La Commission spéciale adopte l’« aide à mourir », sans la conditionner à un pronostic vital engagé

17 Mai, 2024

En cette quatrième, et avant-dernière journée de débats, le rythme de l’examen des amendements par la Commission spéciale chargée du projet de loi sur la fin de vie s’accélère. Vingt amendements ont été adoptés, émanant pour l’essentiel des rapporteurs. La journée aura cependant été marquante. En effet, les membres de la Commission spéciale ont voté l’article 5 du projet de loi, entérinant ainsi la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté en France. Une « aide à mourir » qui pourra être possible sans même avoir un pronostic vital engagé.

L’« aide à mourir » adoptée, en tordant le bras aux soignants

Jeudi matin, les députés ont examiné l’article 5 du projet de loi définissant l’« aide à mourir ». Une simple formalité ? En effet, « la question de savoir si l’aide à mourir est une question de service public a été tranchée par la ville de Paris », s’indigne Annie Genevard (LR), faisant référence à la récente campagne d’affichage de la municipalité « Choisir de mourir dans la dignité est un droit fondamental ». « Je trouve particulièrement choquant que la ville de Paris se prononce avant même que les parlementaires ne l’aient fait et qu’elle ait considéré que c’est une mission de service public que d’en faire la promotion », dénonce la députée.

Avec l’adoption du sous-amendement CS2018 de Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), les soignants, qui n’ont eu de cesse de refuser d’être mis à contribution pour mettre fin à la vie de leurs patients, sont au contraire rendus indispensables à l’acte. Même dans le cas où l’euthanasie est pratiquée par la « personne volontaire », elle devra être « accompagnée et assistée par le médecin ou l’infirmier » (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »). L’amendement CS1959 de Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance), rapporteur du texte, précise que cette personne devra être majeure et non rémunérée pour son geste. Des précisions qu’avait omises le Gouvernement.

Quant à l’amendement CS647 de Marie-Noëlle Battistel et ses collègues, il fait de l’euthanasie et du suicide assisté des « actes de prévention, d’investigation ou de soins », relevant du « droit de recevoir les soins les plus appropriés »[1] (cf. Fin de vie : « le geste létal d’un médecin rompt un soin, il ne l’achève pas »). Pour Emeline K/Bidi (GDR – Nupes), il n’y a pas de raison d’exclure les mineurs du dispositif, si ce n’est d’éviter de « tout faire capoter » pour les majeurs. L’examen du texte à peine entamé, les jalons de son futur élargissement sont posés (cf. Fin de vie : un projet de loi qui « permet de mettre un pied dans la porte », avant les prochaines étapes).

Le pronostic vital engagé : la suppression d’un des seuls verrous objectifs

Le débat sur les conditions d’accès à l’« aide à mourir » définies par l’article 6 a duré tout l’après-midi. Deux sujets ont ébranlé la Commission : le pronostic vital engagé à court ou moyen terme, ainsi que la souffrance psychologique pour avoir accès à l’« aide à mourir ».

Le projet de loi initial posait problème à de nombreux députés, estimant que les termes de « court » et « moyen terme » étaient trop flous. Ils leur ont finalement préféré la notion de « phase avancée ou terminale », supprimant au passage celle de « pronostic vital engagé » (amendements CS659 et CS1558). Mais a-t-on vraiment gagné en clarté ? « On va au-delà du cadre », dénonce Patrick Hetzel (LR). Avec lui plusieurs députés s’opposent à l’abandon du « pronostic vital engagé » : Annie Genevard (LR), Yannick Neuder (LR), Philippe Juvin (LR), Justine Gruet (LR), Christophe Bentz (RN), Annie Vidal (Renaissance), ou encore Nicolas Turquois (MoDem et Indépendants).

La question du respect de la volonté du patient a également entraîné de vifs débats autour de l’accès à l’« aide à mourir » pour souffrance psychique. Philippe Juvin met en garde : si on permet à la souffrance psychique d’être une cause de recours à l’« aide à mourir », et puisque le pronostic vital a été supprimé, elle sera autorisée pour les schizophrènes par exemple. Emmanuelle Ménard (NI) alerte de son côté du « risque de dérive envers des personnes atteintes de dépression chronique ». Les personnes souffrant de maladies psychiatriques ne sont pas éligibles, veut rassurer le rapporteur.

Finalement c’est un amendement d’Agnès Firmin Le Bodo (Horizons et apparentés) qui est adopté (CS2225). Pour être éligible, le patient devra présenter une souffrance physique « accompagnée éventuellement » d’une souffrance psychologique. C’est la seule fois où la présidente de la commission a donné son avis.

L’« aide à mourir » pour les personnes vulnérables, comme pour les autres

En fin d’après-midi, les députés évoquent une première fois la question des personnes vulnérables. Une personne sous protection juridique ne devrait pas pouvoir avoir accès à l’« aide à mourir » sans l’intervention d’un juge, comme c’est déjà le cas pour certains actes. « Il y a des raisons précises pour lesquelles une personne est mise sous tutelle ou sous curatelle », rappelle Patrick Hetzel. Evoquant des « engagements internationaux » destinés à renforcer l’autonomie de ces personnes en matière de santé, la ministre Catherine Vautrin objecte que les personnes sous protection juridique ne devraient pas être traitées différemment en matière d’« aide à mourir ».

D’autres situations de vulnérabilité sont soulevées : maladies psychiatriques, incarcération. Les exclure du dispositif relèverait d’actes de « discrimination » estiment certains députés. Lors de la discussion de l’article 8, Annie Vidal propose un amendement visant à exclure spécifiquement du dispositif les personnes porteuses d’un handicap mental. La rapporteure Laurence Cristol (Renaissance) indique « avoir du mal à comprendre cette énumération ».

Les députés renoncent à protéger les plus vulnérables. Seul l’amendement CS1143 de Sébastien Peytavie (Ecologistes – Nupes) introduira quelques précautions. Outre les soins palliatifs, le médecin sera dans l’obligation de proposer à une personne porteuse de handicap de bénéficier « de tous les dispositifs et droits visant à garantir la prise en charge de ses besoins médicaux, matériels, psychologique et sociaux ». Le député s’est dit interpellé par l’expérience canadienne (cf. Elle trouve un logement adapté : une femme handicapée suspend sa demande d’’aide médicale à mourir’).

Le retour de la collégialité ?

A la reprise des débats à 21h, Agnès Firmin Le Bodo annonce qu’il reste 955 amendements à examiner avant le lendemain minuit. L’ambiance est dissipée, les discussions se font dans un brouhaha continu.

Peu d’amendements seront adoptés. Laurence Cristol rassemble autour de l’amendement CS1999 qui propose à la personne demandant de mettre fin à sa vie de l’orienter vers un psychologue clinicien ou un psychiatre. Elle obtient également l’aval de ses collègues sur deux amendements, CS2003 et CS2004, destinés à « codifier les articles 5 à 17 du projet de loi en créant une nouvelle section dédiée à l’aide à mourir » dans le code de santé publique.

Enfin, la rapporteur suscite les discussions autour de la collégialité, avec l’amendement CS2001 qui sera adopté, alors que la plupart des amendements sur le sujet avaient été supprimés suite à l’invocation de l’article 40 de la Constitution (cf. 278 amendements supprimés pour éviter « la création ou l’aggravation d’une charge publique »). Une collégialité « Canada dry » dénoncée notamment par Patrick Hetzel, car elle en a le nom, mais elle n’en est pas véritablement une, se bornant à être consultative.

Un examen à la va-vite ?

Au terme de cette quatrième journée de débats, les députés auront voté sept articles au total. Il leur reste 700 amendements à examiner ce vendredi. Un examen mené au pas de charge malgré la gravité du sujet. Au prix de survoler les enjeux ?

Alors que Danielle Simonnet (LFI – Nupes) tente plusieurs fois d’introduire la question de l’« aide à mourir » dans les directives anticipées que pourrait faire exécuter la personne de confiance, Laurence Cristol s’y oppose répétant qu’« aider à mourir une personne inconsciente ou dont le discernement est profondément altéré pose de lourds problème éthiques ». Pourtant, la veille, c’est bien ce qu’a autorisé la Commission (cf. Troisième jour de débat : feu vert à l’euthanasie des personnes inconscientes). Cela lui aurait-il échappé ?

 

[1] Art. 1110-5 du Code de la santé publique

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