La dissolution de l’Assemblée dissoudra-t-elle aussi le projet de loi sur la fin de vie ?

10 Juin, 2024

L’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République a marqué un coup d’arrêt net à tous les travaux en cours. Ainsi en est-il du projet de loi relatif à la fin de vie qui ne sera donc pas voté comme prévu le 18 juin.

Vendredi, avant l’arrêt du texte, les députés avaient voté l’article 6 du projet de loi fixant les conditions du recours possible à l’« aide à mourir ». Les discussions de l’article 7 du texte qui en compte 21 avaient seulement débuté.

Des députés très affectés

En cette fin de semaine, les discussions se sont éternisées,  ont parfois tourné en rond. Les élus étaient marqués par un certain épuisement. « Profondément affecté par les décisions qui ont été prises », Pierre Dharréville (GDR – NUPES), ferme opposant au texte, a fini par jeter l’éponge, ne sachant « plus aider à faire moins pire ». « Désormais vont se discuter des démarches qui me sont trop étrangères, qui ont trop peu de sens à mes yeux pour que j’y fasse entendre quelque chose », a expliqué le député qui a interpellé une dernière fois ses collègues : « Je veux dire à celles et ceux qui doutent, souvent en silence, que cette loi compte tenu de la gravité, ne pourrait, ne peut être adoptée avec le moindre doute ».

Le député n’était pas le seul à être « pris de vertige ». Annie Vidal (Renaissance) déclarait être « désespérée de voir ce que nous sommes en train de construire ». Dominique Potier (Socialistes et apparentés) partage son sentiment. Les bancs étaient de plus en plus vides. Le signe que les députés ne voyaient pas la légalisation de l’« aide à mourir » comme une priorité pour la France ?

Des critères encore élargis

Vendredi matin, la pente était toujours glissante. Ainsi, Christophe Marion (Renaissance) a fait adopter l’amendement n°2597 qui vise à préciser que le caractère « insupportable » est uniquement apprécié par le patient. « La douleur étant personnelle et subjective, son insupportabilité peut varier d’un patient à l’autre et ne peut être correctement appréhendée par les professionnels de santé », justifiait-il (cf. Euthanasie : la Belgique, un « modèle » ?).

De son côté Thibault Bazin (LR) a introduit un amendement (n°74) pour protéger les personnes fragiles, malades psychiatriques, les personnes faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation, les personnes privées de liberté, ou relevant de toutes situations obérant la capacité à exercer sa liberté de manière libre et éclairée. Le député voulait qu’elles soient exclues du dispositif d’« aide à mourir ». Son amendement a été rejeté.

Pierre Dharéville a tenté quant à lui de rappeler l’Etat à ses devoirs en faisant substituer, grâce à l’amendement n°2943 les mots « ne reçoit pas de traitement ou a choisi d’arrêter d’en recevoir » par « a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement ». Il ne saurait être question de recourir à l’euthanasie en raison d’un manque d’accès aux soins.

Vers une « exception de directives anticipées » ?

Une première fois écartée (cf. L’« aide à mourir » exclue des directives anticipées, pour le moment), la question de l’introduction de l’« aide à mourir » dans les directives anticipées était aussi revenue dans le débat. Ainsi des députés, parmi lesquels Jérôme Guedj (Socialistes et apparentés), ont soutenu  la proposition de Gilles Le Gendre (Renaissance) concernant une « exception de directives anticipées » (amendement 2341). Dans le même esprit, François Gernigon (Horizons et apparentés) a proposé la possibilité d’établir un « certificat de volonté » (sous-amendement 3519).

L’opposition était forte. « Le doute, cette impossibilité de savoir ce que ressentent les gens à ce moment, nous oblige avec humilité à ne pas voter ces amendements », a plaidé Stéphanie Rist (Renaissance). Patrick Hetzel (LR) ajoute que cela conduirait à un « changement de nature des directives anticipées » qui sont là pour aider « les professionnels de santé à orienter les soins ». « Vouloir étendre les directives anticipées à autre chose que les soins n’a pas de sens », affirme le député.

Laurence Maillart, rapportrice Renaissance du projet de loi a émis un avis défavorable sur les amendements visant à introduire l’« aide à mourir » dans les directives anticipées, mais elle a proposé de « travailler ensemble une exception de directives anticipées », indiquant que sa « réflexion n’est pas aboutie ». Elle a suggèré ainsi la formation d’un groupe de travail sur le sujet lors de la navette parlementaire. Les amendements sont rejetés mais le malaise est palpable.

La discussion sur l’article 6 s’est terminée vendredi dernier. Il a été adopté par 51 voix contre 24 dans un hémicycle quasi-désert.

Les députés exigent des réponses

Les députés avaient ensuite entamé la discussion de l’article 7, le premier relatif à la procédure. Tous les amendements visant à le supprimer ont été rejetés après avoir reçu un avis défavorable de la ministre Catherine Vautrin qui a tenté une nouvelle fois de rassurer. Elle a affirmé avoir entendu les très grandes réserves soulevées par la SFAP sur l’accès aux soins palliatifs, plaidant un effort et une volonté du Gouvernement d’équiper le pays. Mais les déclarations n’ont pas suffit. Les députés voulaient des réponses.

« On ne peut pas voter sans avoir les réponses et en ayant comme argument à chaque fois “on verra plus tard” », a tempêté Jocelyn Dessigny (RN), rejoint par son collègue Christophe Bentz (RN). « Plus tard après plus tard, on arrivera à la fin du texte ! »

Les députés sont aussi revenu sur l’effectivité de l’accès aux soins palliatifs. « 180 000 personnes par an n’ont pas accès aux soins palliatifs » et « nous on fait du formalisme sur ces bancs », s’est indigné ainsi Dominique Potier. « On sait qu’il y a plusieurs années de déploiement pour avoir un service universel pour tous. Qu’est-ce qui va se passer pendant ce temps ? »,a-t-il interpellé. « En l’absence d’effectivité, nous créons une discrimination sociale et territoriale qui est parfaitement contraire au principe d’égalité. »

Des députés, comme Thibault Bazin, ont tenté de faire adopter des amendements destinés à ce que les médecins recueillant la demande d’« aide à mourir » soient formés en soins palliatifs. « Les médecins dans leurs parcours actuels n’ont pas été formés aux complications de l'”aide à mourir” », a alerté en outre l’élu. En vain. Les amendements ont été rejetés.

Les directives anticipées encore sujet de débat

Alors que Sandrine Rousseau (Ecologiste – NUPES) a essayé à nouveau de faire introduire l’euthanasie dans les directives anticipées, sa collègue Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés) a proposé un amendement ayant pour but de permettre à la personne de confiance, préalablement désignée dans les directives anticipées du patient, de formuler la demande d’« aide à mourir » en lieu et place du patient si celui-ci n’est pas en mesure de le faire.

Bien que ces amendements soient rejetés, ceux de prudence l’ont été aussi. Emmanuelle Ménard (NI), arguant que « le doute ne doit pas profiter à la mort », a jugé que « la volonté libre et éclairée doit pouvoir être réitérée à tout moment de la procédure », « y compris à la dernière minute ». Son amendement (n°580) a été lui aussi rejeté.

Catherine Vautrin a affirmé qu’« il faut garder la possibilité de retravailler la loi ». L’objectif était clair : ouvrir la porte, les élargissements auraient du suivre (cf. Fin de vie : un projet de loi qui « permet de mettre un pied dans la porte », avant les prochaines étapes).

Et maintenant ?

Vendredi soir, les députés n’avaient examiné qu’un peu plus de la moitié des 3 102 amendements déposés sur le projet de loi, malgré l’insistance de la présidente de séance. Le projet de loi en restera toutefois là. Les débats sur l’euthanasie sont désormais interrompus, a minima jusqu’aux prochaines élections législatives. La suite dépendra, notamment, des résultats du vote. Toutefois, même si le projet de loi revenait devant les députés, le processus devrait redémarrer depuis le début.

Lundi, les membres de la Chambre haute devaient, eux, examiner une proposition de loi visant à « améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d’autres maladies évolutives graves » (cf. Maladie de Charcot : le Sénat doit examiner une proposition de loi pour améliorer la prise en charge). Les Sages n’avaient pas les mêmes priorités. Le texte n’a pas été examiné comme prévu le 10 juin, la Haute Assemblée ayant décidé de suspendre ses travaux suite à la dissolution.

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