Fin de vie : « il serait inimaginable de reprendre un texte qui, sur bien des aspects, aurait été le plus laxiste au monde »

30 Sep, 2024

Alors que la proposition de loi sur la fin de vie déposée par Olivier Falorni a été jugée recevable (cf. Fin de vie : la proposition de loi d’Olivier Falorni enregistrée à l’Assemblée nationale), Laurent Frémont et Emmanuel Hirsch, cofondateurs du collectif Démocratie, éthique et solidarités, dénoncent l’instrumentalisation d’un texte qui pourrait apparaitre comme une opportunité d’afficher un consensus factice au sein d’une Assemblée fragmentée.

Le nouveau gouvernement est à peine nommé que déjà s’élèvent les voix des activistes pro-euthanasie : la légalisation de la mort administrée devrait être la priorité législative en ce début de mandature. On loue une « grande loi républicaine » ; on évoque un « texte très attendu par les citoyens » ; on enjoint le législateur à légiférer « le plus rapidement possible ».

Tant d’empressement a de quoi laisser pantois. Il est évident que, dans la configuration politique actuelle, la tentation peut être grande d’instrumentaliser un sujet sociétal tel que la fin de vie. Certains y voient l’occasion idéale d’obtenir un consensus factice permettant de rassembler des parlementaires de différents bords. Pour autant, cette exploitation politicienne d’un enjeu humain d’une telle gravité serait indécente à bien des égards.

« Légiférer sur l’euthanasie ne saurait être une priorité »

Cela devrait être évident : légiférer sur l’euthanasie ne saurait être une priorité au regard des dossiers d’un tout autre intérêt général qui attendent le nouveau gouvernement. Le sauvetage du système de santé est quant à lui une obligation vitale, quand un tiers de la population n’a pas accès aux soins. Le financement du grand âge et des situations de dépendance est un devoir politique, alors que les deux tiers des Ehpad sont en déficit, dans un contexte de naufrage financier du secteur. L’inclusion des personnes handicapées est un impératif dont nos concitoyens ont saisi la valeur en termes de cohésion nationale à la faveur des Jeux paralympiques.

Dans ce contexte, comment prétendre que la légalisation de la mort provoquée devrait être prioritaire dans l’agenda gouvernemental et au rang des préoccupations essentielles des Français ? Du reste, on ne peut pas les tromper. Une étude Harris Interactive du 5 septembre montre que le système social est le deuxième sujet considéré comme étant le plus prioritaire pour le gouvernement, loin devant la fin de vie, qui est classée quinzième. Nos concitoyens ne sont pas obsédés par le projet de « choisir leur mort ». Ils veulent simplement vivre leur vie, reconnus dans leurs droits fondamentaux, d’autant plus en situation de vulnérabilité.

« Une question clivante, propice aux outrances et susceptible de diviser »

Par ailleurs, il est illusoire de penser que le droit à la mort médicalisée provoquerait un consensus dans les travées de l’Assemblée nationale. Les débats parlementaires relatifs au dernier projet de loi nous ont démontré qu’il s’agit d’une question clivante, propice aux outrances et susceptible de diviser, d’opposer plus que de rassembler. Des députés ont ainsi quitté l’Hémicycle, mettant en cause la teneur des débats, la faiblesse des arguments, la fragilité des encadrements (cf. La dissolution de l’Assemblée dissoudra-t-elle aussi le projet de loi sur la fin de vie ?). Ils ont alerté en vain des conséquences vertigineuses et irréversibles d’une législation libéralisant la mort provoquée dans des conditions d’exercice de ce droit que d’autres pays n’avaient pas été en mesure de maîtriser. Pour preuve, des articles décisifs de ce projet de loi ont été adoptés à une courte majorité par quelques dizaines de parlementaires dans un Hémicycle clairsemé. C’est insulter les parlementaires qui ont exprimé des réticences fortes et justifiées à l’égard d’un projet de loi inabouti que d’estimer que la proposition de loi, déjà déposée à l’Assemblée le 17 septembre, surmonterait l’illusion d’un consensus contesté y compris au sein du gouvernement.

Si d’aventure l’idée d’une évolution législative intervenait dans les années à venir, elle exigerait un changement radical de méthode. Le processus législatif engagé avant la dissolution n’était pas à la hauteur des enjeux : auditions menées au pas de charge, mépris de la parole des soignants (y compris des psychiatres), invisibilisation des personnes exprimant leur refus d’une loi qui accentuerait leurs vulnérabilités du fait de leur maladie, de leur handicap et de leur âge. La question de la mort provoquée mérite une tout autre approche, impliquant humilité, écoute, profondeur et hauteur de vue, véritable souci des valeurs démocratiques en termes de bienveillance, de justice et de solidarités.

« Ce serait une faute grave de sacrifier les valeurs du soin et du non-abandon sur l’autel de manœuvres politiciennes »

Sur le fond, il serait inimaginable de reprendre un texte qui, sur bien des aspects, aurait été le plus laxiste au monde : des critères d’admissibilité larges et flous, une validation solitaire et toute-puissante par « un médecin », l’administration de la mort par n’importe qui et n’importe où, un contrôle inexistant, une coercition très forte sur les équipes dans les établissements de santé et médico-sociaux contraints d’organiser la mort provoquée en leurs murs. S’agit-il des normes éthiques que l’on souhaiterait ériger pour favoriser le bien commun ? Les fondements de l’éthique et de la déontologie devront-ils s’adapter à des pratiques qui les bafouent ?

Les débats en commission spéciale puis en séance publique ont démontré que les maigres « garde-fous » promis par l’exécutif ne résistaient pas à l’empressement de certains parlementaires déterminés à ouvrir le plus largement possible l’accès à la mort administrée (cf. Projet de loi fin de vie : comprendre la copie rendue par la commission spéciale). En première lecture, des députés proposaient déjà l’euthanasie pour les mineurs, par anticipation ou pour les personnes souffrant de troubles psychiques. Ces pratiques sont déjà en vigueur dans certains pays qui pourtant avaient affirmé avec force que leur législation s’y opposerait.

Décidément, ce serait une faute grave de sacrifier les valeurs du soin et du non-abandon sur l’autel de manœuvres politiciennes. L’heure est aux vulnérabilités qui viennent bousculer le mythe de la toute-puissance, non à l’obsession d’une libéralisation de la mort légalement ordonnancée en réponse à des souffrances humaines. Celles-ci méritent mieux de notre part que l’insuffisance de notre mobilisation en termes de solidarités et de capacités d’action de notre système de santé. La priorité est de reconstruire notre unité nationale autour des principes de fraternité, de sollicitude, et de bienveillance. Affirmer aujourd’hui cette position, c’est contribuer aux devoirs de vérité et de responsabilité dont nos parlementaires, comme chaque membre de la communauté nationale, doivent comprendre qu’il s’agit d’une exigence et d’une urgence politiques.

 

NDLR : Emmanuel Hirsch est professeur émérite d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay. Laurent Frémont est enseignant en droit constitutionnel à Sciences Po. Ensemble, ils ont fondé le collectif Démocratie, éthique et solidarités. Leur tribune publiée par Le Figaro a été reproduite ici avec l’accord de Laurent Frémont.

Photo : iStock

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