StopCovid : faire « passer le pistage des êtres humains avant le dépistage de la maladie » ?

Publié le 28 Avr, 2020

Le sociologue Antonio Casilli, chercheur à l’Institut interdisciplinaire de l’innovation (I3 – CNRS/École polytechnique/Mines ParisTech/Telecom Paris) et chercheur associé à l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC – CNRS/EHESS), décrypte, pour CNRS le Journal, les questions de traçage et leurs enjeux en période de déconfinement.

 

Différents options sont possibles : « ne suivre que les personnes infectées et en restreindre la circulation » comme l’a fait la Corée du Sud, la mise en œuvre de véritables bracelets électroniques comme à Hong Kong, ou celle « de suivre tout le monde ». « En Chine, cela a été réalisé via les données de géolocalisation des citoyens de Wuhan, obtenues par les télécoms dÉtat ». La France de son côté s’oriente vers une « application Bluetooth, StopCovid, dont l’installation serait volontaire mais qui aurait vocation à être adoptée par tout le monde, et pas seulement les personnes en quarantaine ».

 

Mais pour Antonio Casilli, « la question de la surveillance numérique et celle du déconfinement sont entièrement décorrélées ». « Le succès du déconfinement est d’abord une question d’investissements dans des dépenses de santé publique, permettant de réaliser des tests massifs, de doter tout le monde de masques et d’optimiser la gestion de lits d’hôpitaux » estime-t-il. Ainsi, le numérique pourrait être « au service du référencement de ces éléments, par exemple une application officielle qui permettrait de savoir combien de tests sont disponibles et où les effectuer autour de moi ». Mais « il a été décidé d’aller dans un sens différent qui fait passer le pistage des êtres humains avant le dépistage de la maladie ». Une tendance « à la généralisation de la surveillance électronique qui se dessine depuis deux décennies » et qui « se retrouve aujourd’hui dans des expériences menées partout dans le monde au nom de la lutte contre le Covid-19 », pour le sociologue.

 

« Si la surveillance numérique est la condition pour recommencer à circuler dans l’espace public, nous ne sommes pas face à la fin d’une restriction temporaire de nos libertés, mais à la continuation du confinement par dautres moyens », estime Antonio Casilli. Et « rendre visible dans l’espace public les personnes malades comporte des risques, avec différentes dérives possibles ». Par exemple, en Corée du Sud, « l’appli ″Corona 100m″ vous permet de savoir si autour de vous quelqu’un a été déclaré positif au Covid-19. Outre la violation du secret médical, cette information est inutile puisqu’elle ne dit même pas si cette personne est encore contaminante, ou désormais immunisée… »

 

Pour le sociologue, il est possible de limiter les atteintes aux libertés et à la vie privée. Les éliminer, non. « Voulons-nous vraiment abolir le secret médical ? », interroge le chercheur. « Il faut casser ce modèle dystopique auquel le discours ambiant semble nous avoir destinés. Cette surveillance numérique est présentée comme inéluctable, alors qu’elle peut s’avérer inefficace, discriminatoire et atteindre la vie privée des citoyens si on ne permet pas aux citoyens de protéger leur vie privée et la confidentialité de leurs informations médicales. » « Il n’existe pas d’application ″magique″ capable de remplacer une solide politique de santé publique. »

 

Pour aller plus loin :

COVID 19 : Déconfinement, applications de traçage, confidentialité des données… les pays doivent choisir

L’Union européenne plaide pour des applications antivirus basées sur la protection de la vie privée

Le tracking pour sortir du confinement : des questions éthiques et juridiques en nombre

 

CNRS Le Journal, Lydia Ben Ytzhak (24/04/2020)

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