Filiation bricolée

Publié le 2 Mai, 2011

Myriam Szejer, pédopsychiatre et psychanalyste à la maternité Antoine-Béclère à Clamart et fondatrice de l’association la Cause des bébés, revient, dans Libération.fr, sur les pratiques qui maintiennent aujourd’hui le secret autour de la filiation, empêchant les personnes qui en sont issues d’accéder à leur origine et à leur histoire. Anonymat des donneurs de gamètes, mères porteuses étrangères ou clandestines, accouchement sous X, etc : ces pratiques rendues possibles par la médecine moderne et par la loi, font de l’enfant à qui on a caché une partie de ses origines "la victime bâillonnée de manipulations de la filiation".

Alors que la loi permet d’établir des secrets lorsqu’ils conviennent aux adultes, l’expérience clinique révèle que "l’anonymat engendre le silence dans les familles dont l’histoire s’y prête. […] L’enfant se trouve alors confronté à un double secret : secret parental quand les parents ont choisi de se taire, secret sociétal lié à l’anonymat obligatoire, qui ne se présente à lui qu’après la levée du secret parental  […] les secrets de famille devenus secrets d’État confrontent ceux qui les subissent à un mur infranchissable et souvent persécutant".

Sensible à la souffrance engendrée par la stérilité, la médecine déploie une vaste créativité pour y remédier, mais "quel est le prix de ces progrès", au plan psychique, "pour les enfants, les parents, les tiers donneurs, géniteurs ou mères porteuses, mais aussi pour les générations futures, et finalement, pour la société dans son ensemble ?"

En donnant son aval à "des interruptions de la filiation qui dissocient le corps et l’esprit", la société, structurée sur l’interdit de l’inceste, risque gros. Pour un don de gamètes ou d’embryons, on procède à des appariements pour faire en sorte que le donneur ressemble aux parents infertiles (couleur des yeux, cheveux, de la peau) et on masque ainsi efficacement l’origine génétique. De même, certains pays recrutent les mères porteuses après sélection de leur apparence et de leur état de santé. On cautionne ainsi une "forme d’exclusion de l’inconnu, de l’étranger, donc de l’Autre". Cette situation est "menaçante pour le maintien social et l’équilibre des individus" et revient à "soutenir la fabrication de fantômes qui viendront hanter parfois douloureusement l’enchevêtrement des généalogies".

Le foetus emmagasine les perceptions périnatales sous forme sensorielle, qui seront ensuite organisées après la naissance par l’influence de la parole et du développement cognitif. Ne pas prendre en compte ces "souvenirs oubliés est une forme d’exploitation de l’immaturité phylogénétique de l’humain à sa naissance" mais aussi "une forme de négationnisme". Or, "sommes-nous en droit d’exploiter ainsi l’amnésie infantile, la plasticité et la résilience de l’enfant ?" interroge Myriam Szejer. Il est demandé à l’enfant de penser qu’il est quelqu’un d’autre  : un enfant conçu biologiquement par ses parents. Ces derniers se trouvent contraints "d’assujettir l’enfant aux exigences de leur souffrance personnelle et lui demandent de se construire un personnage à l’image de leur fantasmes, en lui déniant son passé".

Pour vivre, l’être humain a besoin de mots posés sur son passé. Les couples ayant fait le choix de parler à leur enfant expliquent que cela a été un soulagement. Bien que l’humain ne soit pas réductible à ses liens biologiques, le secret risque de faire émerger une souffrance "dans les moments de remaniement de la filiation, comme les naissances, les deuils ou l’adolescence". Si des enfants parviennent à s’adapter aux exigences de leurs proches ou de la société et semblent aller bien, c’est parfois "au prix de multiples dénis" qui n’empêchent pas l’inconscient de se construire sur du non-dit, du faux ou du tronqué.

La France, qui avait dans un premier temps envisagé la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes avant de la supprimer dans le projet de loi, doit s’interroger sur ce choix institutionnel du maintien de l’anonymat face aux enjeux existentiels de la question de l’origine. Qui cherche-t-il à protéger et de quoi ?

Libération.fr 22/04/11

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