Ce week-end a eu lieu la troisième session de la Convention citoyenne. Une session qui inaugurait la « phase de délibération » prévue pour durer quatre week-ends, jusqu’à la fin du mois de février. Une phase qui va permettre de « rentrer dans la controverse », précise Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention.
Finalement, seul un jour sur les trois y sera consacré. Vendredi, les participants ont été replongés dans les données relatives à la fin de vie en France. « C’est sûr que si on ne travaille pas à côté, de retour à la maison, on est vite largué. Mais tout le monde ne fait pas l’effort », explique Nathalie. Résultat : « les connaissances de base des conventionnels restent parcellaires »[1].
Le dimanche a été dévolu à une « rencontre avec les spiritualités non-religieuses ». Six intervenants, tous favorables à l’euthanasie, dont quatre représentants d’obédiences maçonniques et deux philosophes. Une rencontre censée « compléter » l’audition des représentants des cultes intervenue lors de la session précédente, explique Claire Thoury.
Ainsi, la « délibération » a été cantonnée à la journée du samedi, avec un débat entre Claire Fourcade, médecin de soins palliatifs et présidente de la Société Française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) et Jonathan Denis, Président de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD). Une heure trente, seulement, pour expliquer des positions antagonistes et répondre aux questions de la salle.
Deux positions claires
Le débat a débuté par une présentation de chacun des intervenants. D’un côté, un militant de 39 ans qui a été confronté à la fin de vie douloureuse de son père, de l’autre, un médecin avec une expérience de 23 ans, exerçant dans la région de France où l’incidence de la maladie de Charcot est la plus forte. Claire Fourcade osera la métaphore, « pas très fine » mais parlante, de l’« omelette au lard ». Pour faire une omelette au lard, il faut des œufs et du lard : « La poule est concernée, le cochon est impliqué ». De même, entre « ceux qui veulent mourir » et « ceux qui vont mourir », la situation est radicalement différente. Leurs soignants sont également « impliqués ».
Face à Jonathan Denis qui réclame une « grande loi de liberté, d’égalité et de fraternité », Claire Fourcade pose la « question de fond sur le rôle de la loi ». « Est-ce que la loi peut répondre à toutes les situations singulières ? Est-ce qu’elle doit le faire ? », interroge-t-elle. « La loi fixe un cadre qui dit le permis et l’interdit », rappelle-t-elle. Et « le travail des soignants, c’est, dans ce cadre de faire du singulier ». « Ce n’est pas de loi qu’on manque, c’est de moyens », affirme la présidente de la SFAP, défendant la loi française. « On n’est pas en retard sur le chemin, on a choisi un autre chemin ».
Euthanasie et soins palliatifs : compatibles ?
Lors de sa prise de parole, le président de l’ADMD a affirmé son soutien au développement des soins palliatifs. « Un artifice rhétorique » dénoncé par l’avocat Erwan Le Morhedec sur twitter. L’ADMD n’a mené « aucune campagne de communication » en leur faveur, ni « aucune action concrète ». Pourtant avec « un budget d’un million d’euros et un fond de dotation de 5 millions », « il y aurait de quoi faire » pointe-t-il.
Il n’existe pas d’opposition entre soins palliatifs et euthanasie, prétend Jonathan Denis, évoquant « un développement massif » des soins palliatifs en Belgique. Alors qu’entre 2015 et 2021, la Belgique a perdu 21 places dans le classement international de prise en charge de la fin de vie [2], indique la SFAP. Par ailleurs, « de très grandes unités de soins palliatifs françaises sont dirigées par des médecins belges, venus travailler en France », souligne Claire Fourcade. « La cadre de santé de mon service est belge », témoigne-t-elle. A Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, et Agnès Firmin Le Bodo, ministre chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, venus visiter le service, elle a expliqué avoir « découvert les soins palliatifs en venant travailler en France ».
Les différents « modèles » remis en cause
Dans sa région de Narbonne, les patients belges et hollandais ne sont pas rares, témoigne Claire Fourcade. Des patients qui demandent parfois l’euthanasie, mais ne repartent pas dans leur pays y avoir accès. « Tout ça est infiniment plus complexe que ça en a l’air », insiste-t-elle.
Sur la question des dérives, Jonathan Denis estime que « ce qui a lieu dans les pays étrangers ne sont pas des dérives, ce sont des lois qui ont changé, qui ont évolué ». « Je ne crois pas aux dérives », explique-t-il. Mais en la matière, s’agit-il de croire ou de constater ?
Claire Fourcade mentionne le cas d’une jeune fille de 23 ans euthanasiée en Belgique (cf. Belgique : une victime des attentats euthanasiée à 23 ans), l’Oregon où 80% des demandes d’euthanasie répondent à « un sentiment de solitude ou d’être un poids pour les proches et la société », le Canada où l’on euthanasie des « gens vulnérables, des gens fragiles, des gens handicapés, des gens pauvres » (cf. Canada : l’élargissement sans limite de l’« aide médicale à mourir »). Alors que les médecins étaient assez majoritairement favorables au changement de loi, ils sont désormais 1,4% à accepter de pratiquer des euthanasies, indique la présidente de la SFAP.
« Aucun pays, aucun, qui a légalisé l’euthanasie n’a réussi à tenir les critères qu’il s’était fixés au départ. Ces critères vont toujours en s’élargissant, plus ou moins rapidement », rappelle le médecin. Certes, la loi n’oblige personne à être euthanasié, mais elle oblige chaque personne à l’envisager, à se demander si ce serait « mieux pour lui, pour ses proches, pour la société ». « Ce sont les hommes qui font la loi, mais la loi fait aussi les hommes », estime-t-elle.
Un élargissement de la prochaine loi française déjà en germe ?
Après avoir invoqué, comme un mantra, les « souffrances réfractaires », pour justifier l’euthanasie, Jonathan Denis précise que les souffrances « insupportables, inapaisables, réfractaires » doivent justifier l’accès à l’euthanasie, « même si le pronostic vital n’est pas engagé à très court terme ». Il mêle ainsi une notion médicale et objectivable, les souffrances réfractaires (cf. Fin de vie, sédation et soins palliatifs), avec le ressenti du patient, par définition subjectif.
Pour le président de l’ADMD, les souffrances psychiques doivent être prises en compte en matière d’accès à l’euthanasie. Chaque année on recense « 200 000 tentatives de suicide en France, 100 000 qui conduisent à des hospitalisations, 1 toutes les 6 minutes », rappelle Claire Fourcade. « Jusqu’à aujourd’hui notre société ne consent pas à la mort de ces personnes qui pourtant ont manifesté qu’ils voulaient mourir », pointe-t-elle. « Ces patients-là quand ils sont hospitalisés sont réanimés. C’est un choix collectif que l’on a fait. Notre société ne consent pas à la mort de l’un des siens et à organiser cette mort. » En matière de politiques de prévention du suicide, la présidente de la SFAP souligne « l’étendue du bouleversement » que représenterait la légalisation de l’euthanasie.
Jonathan Denis affirme que l’ADMD n’est favorable à l’euthanasie qu’uniquement concernant les personnes majeures. Mais il évoque dans la foulée le cas d’un adolescent qui aurait 17 ans. « Les questions que vous posez font bien entendre à quel point les questions des limites autour d’une loi comme ça sont impossibles », analyse Claire Fourcade, car « évidemment il n’y a pas de différence entre la souffrance entre un jeune de 18 ans et un jeune de 17 ans et demi ».
Des dés déjà jetés ?
La dernière question de l’hémicycle portera sur d’éventuels intérêts économiques en jeu. La présidente de la SFAP explique « s’interroge[r] sur la place actuelle des mutuelles dans ce débat ». « Extrêmement présentes dans le débat sur la fin de vie », elles sont « très favorables » à la légalisation de l’euthanasie. Or « on sait que les 6 derniers mois de la vie, c’est ce qui coûte le plus cher », rappelle-t-elle.
De nombreuses questions resteront sans réponses. Mais à l’issue de cette troisième session, un « vote informel » a été organisé. « Etes-vous, à ce stade, en faveur d’une évolution du cadre légal ?», a-t-on demandé aux participants de la Convention. Une consultation de « dernière minute » qui n’était pas inscrite au programme officiel et à laquelle certains conventionnaires se sont opposés. D’autres étaient déjà partis.
Finalement, après « un vote sur le vote », 105 votants sur 156 se sont prononcés en faveur de l’évolution de la loi. Seuls 13 ont affirmé y être défavorables, 38 se sont abstenus. Pour certains participants, qu’ils soient pour ou contre un changement du cadre législatif, cette consultation anticipée est « une manière de biaiser, d’orienter un débat qui reste à faire », témoigne l’un d’eux [3].
A ce stade, parmi les 77 propositions issues des ateliers de la Convention, seules les propositions visant une « meilleure information sur la fin de vie » ou le développement de « l’offre de soins palliatifs pour tous, partout » font l’unanimité.
[1] La Croix, Fin de vie, la Convention révise les notions de base, Antoine d’Abbundo (07/01/2023)
[2] Quality of death index
[3] La Croix, Fin de vie : la Convention s’oriente « en tendance » vers une modification du cadre légal, Antoine d’Abbundo (07/01/2023)
Photo : Steve Buissinne de Pixabay