Hier avait lieu une nouvelle session de la mission parlementaire présidée par Olivier Falorni, visant à évaluer la loi Claeys-Leonetti. Une « audition importante », affirme le président de la mission. Alain Claeys, ancien député et co-auteur ainsi que co-rapporteur de la loi qui fait l’objet de la mission, était en effet le premier à être entendu avec Régis Aubry, co-rapporteur avec lui de l’avis n°139 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (cf. Avis du CCNE : en marche vers “l’aide active à mourir” ?). Une table ronde réunissant différentes sociétés savantes faisait l’objet de la seconde partie de l’audition.
Un « trésor national »
« La loi Claeys-Leonetti a été rédigée avec un triptyque qui est “je ne t’abandonnerai pas, je ne te laisserai pas souffrir[1] et je ne prolongerai pas anormalement ta vie” », résume le Pr Pierre-François Perrigault, président du comité d’éthique de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR). Le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), estime même que « la loi de 2016 est un trésor national », car « elle porte une philosophie du soin qui questionne tout le monde du soin, et pas que la fin de vie ».
« Elle dit que le soin, l’attention portée, le temps sont des choses importantes ». Alors que « notre système valorise l’acte, la technique, mais pas le soin ». Or, « la question du sens est essentielle pour les soignants comme pour les patients », pointe le médecin. « Quel message voulons-nous envoyer ? Qu’est ce qui est important pour nous ? »
Il difficile de s’affronter à la maladie, à la mort, relève Claire Fourcade. Dès lors, « on a besoin que la collectivité nous dise que ce que nous faisons a du sens, que c’est important, que nos patients comptent pour la société, pour nous tous », insiste-t-elle.
Un texte qui n’est pas appliqué ?
Six ans après le vote de la loi Claeys-Leonetti, en matière de soins palliatifs, « beaucoup reste à faire ». C’est le constat posé par Alain Claeys. Un constat largement partagé par les auditionnés. Il regrette ne pas avoir traité « correctement » les soins palliatifs. « Les aborder de façon quantitative est une erreur », juge-t-il. Et « aujourd’hui, alors que la fin de vie s’est médicalisée, il n’y a pas une politique de médecine de la personne », regrette l’ancien député.
Importance des directives anticipées, de la personne de confiance, les mêmes sujets sont remis sur la table. La présidente de la SFAP préfère parler de « discussions préalables », « parler avec le patient tout au long de la maladie en l’accompagnant » car les directives anticipées sont souvent « inappropriées » affirme-t-elle.
Le Pr Pierre-François Perrigault indique que « sur 343 arrêts de traitements, la sédation profonde et continue a été administrée dans 61% des cas ». Mais dans 17% des procédures, la collégialité n’a pas été mise en œuvre. Pour Alain Claeys, la sédation profonde et continue jusqu’au décès est appliquée dans « de bonnes conditions », « sous réserves de vérification ». A l’exception du domicile et des EHPAD où il est « difficile » de mettre en œuvre une démarche collégiale.
Le co-auteur du texte estime que « le risque sur la sédation profonde et continue jusqu’au décès est qu’elle soit appliquée hors champ ». Pourtant, on ne se rappelle pas l’avoir entendu s’insurger au sujet de l’affaire Vincent Lambert, qui n’était pas en fin de vie (cf. Emmanuel Hirsch : L’affaire Vincent Lambert, « un échouement éthique et politique dont nous devrions tirer quelques leçons »).
Un avis en rupture
« Le CCNE n’a pas à dire autre chose que les questions qui se posent », affirme Régis Aubry, co-rapporteur du dernier avis du CCNE. Pourtant l’avis n°139 entend bel et bien poser les bases d’« une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir ».
Et alors qu’il y a six ans le CCNE n’envisageait aucune évolution de la loi, Alain Claeys explique qu’« en parlant d’aide active à mourir on change de paradigme ». « Le politique a des leviers pour faire évoluer les esprits », assure-t-il. Mais « il n’y a pas rupture par rapport aux autres positions du CCNE », tente-t-il de rassurer.
Mais Annabel Desgrées du Loû, membre du CCNE, est là pour rappeler que le dernier avis n’a pas fait l’objet d’un consensus. Huit de ses membres ont émis une « réserve », « pas de principe mais de temporalité ». Avant d’envisager toute évolution de la loi, les soins d’accompagnement de fin de vie doivent être développés partout, affirme-t-elle.
La pertinence d’une nouvelle loi interrogée
D’audition en audition la SFAP réitère son alerte. Inlassablement. « On ne manque pas de lois mais de moyens » redira une nouvelle fois Claire Fourcade (cf. Convention citoyenne : début (et fin ?) de la délibération).
En réalité, les demandes d’« aide active à mourir » sont « peu nombreuses », reconnaît Régis Aubry. Toutefois, « peu importe » leur fréquence estime-t-il. Mais est-il légitime de légiférer pour des cas particuliers ?
La signification de ces demandes fera naître une profonde incompréhension entre Régis Aubry et Olivier Falorni. En effet, le rapporteur du CCNE, revenant sur le cas de l’Oregon, indique qu’un tiers des personnes s’étant procurées les substances létales ne les absorbent pas (cf. Oregon : 25 ans de « mort dans la dignité »). Le signe d’une « ambivalence » qui peut « être escamotée » par le recours à l’euthanasie, souligne-t-il.
En effet, la demande de recourir à l’euthanasie ou au suicide assisté « ne signifie pas toujours une volonté de mourir ». Elle peut exprimer « autre chose ». « Il faut être très vigilant », alerte-t-il. Une affirmation qui laisse Olivier Falorni perplexe. En demandant à accéder au suicide assisté, ces personnes n’ont-elles pas exprimé leur volonté ?
« Injecter un produit létal » n’est pas un « soin anodin » « si on le considère comme tel », affirme Régis Aubry. Dans le cadre d’une euthanasie, qu’un médecin « soit l’acteur réduit la part d’autonomie de la personne » juge-t-il. Autonomie, volonté, même au sein des partisans de l’euthanasie les « valeurs » entrent en conflit (cf. Fin de vie : liberté, dignité, laïcité ?).
[1] Le Dr Ségolène Perruchio, vice-présidente de la SFAP affirme que prime le « soulagement coûte que coûte ». Dans les structures de soins palliatifs, 2,7% des patients sont sédatés, indique-t-elle, et seuls un tiers avec une sédation profonde et continue.