Benoît Bayle : “bébé-médicament” et troubles de l’identité

Publié le 22 Mar, 2011

Benoît Bayle, psychiatre des hôpitaux, docteur en philosophie et praticien dans l’unité de psychologie périnatale et petite enfance du Centre hospitalier Henri Ey à Bonneval en Eure-et-Loir, publie un article dans Cerveau & Psycho au sujet du "bébé-médicament" (Cf. Synthèse de presse du 08/02/11).

Le petit Umut-Talha, dont le prénom signifie "notre espoir" en turc, qualifié de "bébé sauveur" par certains, est né après avoir été sélectionné parmi plusieurs autres embryons conçus par fécondation in vitro. La  technique du double diagnostic préimplantatoire (double DPI) a été mise en oeuvre : 27 embryons ont été conçus et testés afin de repérer s’ils étaient porteurs des gènes responsables de la béta-thalassémie, maladie grave du sang dont sont atteints deux des enfants aînés des parents d’Umut-Talha. Les embryons sains ont ensuite été testés une deuxième fois afin de rechercher la compatibilité biologique, dite aussi "compatibilité HLA", avec le frère ou la soeur malade. Seuls 3 embryons étaient "en bonne santé" et un seul s’est révélé "HLA-compatible avec la soeur". Il a été transféré dans l’utérus de sa mère avec un autre embryon sain et "c’est Umut-Talha, l’unique embryon HLA-compatible, qui s’est finalement développé". Les hématologues promettent à sa grande soeur Assia 98% de chances de guérison grâce à une greffe de cellules souches issues du sang du cordon ombilical de son petit frère.

Les enjeux liés à cette double sélection embryonnaire sont loin d’être anodins. Certes, Umut-Talha est avant tout une personne humaine qui ne saurait être réduite aux conditions de sa conception. Toutefois, on ne peut nier que sa conception va de paire avec une surproduction et une sélection embryonnaire. Cette "scène conceptionnelle particulière" marquée par la logique eugénique qui "traverse l’ensemble de la médecine de la procréation contemporaine" risque d’engendrer un trouble psychologique appelée la "survivance prénatale". Pour l’enfant qui grandit, ce trouble peut revêtir différentes formes. La culpabilité d’abord : "si je suis en vie, c’est parce que les autres sont morts – donc je suis responsable de leur mort" ; la toute-puissance : "j’ai vaincu la mort ! Je suis plus fort que les autres !" ; l’ordalie enfin ou "l’épreuve de la survie, pour se prouver à soi-même qu’on mérite de vivre"  qui se manifeste par une prise de risque importante ou une maladie psychosomatique.

Les parents aussi sont marqués et ont tendance à investir l’enfant "comme un enfant-héros", ce qui peut "contribuer à ne pas lui fixer de limites suffisantes". Qu’un enfant ait été conçu pour soigner un frère ou une soeur lui fait-il encourir "le risque de n’être pas conçu pour lui-même" ? Les parents ont précisé qu’ils voulaient "de toute façon un autre enfant" ; toutefois, une ambiguïté demeure qui, parfois, se retrouve aussi pour des conceptions naturelles. C’est le cas pour les "enfants du remplacement", nés pour remplacer un frère décédé. Ces enfants souffrent de n’avoir pas été conçus pour eux-mêmes et présentent des troubles identitaires plus ou moins importants comme l’a fait remarquer le psychanalyste Maurice Porot. Dans le cas d’un double DPI, la situation est plus complexe. L’identité biologique de l’enfant-médicament se trouve assujettie à ce que sont son frère et sa soeur. Se trouvant HLA-compatible, son corps est "aliéné à la constitution biologique de sa soeur. Il en est le prolongement subtil, une sorte de prothèse, malgré lui, malgré elle". "La science lui fait vivre une situation complexe", une "forme subtile d’aliénation" dont il est difficile de penser qu’elle sera sans conséquence aucune sur l’édification de son sentiment d’identité.

Dire son désaccord avec cette pratique ne revient pas à rester sourd à la souffrance des familles mais, souligne Benoît Bayle, d’autres voies possibles doivent être encouragées comme le développement de banques de sang de cordon ombilical. Le danger est que le "caractère sensationnel" du double DPI ne freine ces alternatives pouvant profiter à un grand nombre de personnes.

Cerveau & Psycho 03/11

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