« Quand on est tombé au champ dans la «guerre» du Covid 19, on a le droit à peu de choses. Dans le combat pour la vie, on a oublié l’accompagnement de la mort. » Pour Damien Leguay, philosophe et président du Comité national d’éthique du funéraire, il s’agit d’ « une rupture anthropologique ».
En effet, si toute l’actualité tourne autour des morts du Covid-19, « on ne connaît ni leur visage ni leur parcours. Ils sont comptés pour mieux disparaître dans l’anonymat des statistiques », explique le philosophe. Or, « ce paradoxe est extrêmement anxiogène ». Pour lui, « nous assistons au retour d’une mort arbitraire qui peut frapper à tout moment, plus proche de la grande faucheuse d’autrefois que de cette mort douce, maîtrisée par la médecine et aseptisée par la sédation à laquelle nous étions habitués. Mais si la mort est revenue dans l’actualité, les morts ont disparu ». Il ajoute : « Nous sommes donc passés d’une mort individuelle, circonscrite au cercle familial, à une mort collective mais sans discours ou cérémonie permettant aux Français d’entrer en deuil ».
Nous étions déjà dans une forme de déni, celui de « la «mort interdite», décrite par l’historien Philippe Ariès. « Le déni d’une société qui n’accepte pas le tragique et la finitude depuis les années 1950 ». Aujourd’hui, il faut en ajouter un second, celui d’une « mort réduite à la maladie » quand « lutter contre un virus devient plus important que de s’arrêter pour accompagner une famille en deuil. On se donne les moyens de sauver des vies mais on ne se donne pas les moyens d’enterrer correctement les morts ». On finit par occulter « les exigences anthropologiques de la mort, la nécessité de rendre hommage à la personne disparue, de se retrouver autour d’elle au travers de rites qui nous aident à surmonter l’insoutenable ».
Le deuil n’est « pas seulement une affaire privée mais une affaire publique » et même de « santé publique » qui imposerait des mettre en œuvre tous les moyens pour accompagner les familles en deuil.
Le Figaro, Agnès Leclair (11/05/2020)