Le 11 janvier, Catherine Vautrin a été nommée ministre de la Santé en remplacement d’Agnès Firmin Le Bodo, ministre par intérim suite à la démission d’Aurélien Rousseau. L’actuelle présidente du Grand Reims devient ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités. Un ministère très large et un rôle de premier plan dans le nouveau Gouvernement de Gabriel Attal, mais une nomination qui suscite des interrogations.
La santé semble « passer au second plan »
Pour la première fois depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, sous prétexte de « Gouvernement resserré », la santé n’est plus un ministère de plein exercice.
Agnès Giannotti, présidente du principal syndicat de médecins généralistes libéraux, MG France, a fait part de ses « interrogations » dans le Parisien. « Est-ce que cette nomination est le signe que la santé est un sujet très important méritant un grand ministère, ou bien est-ce le signe qu’elle ne mérite pas un ministère à part entière ? ». Le président du syndicat Avenir Spé, Patrick Gasser, considère, lui, qu’avec ce grand ministère, la santé semble « passer au second plan ».
Après ce remaniement, ce sera la septième ministre de la Santé nommée sous la présidence d’Emmanuel Macron. Jamais sous la Ve République l’avenue de Ségur n’a connu une telle instabilité.
Alors que 83% des Français placent la santé au premier rang de leurs préoccupations [1], et que 59% estiment que le système sanitaire fonctionne mal, « quelles conclusions devons-nous tirer sur l’importance accordée par le Gouvernement aux sujets liés à la santé ? A quand la fin du jeu des chaises musicales ? » s’indigne le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux. Cette fois, combien de temps la nouvelle ministre restera-t-elle en place ? Aura-t-elle le temps d’aller au bout des « chantiers » ?
« Anticiper les attentes de la société c’est majeur en politique »
Titulaire d’une maîtrise en droit des affaires, l’ex vice-présidente de l’Assemblée nationale, âgée de 63 ans, est une « politique accomplie ».
Ses partisans louent « son autorité naturelle » quand ses détracteurs évoquent la façon dont « elle tient d’une main de fer » le Grand Reims d’après le Figaro.
Membre des Républicains (LR) avant de rejoindre Emmanuel Macron durant sa deuxième campagne présidentielle, elle a été députée de la Marne de 2002 à 2004 puis de 2007 à 2017, et a siégé à la commission des Affaires économiques. Sous le Gouvernement Raffarin, elle a en outre occupé différentes fonctions : secrétaire d’Etat à l’Intégration et à l’Egalité des Chances, puis aux Personnes âgées, et enfin ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité l’année suivante.
Défendant une « alliance civile » avec « des droits patrimoniaux », elle s’est engagée contre le mariage des couples homosexuels (cf. « Mariage pour tous » : le Parlement européen réclame une reconnaissance dans toute l’UE). Une prise de position qui l’a empêchée d’être nommée à Matignon en 2022. « Anticiper les attentes de la société c’est majeur en politique. Il y a 10 ans en ne votant pas le mariage pour tous, j’ai raté ce rendez-vous qui est aujourd’hui devenu une évidence. La loi accompagne celles et ceux qui veulent vivre leur bonheur et c’est une très bonne chose » s’est-elle finalement excusée en avril 2023 sur X. Les associations LGBT ont cependant fait part de leurs « profondes inquiétudes » après la nomination de Catherine Vautrin. Un « mauvais signal » envoyé selon elles.
Une « inconnue au bataillon » pour les professionnels de santé
La santé n’a jamais été le domaine de compétence de Catherine Vautrin, même si différents points l’y unissent.
Présidente de Reims Métropole, elle travaille en effet en binôme avec Arnaud Robinet, maire de Reims et président de la Fédération hospitalière de France. En outre, son mari, Jean-Louis Pennaforte, est professeur de médecine et ancien chef de clinique au CHU de Reims.
Quoi qu’il en soit, la nouvelle ministre est méconnue du monde de la santé. Le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, parle, dans le Quotidien du Médecin, d’une « inconnue au bataillon ». Le Dr Claude Pigement, ancien « monsieur santé » du Parti socialiste, ajoute quant à lui : « elle connaît bien les collectivités locales, les solidarités et les prestations sociales en tant qu’élue locale… Mais elle n’a absolument aucune compétence particulière sur la santé, qui est pourtant la deuxième préoccupation des Français ». Il se demande donc « Quelles seront ses priorités ? ».
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à la Santé ?
Le sujet de la santé sera confié à une ministre déléguée. Cette « organisation » a déjà existé, lors du troisième Gouvernement Fillon, ou de celui de Jospin, même si beaucoup la regrettent.
Agnès Pannier-Runacher, ancienne ministre de la Transition Energétique, devrait être nommée à ce poste en début de semaine prochaine selon France Info.
Son expérience dans le domaine de la santé est, elle aussi, mince. Elle se limite à son passage à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, où elle a dirigé le cabinet de la directrice générale de l’APHP, Rose-Marie Van Lerberghe, comme le rapporte France info. Elle a aussi piloté la « task force » pendant la crise du Covid afin de relancer la production de masques en France et de négocier le prix des vaccins avec les laboratoires. Pas de quoi rassurer les soignants.
« Notre système de santé et notre secteur médico-social ne manquent pas de défis »
Les sujets sont pourtant nombreux et la tâche s’annonce ardue. « Notre système de santé et notre secteur médico-social ne manquent pas de défis » a d’ailleurs reconnu Catherine Vautrin le 12 janvier, lors de sa passation de pouvoir avec Agnès Firmin Le Bodo et Aurore Bergé, en charge des Solidarités et des Familles, au ministère de la Santé. Elle a promis de consacrer « toute (s)on énergie » à « réarmer notre système de soin ». Reste à voir ce qui sera réellement fait.
La ministre hérite de la loi « grand âge » promise par Aurore Bergé, mais désormais nommée ministre déléguée chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les Discriminations (cf. Grand âge : le manque d’ambition de l’exécutif ?). Aboutira-t-elle enfin (cf. « Bien-vieillir » : les députés adoptent la loi, mais « les vieux méritent mieux ») ?
Coté santé, l’hôpital est en crise profonde et 30 % des Français vivent dans un désert médical (cf. Téléconsultations dans les gares : des territoires « encore un peu plus considérés comme de second rang »). Sans oublier la fin de vie, un sujet particulièrement sensible.
« Je n’oublie pas ce grand sujet de la fin de vie »
La loi sur la fin de vie, jusque-là portée par Agnès Firmin Le Bodo, est en attente de l’arbitrage final d’Emmanuel Macron. Elle devrait être présentée en février (cf. Fin de vie : « la volonté exprimée par le président de la République sera tenue »).
Un préprojet a d’ores et déjà été révélé dans la presse (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « le mépris affiché à l’égard de soignants désormais qualifiés de secouristes à l’envers), mais Emmanuel Macron souhaite prendre son temps (cf. Fin de vie : le président de la République « assume de prendre le temps »). Il a déjà repoussé l’échéance à plusieurs reprises. La loi pourrait-elle « partir » avec Agnès Firmin Le Bodo ? C’est peu probable.
« Je n’oublie pas ce grand sujet de la fin de vie » a indiqué la nouvelle ministre, sans en dire davantage, lors de la passation de pouvoir. Selon France info, Catherine Vautrin, serait « historiquement opposée à toute légalisation de l’aide active à mourir ». Elle devra désormais partager sa position sur ce dossier sensible qui soulève une vive opposition des soignants (cf. (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »).
Alors que le projet de loi visant à inscrire l’IVG dans la Constitution doit être discuté à l’Assemblée nationale le 24 janvier, porté par le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, ses propos sont en revanche plus clairs du côté de l’avortement (cf. IVG dans la Constitution : le projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 24 janvier). Le 12 janvier, lors de sa passation de pouvoir, la ministre a déjà évoqué le projet de loi alors que certains s’inquiétaient de sa position sur le sujet. « En entrant ici, je veux immédiatement rendre hommage à l’une de mes prédécesseures (…), Simone Veil », au moment « où son texte fondateur doit être gravé dans le marbre de notre Constitution » a ainsi déclaré Catherine Vautrin (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : le « mensonge qui tue » en « étendard »).
En 2017, alors qu’elle était députée de la Marne, la ministre avait fait partie des députés LR signataires d’une saisine du Conseil Constitutionnel sur la « loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse » (cf. Le Conseil Constitutionnel juge conforme le délit d’entrave mais émet deux réserves). Il semble que sur ce sujet, comme celui du « mariage pour tous », la ministre ait changé de position. Qu’en sera-t-il de la fin de vie ?
[1] selon une enquête Ifop publiée en décembre 2022