Fin de vie : les députés votent de justesse des soins palliatifs « garantis »

29 Mai, 2024

Le deuxième jour des débats sur le projet de loi fin de vie a été écourté suite à un incident survenu lors des questions au Gouvernement. Les suspensions de séances se multiplient, retardant l’examen des textes. Finalement, à l’issue de la soirée du 28 mai, 14 amendements ont été adoptés, certains seulement rédactionnels.

Bien que les débats portent sur le titre I du texte, relatifs aux « soins d’accompagnement », l’euthanasie et le suicide assisté se sont largement invités dans les discussions, dans un hémicycle clairsemé comme la veille. En voulant garantir les soins palliatifs, les députés présents ont réordonné les priorités.

Dignité du patient, mais aussi des soignants

Au début des discussions, Frédérique Meunier (LR) propose, via l’amendement 912, de remplacer le respect de la « dignité » du patient par celui de son « image ». L’objectif étant d’éviter de laisser penser que la dignité peut se perdre. Cet amendement est rejeté. Laurent Panifous (LIOT) a quant à lui voulu introduire la question de l’« autonomie » avec l’amendement 876, sans succès non plus.

Il a aussi été question de dignité des soignants. Pour Christophe Bentz (RN), l’administration de soins au patient relève de sa dignité, et le respect de l’incompatibilité entre le soin et l’« aide à mourir » relève de la dignité du soignant, selon le principe que « la main qui soigne ne peut être celle qui tue » (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie). Il a donc proposé d’intégrer le respect de « la dignité des soignants » à l’alinéa 7 de l’article 1 er par l’amendement 3118. Caroline Fiat, rapporteur du texte (LFI – NUPES), a répliqué qu’un tel amendement sous-entendrait que le soignant qui pratique une « aide à mourir » n’aurait pas de dignité. Selon elle, la clause de conscience permet de « protéger les soignants de tout geste éventuel qu’ils ne souhaiteraient pas faire ». Elle est rejointe par Sandrine Rousseau (Ecologistes – NUPES) qui estime que les droits des malades ne sont pas à mettre en regard avec la dignité des soignants. L’amendement de Christophe Bentz est rejeté.

Emilie Bonnivard (LR) en profite pour rappeler que le débat sur la fin de vie est vécu comme une réelle souffrance par les soignants. Patrick Hetzel (LR) abonde : les soins d’accompagnement vont conduire à « une rupture anthropologique » (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une rupture profonde dans ce qu’est l’éthique de l’engagement soignant »). Ne faudrait-il pas mettre en place une « clause de conscience spécifique » pour les soignants ?

L’euthanasie, une mort naturelle ?

Marie-France Lorho (RN), avec l’amendement 1368, veut assurer que le patient soit suivi dès le début de la maladie jusqu’à sa « mort naturelle » afin qu’il bénéficie de soins de manière renouvelée jusqu’à la fin de sa maladie. Didier Martin, rapporteur du texte (Renaissance), indique que la mort par suicide assisté est considérée comme une mort naturelle en Suisse, même s’il reconnait qu’il ne peut garantir ses sources.   Un point que conteste Philippe Gosselin (LR) qui souligne qu’ « il faut nommer correctement les choses », mais aussi Philippe Juvin (LR) qui rappelle la procédure prévue. « La mort naturelle, c’est un peu comme chacun l’entend » n’hésite pas à répondre Didier Martin. L’amendement est rejeté.

Les larges enjeux des soins palliatifs

Plusieurs députés déplorent le fait que le projet de loi n’ait pas dissocié accès aux soins palliatifs et « aide à mourir » . Certains l’avaient pourtant ouvertement demandé bien avant que le projet de loi ne soit présenté en Conseil des ministres (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés). Une volonté du Gouvernement d’instaurer un continuum ? Pourtant, alors que l’euthanasie et le suicide assisté reviennent régulièrement dans le débat, Catherine Vautrin s’agace. Ce ne serait pas, encore, le sujet.

Les députés évoquent plusieurs points, parmi lesquels le contenu des « soins d’accompagnement », et notamment la place des besoins spirituel dans ces soins. Dominique Potier (Socialistes et apparentés) rappelle ainsi que « la dimension spirituelle est consubstantielle de la personne humaine ». « Aux frontières de la vie, priver quelqu’un de force de la spiritualité pour traverser l’épreuve est une atteinte forte aux droits humains », alerte-t-il. L’amendement 2905 de Pierre Dharréville (GDR – NUPES) qui a été adopté prévoit ainsi que les soins de confort et de supports visent à répondre aux « besoins physiques de la personne, dont le traitement de la douleur, ainsi qu’à ses besoins psychologiques, sociaux et spirituels ».

L’accompagnement au deuil, l’accompagnement des proches est aussi évoqué. L’adoption de l’amendement 877 de Laurent Panifous (LIOT) précise que le soutien à l’entourage de la personne malade, délivré dans le cadre des soins d’accompagnement, peut se poursuivre après son décès. Jérome Guedj (Socialistes) se félicite de ce point. « Pour le première fois l’accompagnement au deuil est prévu dans la loi » relève-t-il. Toujours concernant le soutien des proches, l’amendement 940 de Julie Delpech (Renaissance), adopté lui aussi, élargit le soutien accordé aux proches des personnes bénéficiant des soins d’accompagnement en y incluant le soutien psychologique et social nécessaire.

La question de la douleur

Un point mettra d’accord tous les bords de l’hémicycle. Le manque de soins palliatifs, mais aussi de prise en charge de la douleur, est dénoncé sur tous les bancs.

En faisant adopter l’amendement 412, Cécile Rilhac (Renaissance) fait élargir la notion de souffrance aux douleurs physiques et aux souffrances psychiques ou psychologiques, « afin d’englober la totalité des réalités vécues et ressenties par les patients ».

Geneviève Darrieusecq (Démocrates) rappelle qu’actuellement il faut plus de 6 mois pour obtenir un rendez-vous dans un centre anti-douleurs. Une question cruciale, comme le rappelle Annie Genevard (LR), puisque c’est la première qui entre en jeu dans une demande de mort. Or, « il y a très peu de douleurs qui sont absolument réfractaires » souligne la députée. Julien Odoul (RN) dénonce, lui, un « échec collectif ». « Nos concitoyens ont peur de la souffrance » indique le député. « Ils ne veulent pas abréger leur vie, mais lutter contre la souffrance et la douleur » relève-t-il. « Aujourd’hui on leur refuse car il n’y a pas cet accès aux soins palliatifs », dénonce l’élu (cf. Souffrir ou mourir, est-ce vraiment la question ?). « Beaucoup de personnes souffrent dans notre pays, abonde Pierre Dharréville. C’est d’autant plus un problème qu’elles pourraient ne pas souffrir. »

« Si demain les personnes n’ont pas accès aux soins palliatifs pour soulager leurs souffrances, mais ont accès aux produits létaux, auront-elles vraiment le choix ? » interroge Thibault Bazin (LR). Patrick Hetzel (LR) abonde : « Il serait terrible que des concitoyens soient amenés à demander le droit à l’euthanasie alors qu’ils n’auraient pas pu accéder préalablement aux soins palliatifs ».

Garantir l’accès aux soins palliatifs

Emmanuelle Ménard (NI) rappelle les amendements qu’elle a déposés à l’occasion de précédents projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) afin de revaloriser les budgets dévolus aux soins palliatifs. « Tout ça a été balayé d’un revers de main » dénonce-t-elle. « Quand on veut, il faut donner vraiment les moyens », poursuit la députée. « Combien l’Etat a-t-il dépensé pour que M. Macron et Mme Hidalgo puissent se baigner dans la Seine cet été ? 1,4 milliard contre 1 milliard sur les 10 ans à venir pour les soins palliatifs », s’insurge l’élue. Elle est rejointe par Philippe Gosselin (LR) qui demande un « droit opposable aux soins palliatifs ». « Sinon, c’est des idées en l’air » dénonce-t-il.

« Demain, nos concitoyens pourront être confrontés à un choix face à l’aide à mourir dans des questions de totale inégalité », « ça ce n’est plus la République » interpelle Dominique Potier.

Marc Le Fur (LR) propose, avec l’amendement 1470, que les soins palliatifs soient « garantis » et non seulement « prodigués ». Ainsi, « nous sortirons des vœux pieux pour aller vers quelque chose de réaliste et concret ».

Malgré un double avis défavorable, du Gouvernement et de la commission, l’amendement est adopté de justesse par 81 voix pour, 70 contre. Le groupe Les Républicains a demandé un scrutin public sur ce point. « Mes chers collègues, vous êtes favorables à ce que l’« aide à mourir » soit un droit, nous sommes favorables à ce que les soins palliatifs relèvent du droit opposable », résume Marc Le Fur. Chacun aura pu afficher sa priorité.

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