Protection du fœtus & Cour européenne des Droits de l’Homme : interview de Me Jerry Sainte Rose, avocat général à la Cour de Cassation

Publié le 16 Juil, 2004

Dans le cas de l’affaire VO co. France traitée par la Cour européenne des Droits de l’Homme, la requérante, invoquant l’article 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, dénonçait le refus des autorités françaises de qualifier d’homicide involontaire l’atteinte à la vie de l’enfant à naître qu’elle portait. Elle soutenait que la France a l’obligation de mettre en place une législation pénale visant à réprimer et sanctionner une telle atteinte.

De l’avis de la Cour, le point de départ du droit à la vie relève de l’appréciation des Etats. Cela tient, d’une part, au fait que la majorité des pays ayant ratifié la Convention n’ont pas arrêté la solution à donner à cette question, et en particulier en France où elle donne lieu à un débat et, d’autre part, à l’absence de consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie.

Sur cet arrêt, Gènéthique a interviewé Me Jerry Sainte Rose, avocat général à la Cour de Cassation :
 

Gènéthique Que pensez-vous de l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire VO c. France ?
J. Sainte Rose

S’il ne reconnaît pas un droit à la vie à l’enfant conçu qui ne peut être considéré comme une personne au sens de l’article 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, l’arrêt de la Cour de Strasbourg du 8 juillet 2004 ne met pas véritablement fin au débat sur la protection pénale de cet enfant dans la mesure où un large pouvoir d’appréciation est laissé à chaque état. Il demeure que les arrêts de la Cour de cassation rendus en 1999, 2001 et 2002, brisant une jurisprudence plus que séculaire, refusent désormais d’appliquer la loi pénale au tiers qui, par sa faute non intentionnelle, a causé la mort de l’enfant à naître et cela quelque soit son degré de développement. Ainsi, après la dépénalisation de l’avortement, se trouve totalement remise en cause la doctrine de nos théologiens et de nos juristes qui, pendant 2 000 ans, ont considéré que l’enfant conçu était un être humain et qu’à ce titre sa vie devait être protégée par le droit pénal.

Le débat sur la personnalité juridique du fœtus est spécieux car l’homicide a toujours été considéré comme étant la destruction d’une vie humaine. La sanction pénale marquant la réprobation de la société et aidant les parents à faire leur deuil, ceux-ci n’obtiendront plus que des dommages et intérêts d’un faible montant pour leur préjudice moral.

 
   
Gènéthique Quelles sont les raisons de ce revirement de jurisprudence ? Quels sont les intérêts en jeu ?
J. Sainte Rose

Le refus de protéger pénalement la vie de l’enfant à naître en cas d’accident mortel s’explique, à mon avis, par des motifs plus idéologiques que juridiques.

La situation actuelle est conforme aux vœux du lobby de l’avortement qui refuse toute valeur à la vie humaine de l’enfant (ce que contredit d’ailleurs notre législation sociale qui lui est très favorable). L’objectif est de mieux fonder et banaliser l’IVG.

Gynécologues, obstétriciens et sages-femmes échappent dorénavant à toute sanction pénale lorsqu’ils auront, par leur faute causé la mort du fœtus. Ces professionnels de santé auront même intérêt à sa mort lorsqu’ils l’auront blessé. En effet, ils s’exposent à une condamnation pour blessures involontaires ou homicide involontaire si l’enfant à naître survit à ses blessures ou décède des suites de celle-ci. De même, l’automobiliste imprudent restera impuni s’il a la « chance » de tuer l’enfant sur le coup.

Le code pénal créé par la jurisprudence actuelle qui est socialement et humainement inacceptable aboutit à des solutions incohérentes et paradoxales.

 
   
Gènéthique La protection pénale de l’enfant à naître est-elle véritablement incompatible avec l’IVG ?
J. Sainte Rose

Aucune confusion n’est possible entre l’interruption de grossesse voulue par la femme et le fait d’un tiers qui cause la mort d’un enfant dont la naissance était espérée.

Rappelons que l’avortement n’est totalement dépénalisé qu’à l’égard de la femme. Le tiers qui pratique une interruption illégale de grossesse ou fournit des moyens abortifs à la femme s’expose toujours à des poursuites pénales.
Protéger pénalement la vie du fœtus donnerait, parait-il, mauvaise conscience aux femmes qui avortent mais cette protection a coexisté pendant un quart de siècle avec l’application de la loi sur l’IVG et n’a jamais empêché aucune femme d’avorter.

Aujourd’hui, il n’est question que de la liberté d’avorter qui n’est nullement menacée. Mais il existe une autre liberté dont on ne parle jamais et qui est tout aussi respectable, celle de procréer. La détresse de la femme privée de l’enfant qu’elle désire ne doit elle pas être prise en considération tout autant que celle de la femme qui souhaite interrompre sa grossesse ?

 
 
Gènéthique Quelles sont les perspectives d’avenir ?
J. Sainte Rose

La situation est actuellement figée. Force est de constater que les pouvoirs publics qui n’ont même pas voulu assurer la protection pénale de la femme enceinte en cas d’interruption involontaire de grossesse, à l’instar de ce qui existe en Italie ou en Espagne, ont choisi de s’aligner sur la position de la Cour de Cassation. Il appartenait, me semble-t-il, à la représentation nationale de trancher le débat.

Le principe posé par l’article 16 du code civil – texte d’ordre public qui affirme que « la loi garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie »- est aujourd’hui vidé de sa substance. Et on ne peut que s’étonner qu’en France, la vie d’un animal domestique qui est un objet soit protégée pénalement contre les atteintes par imprudence (article R651-3 du code pénal) alors que celle de l’enfant à naître, même au seuil de sa naissance, ne l’est pas. Qui est-ce alors que cet enfant ? Un déchet, une chose destructible sans destinée humaine ?

En définitive, la situation actuelle fait ressortir les contradictions de notre société où les progrès de la science ont mis en évidence l’importance de la vie fœtale et où l’enfant à naître bénéficie d’une reconnaissance accrue sur le plan familial, social, sanitaire mais ignorée du droit pénal. Le choix jurisprudentiel qui n’est pas respectueux de la vie aboutit à imposer à la société toute entière et d’abord à toutes les femmes ce qui relève de la philosophie propre à certaines. La crédibilité du droit n’y trouve pas son compte pas plus que la tolérance qui est le ciment d’une société démocratique.

 
 

Gènéthique 16/07/2004

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