31 auditions en 2 mois. Jeudi, Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, était la dernière à être entendue par la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti présidée par Olivier Falorni (MoDem et Indépendants). Juste avant elle, le Collectif Handicaps (cf. Fin de vie et handicap : « L’aspect économique ne doit jamais primer »), la fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD), et la fédération hospitalière des centres de lutte contre le cancer (Unicancer) ont également été auditionnés.
Toujours beaucoup d’a priori face au handicap
La question du handicap a été abordée par la mission in extremis. Axelle Rousseau, chargée de plaidoyer, explique que le collectif s’est focalisé spécifiquement sur les personnes lourdement handicapées qui ne peuvent pas s’exprimer et n’ont jamais pu le faire. « Peut-on prendre une décision pour autrui ? », interroge-t-elle, pointant la « question de l’influence des médecins sur la décision finale ».
Or la vie future des personnes handicapées ne peut pas être objectivée, affirme-t-elle. « Elle n’est pas linéaire. » « L’état des personnes polyhandicapées peut s’améliorer », abonde Marie-Christine Tezenas du Montcel, présidente du groupe Polyhandicap France et membre du comité exécutif du Collectif Handicaps. Elles démontrent une « rage de vivre », témoigne-t-elle, prenant l’exemple de son fils qui a vécu 30 ans et « a été très heureux ».
Leurs vies « valent la peine d’être vécues ». Mais les préjugés questionnent leur « utilité », déplore Marie-Christine Tezenas du Montcel. Ce que semble confirmer la question de Didier Martin (Renaissance), rapporteur de la mission : « Comment peut-on savoir qu’une personne qui n’a jamais pu s’exprimer a vécu heureuse ? », interroge-t-il. Comme pour un bébé de trois mois, « la communication n’est pas seulement verbale », lui répond Marie-Christine Tezenas du Montcel. Ces personnes peuvent « ressentir un bonheur, sourire ou non, avec des manifestations non verbales nombreuses ». Il faut se méfier des stéréotypes, prévient-elle, encourageant à ne pas se précipiter dans la prise de décisions. Et il ne faut pas que « la dimension économique prime sur la dimension éthique », interpelle Axelle Rousseau.
Un accompagnement de chacun
« Il y a autant de vies, que de fins de vie, que de personnes », affirme Marie-Christine Tezenas du Montcel, prônant une « individualisation des pratiques » en prenant en compte la parole des familles et des professionnels de proximité du quotidien. Et « l’individualisation, c’est une question de moyens et de temps », précise Axelle Rousseau. « Il faut que le soignant ait les moyens et le temps d’accompagner le patient. »
La « qualité de vie » est une notion très subjective, pointe Marie-Christine Tezenas du Montcel. « C’est pour cela qu’il faut vraiment prendre l’avis des proches. » Elle plaide aussi la suspension des décisions médicales lorsque la famille n’est pas d’accord. Il est nécessaire qu’il y ait une « vraie concertation » entre la famille et le corps médical.
Axelle Rousseau revient sur l’alimentation et l’hydratation artificielles, qui sont des « actes de la vie quotidienne » pour certaines personnes handicapées. Ces actes ne peuvent pas être considérés comme des traitements pour elles.
Les directives anticipées : un dispositif inapproprié ?
« Les parents n’aiment pas signer des directives anticipées pour leur enfant, parce qu’ils savent que l’état peut évoluer et leur avis peut changer », indique Marie-Christine Tezenas du Montcel. D’autant plus qu’il y a « des personnes handicapées qui sont en état de soins palliatifs toutes leur vie ».
Caroline Fiat (LFI), rapporteur de la mission, déplore l’absence de directives anticipées en FALC (facile à lire et à comprendre). « Déjà la Fondation Jérôme Lejeune nous en avait parlé », précise-t-elle, pour conclure qu’il y aurait des recommandations en ce sens.
Agnès Firmin Le Bodo indique quant à elle qu’une campagne dédiée aux directives anticipées serait lancée en 2023, après la Convention citoyenne et les travaux de l’Assemblée nationale. Une campagne envers le grand public, les soignants et les professionnels du secteur médico-social. La ministre déclare également qu’un soutien financier serait accordé aux associations notamment pour faire mieux connaître les droits sur la fin de vie et aider à la rédaction de directives anticipées adaptées à des situations de handicap.
Redécouvrir que l’on est mortel
Elisabeth Hubert, présidente de la FNEHAD, pointe que les demandes de sédation, ou de « fin de vie active », sont moindres « quand on anticipe la question de la prise en charge en soins palliatifs ». La question ne serait-elle pas celle des priorités ? Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer, abonde : « en cancérologie les patients attendent qu’on les aide à vivre et non à mourir ».
« La vieillesse, la maladie, la dégradation sont des difficultés à affronter. La mort ne fait plus partie de notre environnement, déplore Elisabeth Hubert. Elle apparaît comme une anomalie. » Car « les progrès de la science sont tels qu’on ne comprend plus pourquoi on n’arrive pas à être soigné ». Agnès Firmin Le Bodo partage le constat : « Nous évacuons le mot “mort” de notre vocabulaire. Il y a un sujet sur le rapport à la mort ». Pourtant « nous allons tous mourir, c’est un point qui nous rassemble ».
Elisabeth Hubert alerte aussi au sujet des personnes âgées : « c’est le regard que l’on porte sur la dégradation de l’état physique qui amène une personne âgée à se sentir comme “une gêne” alors qu’elle ne souhaite pas mettre fin à sa vie », analyse-t-elle. Une proposition de loi sur le « bien vieillir » sera présentée dans « les semaines à venir », annonce Agnès Firmin Le Bodo.
Vers un plan décennal pour les soins palliatifs ?
Pour la ministre auditionnée, « la loi de 2016 permet de mieux répondre à la demande de mourir dans la dignité par une meilleure prise en charge de la souffrance et une clarification de la sédation profonde et continue jusqu’au décès en phase terminale ». Mais des « progrès » restent à faire, estime-t-elle.
Sur la question de la sédation, Agnès Firmin Le Bodo regrette « une mauvaise appréciation de l’impact de l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation ». Un manque de formation sur le sujet, juge-t-elle.
Mais, plus généralement, « les soins palliatifs sont encore vécus comme un échec par certains soignants », déplore la ministre. « Le care ne fait pas partie de la formation des médecins. » Elle souhaite faire évoluer les choses et se déclare favorable à une « traçabilité des financements » pour que les financements dédiés aux soins palliatifs aillent bien aux soins palliatifs.
Elle a pris l’engagement de réviser la circulaire de 2008 organisant les soins palliatifs. Ce qui devrait être fait en mai, puis tous les 5 ans. Mais les plans successifs en la matière n’ont pas permis d’atteindre une égalité d’accès. Dès lors, « une stratégie à plus long terme pourrait être réfléchie » (cf. Vers un plan décennal pour les soins palliatifs ?).
Vers une proposition de loi ? A moins d’un projet de loi ?
Agnès Firmin Le Bodo explique avoir mené des travaux sur trois volets : « le choix de la fin de vie, le renforcement des soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie », par exemple en matière d’accompagnement du deuil, ou du rôle des aidants.
Plus de 150 entretiens ont été menés, un groupe parlementaire transpartisan a été constitué sous la direction d’Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, un groupe de soignants, un autre d’usagers, un en charge des « mots » (cf. Fin de vie : un nouveau groupe d’experts pour “travailler sur les mots”). La ministre explique s’être également rendue à l’étranger : en Suisse, en Belgique, en Espagne, au Royaume-Uni, en Italie ou dans l’Oregon, afin de comprendre les différents « modèles » en vigueur ailleurs. Finalement, elle en tire une seule certitude explique-t-elle : « aucun modèle d’aucun pays n’est duplicable dans le nôtre ».
En outre la ministre indique avoir visité plus de 14 unités de soins palliatifs, dont des unités pédiatriques, des associations, des patients. « Des rencontres enrichissantes, mais des échanges difficiles. »
Alors quelle issue à ces travaux ? L’« aide active à mourir » recueille-t-elle les faveurs de l’exécutif ? Fera-t-elle l’objet d’un projet de loi ? « Oui, non, ou joker ? », interroge Didier Martin. La ministre reste sur la réserve. Joker donc.
De son côté la mission parlementaire aura entendu 90 personnes lors des 31 auditions menées. Son rapport sera présenté à la Commission des affaires sociales le 29 mars prochain, 4 jours seulement avant la clôture de la Convention citoyenne.
« Vous avez dit en préambule : “on attend ce que va dire la Convention citoyenne sur la fin de vie” », pointe Justine Gruet (Les Républicains), reprochant à Agnès Firmin Le Bodo de sembler moins intéressée par les travaux des élus de la République (cf. Fin de vie : une convention manipulée ?).
« Nous ne prétendons pas à l’exhaustivité, mais nous avons essayé d’explorer les différents aspects et avons abordé des enjeux spécifiques, déclare Olivier Falorni en conclusion. Nous sommes aussi allés à la rencontre des soignants et des malades sur le terrain. » Voudrait-il en tirer la légitimité d’une future proposition de loi ? Le texte est prêt, son premier article avait été voté le 8 avril 2021 (cf. La PPL Falorni tombe en désuétude – le spectacle exagéré des promoteurs de l’euthanasie).