Canada : un complexe funéraire propose un forfait pour être euthanasié

26 Mai, 2023

Au Québec, un complexe funéraire propose depuis quelques semaines un forfait « clés en main » aux patients qui souhaitent louer son salon d’exposition pour y être euthanasiés (cf. Canada : l’aide médicale à mourir, nouveau business des salons funéraires).

Contre environ 700 $, Mathieu Baker, le propriétaire du complexe funéraire Haut-Richelieu, propose de louer son salon d’exposition aux patients qui font une demande d’euthanasie. Une première au Québec.

Un espace spécialement aménagé

Le salon peut être aménagé selon les volontés des patients. Des divans ou des plantes peuvent être mis autour du fauteuil réservé au patient. Café, viennoiseries, pizza, film, musique peuvent être prévus. « Tu as de la musique, des sandwichs, du vin ou du champagne. (..). Il peut y avoir des films, des photos. Les maisons funéraires sont déjà toutes équipées pour ça. Ils ont les salles, l’équipement audiovisuel, les tables et les chaises », indique le Dr Claude Rivard, omnipraticien pratiquant l’euthanasie.

C’est le Dr Richard Dumouchel, médecin depuis 35 ans, qui pratique l’euthanasie au salon funéraire. Mathieu Baker précise que la somme réglée sert à louer la salle, et non à payer pour l’euthanasie qui est un « soin couvert par l’assurance maladie ».

Après leur décès, le corps des défunts est pris en charge par le complexe funéraire, qui dispose des installations nécessaires pour la suite du « parcours » de la dépouille jusqu’à l’enterrement.

Au deuxième étage du complexe funéraire, des conférences pour « démystifier l’aide médicale à mourir » sont données.

« Ce n’est pas un service qui peut être commercialisé »

Cette nouvelle pratique suscite étonnement et interrogations.

La « loi concernant les soins de fin de vie » prévoit que l’euthanasie est proposée « dans une installation maintenue par un établissement, dans les locaux d’une maison de soins palliatifs ou à domicile ». Selon la loi, le terme « établissement » signifie « tout établissement visé par la “loi sur les services de santé et les services sociaux” qui exploite un centre local de services communautaires, un centre hospitalier ou un centre d’hébergement et de soins de longue durée ».

Le centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre (CISSS) indique ne pas être impliqué dans cette pratique, mais s’interroge sur sa légalité. « Cette question demande une interprétation sur le plan juridique » précise-t-il.

« L’aide médicale à mourir est un soin de fin de vie. Ce n’est pas un service qui peut être commercialisé. C’est pour ça que la loi est claire sur les lieux où le soin peut être fait, c’est-à-dire dans un établissement de santé, dans une maison de soins palliatifs ou à domicile » affirme l’ex-députée Véronique Hivon.

Une pratique inappropriée

Sonia Bélanger, la ministre déléguée à la Santé, déclare quant à elle être « tout à fait contre ce phénomène qui surgit ». Elle a demandé à ses équipes de vérifier si cette pratique respecte la loi.

« La mission des salons funéraires, c’est d’organiser des funérailles. De rendre hommage. D’organiser des sépultures. Tout le travail en lien avec les cimetières, les rituels et les célébrations. Ils ont une mission qui est importante, mais de faire des liens avec l’aide médicale à mourir, c’est un sujet qui demande énormément de prudence. Je trouve que c’est vraiment inapproprié à ce stade-ci », ajoute-t-elle.

Olivia Nguyen, professeure adjointe à la faculté de médecine de l’Université de Montréal et présidente de la Société québécoise des médecins de soins palliatifs ajoute que cette pratique « soulève des enjeux éthiques complexes, entre autres sur la monétisation de la mort ». Selon le Dr Claude Rivard, omnipraticien et expert-praticien de l’« aide médicale à mourir » à l’hôpital Pierre-Boucher à Longueuil, « [c’est] une occasion d’affaires que ces gens-là voient. Il y a un marché au Québec. En 2021-2022, environ 5 % des décès se sont faits par l’aide médicale à mourir. Il y a un engouement pour ce mode de fin de vie ».

Les mentalités ont évolué

Depuis l’entrée en vigueur de la « loi concernant les soins de fin de vie », le nombre d’euthanasies ne cesse d’augmenter au Québec (cf. Canada : les chiffres témoigne d’une explosion de l’aide médicale à mourir en 2021). De 63 personnes en 2015-2016, il est passé à 3.663 en 2021-2022. La Commission sur les soins de fin de vie estime que la suppression du critère de « fin de vie » en 2020 et de celui de « mort naturelle raisonnablement prévisible » en 2021 ont accéléré cette tendance (cf. Canada : l’élargissement sans limite de l’« aide médicale à mourir »).

Jocelyn Maclure, coprésident du Groupe d’experts sur la question de l’inaptitude et de l’« aide médicale à mourir » et professeur au département de philosophie de l’Université McGill, reconnait que le rapport des Québécois à la mort a beaucoup évolué depuis la légalisation de l’euthanasie (cf. L’euthanasie devient « une option de fin de vie » au Canada).

« Le premier patient à qui j’ai fait la procédure venait d’un milieu rural. Sa conjointe à l’époque se faisait accrocher à l’épicerie pour se faire dire que ça n’avait pas d’allure, ce qu’il avait fait. Là, on se fait dire que ça n’a pas de bon sens qu’on n’administre pas l’aide médicale à mourir aux personnes inaptes ou avec des troubles cognitifs. C’est vous dire combien les mentalités ont évolué. C’est vraiment impressionnant » explique le Dr Richard Dumouchel (cf. Canada : méconnaissance des soins palliatifs et euthanasie des sans-abris ?).

 

Source : La Presse, Hugo Pilon-Larose (19/05/2023) – Photo : Pixabay

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