La semaine dernière, la Cour interaméricaine examinait un recours concernant une femme du Salvador, Beatriz, dans une affaire d’avortement. La procédure a été poursuivie par sa mère, Beatriz étant décédée en 2017 dans un accident de voiture, deux mois après le début de l’action en justice. C’est la première fois que la Cour traite directement d’une affaire d’avortement[1].
En 2013, alors qu’elle attendait son deuxième enfant, des groupes militants ont persuadé Beatriz qu’elle mourrait si elle n’avortait pas. Souffrant d’une maladie auto-immune, sa grossesse, tout comme la première qu’elle avait menée à terme, était à risque. Une grossesse difficile donc, mais qui ne mettait pas en danger sa vie. Elle avait accouché de son premier enfant. Et a finalement pu le faire pour le deuxième aussi, même si ce dernier n’a pas survécu, souffrant d’une anencéphalie. D’ailleurs, si sa vie avait été réellement menacée, elle aurait pu avorter. Le code pénal du Salvador contient en effet une disposition qui n’engage pas la responsabilité pénale de quiconque commet un crime en vue de protéger un bien supérieur, comme l’est la vie de la mère.
Des militants face à des arguments
En choisissant de porter l’affaire devant la Cour interaméricaine, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) avait un but clair : obtenir la dépénalisation de l’avortement au Salvador, au moins en cas de malformation ou de handicap du fœtus, ou de mise en danger de la vie de la mère.
Pour défendre cette position, un témoin et un expert. Le témoin est un médecin qui a suivi Beatriz, et qui par ailleurs travaille pour l’Ipas, un organisme militant pour l’avortement. Il commercialise des dispositifs d’aspiration pour pratiquer des IVG. L’expert, une juriste colombienne reconnue, a quant à elle expliqué ne pas savoir quand commence la vie d’un être humain.
En face, pour défendre la position de l’Etat salvadorien, un témoin et un expert également. Le témoin, un autre médecin qui a suivi Beatriz, a expliqué que son état ne nécessitait pas d’interrompre sa grossesse, mais seulement un suivi médical très attentif. L’expert, Paolo G. Carozza, professeur de droit spécialisé en droits de l’homme et système interaméricain, et ancien président de la CIDH, a développé un argumentaire sur le droit à la vie. Il a pointé l’incompatibilité entre le droit à la vie tel que prévu dans la Convention américaine sur les droits de l’homme[2] et un supposé droit à l’avortement.
Une décision qui fera date ?
La défense du Salvador a démontré que la grossesse de Beatriz ne mettait pas en danger sa vie, et que l’avortement eugénique, c’est-à-dire au motif que le fœtus est porteur de handicap, est contraire à la Convention interaméricaine des droits de l’homme. Balayant ainsi les arguments de la CIDH, qui estime que « l’Etat ne peut s’immiscer arbitrairement » dans « les décisions des femmes sur leur reproduction ». Pourtant en défendant la vie, l’Etat n’est-il pas dans son rôle ?
C’est ce que soutient le Salvador, qui rappelle que la Convention américaine relative aux droits de l’homme affirme que toutes les personnes sont considérées comme des « êtres humains sans distinction ». Pas de distinction donc à faire entre les deux êtres humains que sont Beatriz et sa fille, juge-t-il.
Mais face à cette position étayée, les questions orientées de la Cour laissent présager d’une décision en défaveur du Salvador. Deux de ses juges se sont affirmés pour l’avortement dans les média, alors que le Salvador est régulièrement mis en cause dans des affaires de fausses couches qui sont en fait des infanticides (cf. Manuela c. Salvador : contre l’instrumentalisation, les faits). La Cour interaméricaine voudra-t-elle faire un « exemple » ? Et ainsi imposer des vues à l’ensemble du monde latino-américain.
[1] Il n’existe qu’un seul arrêt au sujet du statut des embryons congelés. La question de l’avortement n’a jamais été traitée telle quelle.
[2] La Convention en effet protège la vie à partir de la conception (art.4).
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