Dans une décision du 10 novembre, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les « dispositions législatives relatives aux conditions dans lesquelles un médecin est susceptible d’écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie ». Le troisième alinéa de l’article L1111-11 du code de la santé publique qui prévoit la possibilité pour un médecin de refuser l’application « des directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient est ainsi validé dans sa rédaction actuelle.
Le Conseil constitutionnel avait été saisi par le Conseil d’Etat le 22 août suite à une question prioritaire de constitutionnalité (cf. Fin de vie : Le Conseil constitutionnel saisi sur la question des directives anticipées).
Des garanties insuffisantes ? #
Les requérantes, rejointes par l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés, reprochaient à un médecin d’écarter les directives anticipées d’un patient qui souhaitait « que soient poursuivis des traitements le maintenant en vie ».
Elles font valoir que ces dispositions du code « ne seraient pas entourées de garanties suffisantes dès lors que ces termes seraient imprécis et conféreraient au médecin une marge d’appréciation trop importante, alors qu’il prend sa décision seul et sans être soumis à un délai de réflexion préalable ». Cela aboutirait, en conséquence, à une méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et donc du droit au respect de la vie humaine, de la liberté personnelle et de la liberté de conscience.
Garantir les soins “appropriés” ? #
Se fondant sur le Préambule de la Constitution de 1946 et les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel « a entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie ».
Le législateur soutient cette argumentation en s’appuyant sur le fait que les directives sont rédigées lorsque la personne ne se trouve pas en fin de vie (cf. Directives anticipées, un risque à prendre ? ; Directives anticipées : « l’être humain a une capacité étonnante à s’adapter à la maladie »). Après avoir estimé que les dispositions de l’article n’étaient « ni imprécises ni ambiguës », le Conseil a rappelé qu’il existe des “garanties” jugées suffisantes par les magistrats : la nécessité de la procédure collégiale et la possibilité de soumettre la décision du médecin au contrôle du juge (cf. Jean-Claude Seknagi : aujourd’hui sorti du coma, il aurait pu être “débranché”).
Une décision qui favorise la confiance ? #
Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, « le législateur n’a méconnu ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ni la liberté personnelle ». Mais, alors que le Comité consultatif national d’éthique vient de publier un avis qui pointe les problèmes éthiques du système de santé français (cf. Avis du CCNE : fonder les soins sur l’éthique), cette décision est-elle de nature à favoriser la confiance entre les soignants et les patients ?
Complément du 15/11/2022 : « Cette position révoque le caractère “opposable” des directives anticipées comme un principe absolu sans en contextualiser le respect en tenant compte de l’intérêt direct de la personne et des missions dévolues à la réanimation au service de l’intérêt de tous les malades qui doivent pouvoir en bénéficier », analyse Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay. « L’équipe médicale, en concertation avec la personne de confiance et en dialogue avec la famille, doit être reconnue dans sa responsabilité de décider selon des arguments scientifiques et éthiques fondés », estime le professeur. « Plutôt que directives anticipées, parlons de directives concertées et d’alliance éthique dans le processus décisionnel », suggère-t-il. Car « il ne s’agit pas d’opposer les préférences de la personne malade à l’expertise d’une équipe médicale, d’opposer le “droit du malade” au “pouvoir du médecin”, mais de permettre à leur concertation de privilégier une approche digne et responsable de circonstances qui engagent les valeurs de notre vie démocratique et l’éthique des pratiques soignantes ».
Spécialisée dans l’accompagnement des personnes en fin de vie, la psychologue Marie de Hennezel rappelle de son côté que « rien ne dit dans la loi que certaines directives doivent être respectées et pas d’autres, à partir du moment où l’on reste dans le cadre de la légalité. Le maintien d’une vie végétative n’est pas illégal ». « Méfions-nous aussi de ce qui se cache derrière les fins de traitements sans concertation avec le patient et sa famille, comme derrière la sédation profonde, prévient la psychologue. Dans le contexte de la crise de l’hôpital, comment garantir que les médecins ne subiront pas des pressions pour libérer des lits? C’est aussi un danger que laisse entrevoir l’euthanasie ».
Sources : Gènéthique Magazine( 10/11/2022) ; The Conversation, Emmanuel Hirsch (14/11/2022) ; Le Figaro, Aziliz Le Corre (11/11/2022))