De l’euthanasie à l’« aide active à mourir », l’avocat Erwan Le Morhedec, auteur de l’essai Fin de vie en République, décrypte le choix des mots en matière de fin de vie.
Gènéthique : Alors que l’Exécutif a lancé une convention citoyenne sur la fin de vie, le terme d’« aide active à mourir » s’impose dans le débat, remplaçant celui d’« euthanasie ». Comment analysez-vous ce changement ?
Erwan Le Morhedec : La fin de vie est par nature riche en litotes et en euphémismes. Peu de gens acceptent de la regarder en face. Les personnes « disparaissent », elles « sont parties », au mieux elles « décèdent » mais il est bien rare de lire ou d’entendre que tel ou tel est simplement « mort ». Il n’est pas très étonnant que ce phénomène se poursuive lorsqu’il s’agit, en plus, de provoquer cet évènement. On se refuse ici à voir la réalité que l’on promeut.
Il est bien regrettable que, alors que bien des gens sont déjà dans l’incapacité de faire les distinctions nécessaires (entre euthanasie, suicide assisté, sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, entre souffrance et douleur etc.), au lieu d’éclaircir le débat et ses termes connus, on l’obscurcisse encore.
Cette expression n’est pas plus acceptable que d’autres, même avec la regrettable caution du CCNE (cf. Avis du CCNE : en marche vers l’”aide active à mourir”). Lorsque l’on euthanasie une personne, lorsque l’on procède à une injection létale, on ne l’aide pas à mourir, on la fait mourir. Sans cet acte, au moment où il est posé, elle ne mourrait pas. Evoquer une aide active à mourir laisse également penser qu’il y aurait une aide passive à mourir. J’ignore ce que c’est censé recouvrir mais si l’on pense par là aux soins palliatifs, on commet une erreur de fond. Les soins palliatifs, véritablement, n’aident pas à mourir, ils aident à vivre, à vivre la fin de sa vie. Dans les services de soins palliatifs, aucun soignant, aucun bénévole, ne considère qu’il est là pour aider les gens à mourir. Chacun respecte le temps nécessaire en luttant du mieux possible pour qu’il ne soit pas un temps de souffrance.
Mais il est évident que le recours à cette expression a aussi pour finalité d’amalgamer toutes les pratiques sous une seule et même appellation. Demain, on concevra l’euthanasie et les soins palliatifs comme deux nuances sur la palette des actes permettant d’ « aider une personne à mourir ».
G : Dans son dernier avis, le CCNE a consacré une annexe à la « sémantique du suicide ». Le terme suicide comporte une « charge morale et émotionnelle négative » rappelle-t-il. Ainsi, « choisir une autre terminologie n’est qu’une manière de déguiser un parti-pris, orienté en faveur de la légalisation du SMA [suicide médicalement assisté], exactement de la même façon que ceux qui s’y opposent préfèrent conserver l’expression “suicide assisté” pour bénéficier des préjugés rattachés au mot suicide ». En choisissant d’utiliser terme d’« aide active à mourir » dans son avis, le CCNE reconnaîtrait-il un parti pris ?
ELM : Il est en effet édifiant de lire ceci dans cette annexe 6 à l’avis du CCNE. Il relèverait presque de l’acte manqué, ou de la dissociation. On voit bien – comment pourrait-il en être autrement ? – que le CCNE est très conscient de la force de la sémantique, et que le choix d’une terminologie différente de celle qui est communément admise procède de la volonté de « déguiser un parti-pris ». Comment pourrait-il l’ignorer lorsqu’il ne s’agit plus de parler du suicide mais de l’euthanasie ? Il suffisait d’ailleurs de lire l’expression « aide active à mourir », dès les premières pages de son avis, pour savoir à quelle conclusion le CCNE aboutirait. Manifestement, il a souhaité lever la « charge morale et émotionnelle négative » du terme « euthanasie » pour adopter une terminologie positive et réconfortante. Ainsi, désormais, cet acte relève de l’« aide », donc de la bienveillance. Le CCNE prend le parti de concevoir l’euthanasie comme un acte compassionnel.
G : « Sur le plan conceptuel, il ne semble pas qu’il y ait de raison suffisante pour affirmer que le suicide assisté ne serait pas un suicide », reconnaît le CCNE. « La neutralité du terme suicide, qui est sans doute son aspect le plus problématique, devrait s’établir au fur et à mesure que l’on portera davantage notre attention sur les véritables points de débat, sur ce qu’il désigne, et moins sur les a priori qu’on lui assigne parfois sans même s’en rendre compte », espère le comité. Mais comment à la fois appeler à rendre le terme neutre et continuer à mener des actions de préventions du suicide ?
ELM : C’est une phrase sibylline une fois encore. D’un côté le CCNE n’a pas renoncé à l’emploi du terme « suicide ». De l’autre, il évoque des a priori que l’on assignerait à ce dernier. On est contraint d’imaginer que ces a priori seraient les préjugés défavorables appliqués au suicide, ou peut-être la conviction que la personne n’y recourrait pas de sa pleine volonté, qu’en le commettant, elle envoie un autre message, un appel au secours.
Ceci évoque bien en effet la volonté de rester neutre face au suicide. Dans ce cas, il n’y a aucune raison de vouloir le prévenir. S’il faut, comme on nous le dit, « respecter la décision » de la personne qui réclame le suicide, pourquoi distinguer selon qu’elle soit malade ou ne le soit pas… et ce d’autant plus que les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté prônent sa légalisation y compris dans le cas de souffrances psychiques. Or par définition, une personne qui tente de se suicider est une personne qui ressent une souffrance psychique. Je ne vois pas de raisons objectives, si l’on endosse cette vision, d’assister médicalement une personne dans son suicide et d’empêcher celui de la personne qui le réalise par ses propres moyens.
Toute la logique d’autodétermination qui préside à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, et expulse le regard de la société au motif qu’il s’agit exclusivement de liberté individuelle, milite pour laisser la personne suicidaire accomplir son geste. L’autodétermination confine ainsi à l’abandon, elle est contraire à notre responsabilité sociale – instinctive, d’ailleurs, puisque l’on ne manque pas de célébrer spontanément les personnes qui en dissuadent d’autres de se suicider.
G : Finalement, pour légaliser l’euthanasie et le suicide assisté, est-il nécessaire d’employer d’autres mots ? Comme si substituer les termes modifiait la nature de ces actes ?
ELM : Ces mots ont un effet un sens étymologique précis. S’agissant du suicide, il est d’ailleurs particulièrement descriptif : le terme est construit à partir de « sui » et « caedere », se tuer. Le cas du terme « euthanasie » me semble plus révélateur. On le sait, euthanasie signifie « bonne mort » ou « mort douce ». Ce qui est notable, c’est que cette bonne mort ait tant évolué. Initialement, elle ne sous-entendait pas la provocation de la mort. Le fait que la mort provoquée soit devenue la bonne mort n’est pas neutre. Plutôt que de trouver le mot trop dur pour désigner cette réalité, on aurait pu le trouver trop doux. Or, malgré cette présentation favorable, il faut encore lui trouver une autre désignation, destinée à en donner une perception plus obligeante encore, comme si la première tentative avait échoué. C’est peut-être bien la manifestation du fait que ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne.
Source : Gènéthique magazine (18/11/2022)