Convention citoyenne : beaucoup de questions, peu de réponses

23 Jan, 2023

La phase de « délibération » de la convention citoyenne s’est poursuivie ce week-end, avec une quatrième session qui semble avoir laissé les participants sur leur faim.

Des « regards internationaux » tournés en majorité vers l’euthanasie

Une première table ronde a rassemblé quatre intervenants venus présenter les situations au Québec, en Oregon, aux Pays-Bas et en Italie. Les situations belge et suisse avaient fait l’objet d’une audition lors de la première session, dans le cadre de la « phase d’appropriation » (cf. Lancement de la convention citoyenne : beaucoup de questions, et d’inquiétudes).

Quatre intervenants, dont trois militants en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté. Ainsi, Michel Bureau, président de la Commission des soins de fin de vie au Québec, recense l’euthanasie parmi les « soins » de fin de vie. Il précise d’ailleurs qu’au Québec, l’« aide médicale à mourir » étant considérée comme un « soin », elle est prise en charge par la sécurité sociale (cf. Canada : 1200 euthanasies en plus, 149 millions de dollars de frais de santé en moins). Dans cette région où plus de 5% des décès sont dus à une euthanasie ou un suicide assisté, il est question d’autoriser les mineurs de plus de 14 ans et les personnes atteintes d’une maladie mentale à y recourir.

Francesca Re, avocate au sein de l’association italienne Luca Coscioni (cf. Italie : un premier homme meurt par suicide assisté), milite pour le suicide assisté. Elle estime que les personnes alitées qui ne peuvent s’administrer elle-même une substance mortelle font face à une situation de « discrimination ». C’est le point de vue qu’avait exprimé le CCNE dans son dernier avis sur le sujet (cf. Avis du CCNE : en marche vers “l’aide active à mourir” ?). En Italie, le suicide assisté est légalisé depuis deux ans. On ne dispose pas encore de chiffres officiels, indique l’avocate.

Seule voix dissonante : celle de Théo Boer, professeur et ancien membre du comité de contrôle de l’euthanasie du gouvernement néerlandais. Favorable à la légalisation de la pratique, il a depuis mesuré l’ampleur du bouleversement provoqué. Aux Pays-Bas, le nombre d’euthanasies a quadruplé depuis 2005, pour atteindre « plus de 8000 cas par an », soit 5% de tous les décès. Dans ce pays, l’euthanasie est autorisée pour les enfants âgés de 1 à 11 ans. La question encore débattue est celle des personnes âgées, sans problèmes médicaux graves mais souffrant par exemple de solitude (cf. L’euthanasie des bien-portants dès 75 ans pour « vie accomplie ». Bientôt aux Pays-Bas ?). « L’offre est destinée à créer la demande », alerte Théo Boer (cf. Euthanasie aux Pays-Bas : « Regardez ce pays et vous verrez peut-être la France de 2040 »). Pourtant « tuer ne devrait pas être une tâche de médecin ».

La question des « souffrances réfractaires »

Après une audition sur « les moyens mis en œuvre dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti » et le dernier plan national de soins palliatifs (cf. Cinquième plan pour les soins palliatifs : des ambitions, peu de moyens), au cours de laquelle Louis-Charles Viossat de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a indiqué que seul « un nombre très réduit » de sédations profondes et continues maintenues jusqu’au décès sont déclarées [1], c’est l’épineuse question des souffrances dites « réfractaires » qui a fait l’objet de la dernière table ronde de cette quatrième session. L’objectif était de « comprendre ce qu’elles sont et quelle prise en charge elles impliquent, avec des personnes qui connaissent ce sujet sur le terrain ».

Les souffrances réfractaires peuvent être d’ordre physique ou psychologique indiquent les intervenants. Francis Jubert, membre de l’association le LIEN et coordinateur d’équipes de soins palliatifs à domicile, pose la question des « souffrances existentielles ». Est-il seulement possible de les faire disparaître, interroge-t-il. Face à elles, il souligne le rôle des proches, un « rôle essentiel ». Ce qui importe est le « soin relationnel » estime-t-il, alertant au passage quant à l’« angoisse financière » des patients. « Sans loi grand âge, le soutien financier pour les patients n’est prévu que pour 6 mois ». Cette loi avait été reportée sine die lors du précédent quinquennat (cf. Une proposition de loi sur le grand-âge pour oublier la promesse non tenue ?).

Les souffrances réfractaires peuvent également être d’ordre physique. « Si un établissement n’a pas accès à [certains] traitements, on peut considérer la souffrance comme réfractaire parce qu’on a rien pour la soulager », explique Stéphane Picard, médecin algologue, chef de service adjoint Pôle Soins Palliatifs du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon. Serait-il seulement question d’approvisionnement ?

Un citoyen interroge : « A-t-on un pourcentage de souffrances réfractaires qui demeurent en soins palliatifs malgré la compétence des équipes ? » Pour le Dr Picard, le pourcentage est « faible ». Dès lors, justifie-t-il une nouvelle loi ? Jonathan Denis, Président de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), les avaient copieusement invoquées face à Claire Fourcade, médecin de soins palliatifs et présidente de la Société Française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), lors de leur débat pendant la troisième session de la convention (cf. Convention citoyenne : début (et fin ?) de la délibération). Mais pour le médecin, le rôle de la loi n’est pas de répondre à toutes les situations singulières. « Ce n’est pas de loi qu’on manque, c’est de moyens », tranchait-elle alors. « On est obligés de fermer des lits par manque de personnel », déplore dans ce sens Stéphane Picard. Nathalie Maka, membre du Collectif Solidarité Charcot, Présidente de l’association Les enfants de la SLAF, précise que les patients atteints de la maladie de Charcot ne sont pas hospitalisés. Dès lors c’est l’aidant qui « gère tout ». Les patients se sentent un « poids » pour leur proche, et « par amour demandent la mort ».

Prendre le temps de mourir

Sidi-Mohammed Ghadi vice-président de France Assos Santé et « patient expert » insiste sur la notion de temps. « Les soins palliatifs c’est tout sauf l’urgence », abonde Francis Jubert. « Le mourir, ça demande du temps ».

Au terme de la table ronde, la notion de « souffrances réfractaires » n’aura finalement pas été précisément définie. Et les conventionnaires semblent être restés sur leur faim. En effet, le premier avis des « garants »[2], bien que considérant « un certain pluralisme » dans les auditions, relève que « des arguments, souvent partiels, sont également issus de présentations d’invités ou d’experts ». Or, la phase délibérative est « dépendante de la qualité et de la diversité des arguments et des contre-arguments », rappellent les garants. « Emettre des propositions est assez facile, voire les sélectionner par toutes sortes de procédures, soulignent-ils. Produire des arguments pour les justifier – ou au contraire les invalider -, est bien plus difficile, mais essentiel pour un débat de qualité et pour asseoir les recommandations qui vont être formulées par la Convention. »

« Même avec un souci de comparatiste international, on retrouve souvent les mêmes arguments », pointe l’avis des garants. Une réaction peu surprenante étant donnés les intervenants choisis. N’existe-t-il aucun médecin belge ou suisse remettant en cause le « modèle » mis en place dans leur pays ?

Par ailleurs, les citoyens réitèrent leur demande d’être confrontés à la réalité de terrain. « Pour l’heure, les situations ont été décrites par procuration ou, au mieux, par des personnels soignants ou des accompagnants, regrettent les participants. L’invitation de personnes (par exemple, association de patients, ou patients) peut aider à documenter plus directement ces situations, insistent-ils. De même, le souhait exprimé par plusieurs citoyens de visites de terrain, éventuellement en petits groupes régionaux, peut contribuer à documenter la diversité de ces situations afin de laisser la parole aux personnes directement concernées. » L’invitation avait été lancée par la SFAP. Sera-t-elle honorée avant la fin de la phase de délibération prévue pour durer deux sessions encore seulement ?

Des citoyens qui ne sont pas dupes

Dans son premier avis, les garants reviennent également sur le « vote » qui avait eu lieu, sans annonce préalable, lors de la session précédente[3]. Un vote « présenté de façon prêtant à confusion et sur une question mal formulée » dénoncent-ils. Pour eux, il s’agit d’un « incident » qui « met en jeu les principes de sincérité, de transparence et de respect de la parole des citoyens ».

Finalement les garants rappellent que « lors de la Session 1, il a été annoncé que le CESE devra remettre un avis séparé – qui est en préparation – sur la même question ». En conséquence, « le Collège des garants invite à veiller à ce que sa communication soit bien distincte et indépendante de l’avis des conventionnels ». « Il faut également que l’avis du CESE trouve la place la plus pertinente par rapport à la réponse des conventionnels – dont la forme reste à définir – à la question posée », insistent-ils.

Comme l’a rappelé Pierre-Antoine Gailly, ancien membre du CESE, lors de son audition par la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti jeudi dernier (cf. Fin de vie : le CESE et le CNSPFV auditionnés), le Conseil avait émis un rapport favorable à l’euthanasie en 2018. Son avis à venir laisse peu de place à la surprise. Les participants auraient-ils compris que leur opinion risque de ne pas peser lourd dans la balance ?

 

[1] Il estime que leur mise en œuvre est « souvent peu rigoureuse », faute de moyens et de formation, la procédure étant « complexe ». Voir également son audition par la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti (cf. Jean Leonetti : « La mort n’est pas un problème médical, la mort est un problème existentiel »).

[2] « Les garants ont notamment pour mission :

  • Se prononcer sur le respect des modalités de participation établies par le Comité de Gouvernance ; 
  • Formuler, lorsqu’ils l’estiment nécessaire, des avis et préconisations sur la mise en œuvre de la concertation (information du public, modalités de participation, déroulé de la concertation, restitution, reddition des comptes, etc.) ; 
  • Analyser le corpus de données issu des différentes modalités de concertation et établir un rapport final de restitution de la concertation ;
  • Veiller à la représentation de la pluralité des points de vue parmi les auditions réalisées et les experts reçus par la Convention, ainsi qu’à l’accessibilité des contenus par le grand public ; 
  • Certifier les résultats des votes lorsque, le cas échéant, de telles modalités sont mises en œuvre dans le cadre du déroulé des travaux de la Convention. »

[3] A l’issue de cette troisième session, un « vote informel » a été organisé. « Etes-vous, à ce stade, en faveur d’une évolution du cadre légal ?», a-t-on demandé aux participants de la Convention.

Photo : Pixabay

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