soins d’accompagnement », « qui visent à anticiper, à prévenir, à soulager les souffrances, à traiter la douleur aux différents stades de la maladie et à répondre aux besoins physiques, psychologiques et sociaux de la personne malade dès le diagnostic », et à soutenir son entourage.

Une définition très proche de ce qui se pratique déjà dans les services de soins palliatifs, mais aussi de celle de la loi de 1999. Pourquoi vouloir ainsi changer ce terme qui fait pourtant consensus au niveau international ? (cf. Euthanasie : la corruption des mots précèdera-t-elle la corruption des actes ?)

Afin de justifier le changement, la ministre explique que, selon elle, « les Français ne connaissent pas les soins palliatifs ». Elle ajoute qu’il s’agit avant tout « de préciser ce qu’il recouvre et d’inclure tous les professionnels de santé dans une démarche d’accompagnement palliatif ».

Le projet de loi définira également ce que seront les « maisons d’accompagnement », qui accueilleront des personnes, qui ne peuvent ou ne souhaitent plus vivre chez elles afin de leur prodiguer des soins palliatifs. Leur fonctionnement sera financé par la Sécurité Sociale.

Nous lancerons un « appel à manifestation d’intérêt » en 2024 indique la ministre. « On imagine en soutenir une dizaine en 2025 et en être à une vingtaine en 2026 ». En fonction de l’expérimentation qui aura lieu, Catherine Vautrin n’exclut pas que l’ « aide à mourir » puisse y être pratiquée. De quoi s’interroger sur l’avenir de ces maisons (cf. « Aide médicale à mourir » : aucune exemption pour une maison de soins palliatifs).

Nier la vocation des soignants

Alors que la ministre s’apprête à porter le projet de loi, elle considère que le texte « s’inscrit dans la suite assez logique de la loi Claeys-Leonetti, qui prévoit la possibilité de pratiquer une sédation profonde et continue jusqu’à la mort si le malade le demande ou si le médecin l’estime nécessaire ». « Avec l’aide à mourir, le décès se produira plus rapidement. C’est une des différences » précise-t-elle (cf. Fin de vie : « à vouloir légiférer de façon (pseudo) compassionnelle », on permet une « épouvantable aberration »).

S’il est vrai que la loi de 2016 a pris le risque d’ouvrir la voie à l’euthanasie en autorisant la sédation profonde et continue menant jusqu’au décès (cf. E.Hirsch, La mort par sédation ou le reniement de nos devoirs d’humanité), il n’en demeure pas moins que l’intention n’est pas la même. Comme l’a notamment rappelé la HAS, il s’agit ici de soulager les souffrances du patient, non de le tuer, même si la mort survient (cf. Sédation profonde et continue jusqu’au décès : La Haute autorité de santé recommande un changement de réglementation).

« Je comprends les inquiétudes des soignants. En revanche, je ne vois pas en quoi l’aide à mourir va avoir un impact négatif sur leur pratique » ose par ailleurs indiquer la ministre.

Les professionnels de santé sont pourtant là pour apporter du soin, et non pour donner la mort comme ils n’ont eu de cesse de le rappeler (cf. Fin de vie : « médecine de l’accompagnement » ou « médecine de la mort donnée » ?). Encore faut-il les écouter, et les consulter (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »). Selon Erwan le Morhedec, en près de trois mois, la ministre n’aurait pas trouvé le temps de rencontrer la SFAP, malgré les débats qui s’annoncent.

Accompagner la vie jusqu’à son terme est au cœur de la vocation des soignants, mais aussi de la médecine hippocratique. C’est là un élément qui fonde la confiance unissant le médecin à son patient (cf. Euthanasie ou suicide assisté : « une brèche dans un rempart de sagesse »). Comme la ministre en charge de la santé pourrait-elle l’ignorer ?

Dans un système de santé en crise, les choix d’Emmanuel Macron risquent d’être lourds de conséquence, et de nous éloigner des nos devoirs d’humanité (cf. Suicide : ne dévoyons pas « le sens de la fraternité, au nom d’une liberté mal comprise »). La fraternité n’est elle pas pourtant l’un des trois piliers de notre devise, et un principe à valeur constitutionnelle ?

Ne répondons pas aux enjeux de la fin de vie par la facilité, mais donnons-nous réellement les moyens d’accompagner chacun (cf. « Là sont l’urgence et la fraternité : offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné dignement »).

Complément du 23/04/2024 : Le 22 avril, le ministère du Travail, de la Santé et de la Solidarité, a officiellement annoncé le lancement de « la stratégie décennale des soins d’accompagnement ». Le rapport est disponible sur le site du ministère.

 

[1] Fin de vie : la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs qualifie le plan décennal de « victoire », France Info (06/04/2024)

[2] Fin de vie : des moyens financiers pour les soins palliatifs… mais avec quels moyens humains?, Centre presse Aveyron, Laurent Roustan (06/04/2024)

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