« Après la légalisation de l’euthanasie aux Pays-Bas en 2002, j’ai soutenu la loi et travaillé, de 2005 à 2014, pour les autorités chargées de contrôler les cas d’euthanasie. J’étais convaincu que les Néerlandais avaient trouvé le bon équilibre entre la compassion, le respect de la vie humaine et la garantie des libertés individuelles. » Mais aujourd’hui, dans une tribune pour le journal Le Monde, Theo Boer, professeur d’éthique de la santé et « ancien contrôleur des cas d’euthanasie aux Pays-Bas » donne l’alerte.
Toujours plus d’euthanasies …et de suicides
Aux Pays-Bas, le nombre d’euthanasies est passé de 2 000 en 2002 à 7 800 en 2021. Cette augmentation a continué en 2022. Ainsi, le nombre d’euthanasies pourrait doubler « à brève échéance ». « Dans certains endroits des Pays-Bas, jusqu’à 15 % des décès résultent d’une mort administrée », pointe Theo Boer.
En parallèle de la hausse du taux de décès faisant suite à une euthanasie, passé de 1,6 % en 2007 à 4,8 %, en 2021, le nombre de suicides a lui aussi augmenté, souligne le professeur d’éthique de la santé. Sur la même période la hausse est de 27%[1]. En Allemagne, un pays culturellement proche des Pays-Bas, les suicides ont au contraire diminué (cf. Dépénaliser le suicide assisté augmente le nombre de suicides).
Un élargissement juridique inéluctable
Tout a commencé par l’autorisation du recours à l’euthanasie pour « les adultes mentalement aptes et en phase terminale ». Puis, les extensions se sont multipliées : personnes souffrant de maladies chroniques, personnes handicapées, personnes souffrant de problèmes psychiatriques, « adultes non autonomes ayant formulé des directives anticipées », « jeunes enfants ». Les dernières discussions portent désormais sur les personnes âgées sans pathologie (cf. L’euthanasie des bien-portants dès 75 ans pour « vie accomplie ». Bientôt aux Pays-Bas ?).
« Cette pente glissante se pare des atours de la justice, de sorte que les prochaines étapes sont facilement prévisibles », affirme Theo Boer. « Pourquoi seulement une mort assistée pour les personnes souffrant d’une maladie, et pas pour celles qui souffrent du manque de sens, de marginalisation, de la solitude, de la vie elle-même ? », « ce qui est perçu comme une occasion bienvenue par ceux qui sont attachés à leur autodétermination devient rapidement une incitation au désespoir pour les autres ».
L’ancien contrôleur affirme avoir vu « des centaines de rapports d’euthanasie dans lesquels le souhait de protéger ses proches de l’agonie, de leur éviter d’être témoins de sa souffrance ou de devoir porter le fardeau des soins était l’une des raisons, sinon la raison essentielle, de demander une mort administrée ». Finalement, souligne-t-il, « dans une société où l’aide à mourir est accessible, les gens sont confrontés à l’un des choix les plus déshumanisants qui soient : est-ce que je veux continuer à vivre ou est-ce que je veux mettre fin à mes jours ? »
« L’exemple des Pays-Bas doit servir à une prise de conscience de ce qui peut arriver, espère Theo Boer. Regardez ce pays et vous verrez peut-être la France de 2040 ».
[1] Le nombre de suicides est passé de 8,3 pour 100 000 habitants, en 2007, à 10,6, en 2021.
Source : Le Monde, Theo Boer (01/12/2022)