Canada : une étude de Cambridge alerte sur l’”aide médicale à mourir”

23 Juil, 2023

Une étude publiée par l’université de Cambridge et portant sur l’« aide médicale à mourir » (AMM ou MAiD en anglais [1]) au Canada souligne « l’absence de vrais garde-fous, et l’augmentation importante des cas liés à des situations de handicap, de précarité ou de souffrances psychologiques ».

Une pratique en extension

En 2015, dans l’affaire Carter c. Canada, la Cour suprême du Canada déclarait que l’interdiction absolue du suicide assisté et de l’euthanasie prévue par le Code criminel était inconstitutionnelle. En réponse, le Parlement a adopté en 2016 le projet de loi C-14 visant à autoriser l’« aide médicale à mourir » pour les adultes dont la « mort naturelle [est] raisonnablement prévisible ». Puis, en 2021, le projet de loi C-7 a élargi l’admissibilité aux personnes handicapées. Cette année-là, 3,3% des décès au Canada étaient dus à l’AMM. Dans certaines régions, le taux a même dépassé 7%. Au total, 10.064 décès par AMM ont été comptabilisés au Canada en 2021, contre 486 en Californie alors que l’Etat a à peu près la même population. Le Canada envisage désormais d’ouvrir l’accès aux personnes atteintes de maladies mentales (cf. Canada : un projet de loi pour retarder d’un an l’élargissement de l’AMM aux maladies mentales).

Alors que certains pays comme la France envisagent de légaliser des pratiques similaires (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie), un groupe de travail composé de médecins et d’un expert juridique a examiné les données et les rapports de cas du programme MAiD canadien (cf. Canada : l’élargissement sans limite de l’« aide médicale à mourir », Face au handicap ou à la pauvreté, l'”aide médicale à mourir” se généralise au Canada).

L’étude a notamment mis en lumière le caractère inadéquat de la collecte de données, soulignant « l’absence de mécanisme permettant d’identifier ou de découvrir objectivement, de manière prospective ou rétroactive, les erreurs ou les abus du processus ».

Un défaut de surveillance

L’un des problèmes soulevés dans l’étude de l’université de Cambridge est le défaut de surveillance. « Au lieu que le Gouvernement accepte la responsabilité de mettre en place des procédures d’enquête, le ministre de la Justice a déclaré que le contrôle devait être assuré par les membres de la famille qui se plaignent après coup pour déclencher des actions disciplinaires ou des enquêtes de police ». Un constat relevé notamment dans deux affaires concernant, dans le premier cas, un homme souffrant d’une « perte auditive » (cf. Canada : euthanasié pour “perte auditive”) et, dans le second cas un homme ayant subi une commotion cérébrale (cf. Canada : « L’accès à des médecins spécialistes prend des mois quand l’accès à l’’aide médicale à mourir’ peut prendre quelques jours »). Alors qu’ils n’étaient pas en phase terminale, les deux hommes ont eu accès à l’AMM.

L’AMM : une « option de traitement » ?

D’autres cas recensés dans l’étude indiquent que l’AMM pourrait être présentée comme une « option de traitement » parmi d’autres. Une affirmation illustrée par l’histoire d’un vétéran qui, à défaut d’obtenir une rampe d’accès pour fauteuil roulant, s’est vu proposer l’AMM (cf. Canada : l’euthanasie proposée à plusieurs vétéransCanada : le ministère des anciens combattants propose à nouveau l’euthanasie).

Vers un « droit positif » à l’AMM ?

« En fin de compte, ce n’est pas une maladie génétique qui m’a emportée, c’est un système », écrit Sathya Dhara Kovas, souffrant d’une maladie dégénérative. En raison d’un manque de ressources, elle a eu recours à l’AMM à 44 ans, alors qu’elle voulait vivre.

Ce cas, rappelé par l’université de Cambridge dans son étude, illustre le fait que « la décision est interprétée par beaucoup comme créant un droit positif d’accès à l’AMM, même lorsque d’autres formes de soins médicaux sont disponibles et que la souffrance psychosociale peut être atténuée ».

Des raisons financières ?

« Il est plus facile d’accéder à l’AMM que d’obtenir un fauteuil roulant dans certaines parties du pays » a expliqué le ministre de l’Inclusion des personnes handicapées, Carla Qualtrough. En effet, le Gouvernement fédéral s’est engagé à rendre l’AMM universellement disponible dans tout le pays, notamment en imposant des obligations de financement aux autorités sanitaires provinciales. Pourtant en parallèle, l’étude note « les lacunes importantes dans le financement public des produits pharmaceutiques, des conseils en santé mentale et des soins dentaires », ainsi que « les temps d’attente (…) longs pour de nombreux services médicaux et d’aides aux personnes handicapées financés par l’Etat ».

Selon le bureau du budget du Parlement canadien, les économies liées à l’extension de l’AMM seraient importantes (cf. Canada : 1200 euthanasies en plus, 149 millions de dollars de frais de santé en moins). « Tout pays confronté à des pressions financières devrait s’inquiéter des incitations perverses à la réduction des coûts qui sont intégrés dans un système de soins de santé » indique l’étude.

L’absence de définition claire dans la législation

La banalisation et l’extension de l’« aide médicale à mourir » s’expliqueraient également par l’imprécision du terme « mort naturelle raisonnablement prévisible » dans la législation. Selon la jurisprudence, « la mort d’un patient n’a pas besoin d’être imminente et (…) son état n’a pas besoin d’être en phase terminale pour répondre [à ces] critères ». Par conséquent, dans certains cas, les personnes dont la « mort naturelle [est considérée comme] raisonnablement prévisible », peuvent encore avoir de nombreuses années à vivre.

De plus, l’étude souligne également que « la souffrance est définie de manière subjective et peut être enracinée dans la détresse psychosociale » (cf. Canada : un homme bientôt sans domicile demande l’euthanasie, feu vert du médecinSans logement adapté, une femme handicapée demande l’« aide médicale à mourir »).

En outre, « il n’est pas exigé que les traitements standard de meilleure pratique aient été tentés de manière appropriée, ni même qu’ils soient accessibles ». Certains personnes ont recours à l’AMM alors qu’elles sont sur liste d’attente pour un traitement.

Un danger pour les Canadiens marginalisés et vulnérables

Trois experts des Nations unies en matière des droits de l’homme, ainsi que plus d’une centaine d’organisations canadiennes de défense des personnes handicapées et d’autres groupes, ont fait valoir que « les lois canadiennes sur l’euthanasie et le suicide assisté mettent en danger la vie des Canadiens marginalisés et vulnérables » (cf. Euthanasie de personnes handicapées : des experts des Nations unies inquiets).

 

[1] pour Medical Aid in Dying

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