« Soulager, oui. Tuer, non. » Dans une tribune pour le journal Le Figaro, 71 médecins « attachés à la sagesse déontologique et morale hippocratique » affirment leur opposition à la proposition de loi visant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté (cf. Premiers pas vers l’euthanasie : entre émoi et effroi). Une proposition adoptée en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et qui sera débattue dans l’hémicycle jeudi 8 avril.
Ces médecins déclarent ne pas vouloir « abjurer [leur] serment professionnel » et vouloir rester « fidèles » au code de déontologie médicale. « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers instants, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort », dispose le code dans son article R.4127-38.
« Nous avons aujourd’hui toutes les ressources pour lutter contre la douleur, la souffrance physique, morale et spirituelle, les troubles respiratoires, l’angoisse, la dépression de l’humeur, assurent-ils, laissant à la personne elle-même et à son entourage le plus proche, la place prioritaire et irremplaçable qui lui revient au côté de celui qui achève ainsi dignement sa vie. » Et, selon ces professionnels, légaliser l’euthanasie serait « transgresser l’un des interdits fondateurs de la vie en société », ce serait « définitivement enterrer Hippocrate et la déontologie médicale », et « renoncer à doter les soignants et notre société des moyens de soutenir les plus vulnérables d’entre les siens ».
Une proposition de loi qui ne dit pas les choses ?
« Vous, promoteurs d’une telle loi, ayez au moins le courage, la franchise d’appeler les choses par leur nom », interpellent les médecins. En effet, le terme d’euthanasie ne figure pas dans la proposition de loi, « calqué[e] sur la loi belge ». « Il fallait insister sur le fait qu’il devait s’agir d’un acte médical, même en cas de suicide assisté si le malade voulait réaliser lui-même le geste », se justifie Olivier Falorni, auteur du texte.
Pour l’écrivain Michel Houellebecq, « les partisans de l’euthanasie se gargarisent de mots dont ils dévoient la signification à un point tel qu’ils ne devraient même plus avoir le droit de les prononcer ». « Dans le cas de la “compassion“, le mensonge est palpable, estime l’auteur. En ce qui concerne la “dignité“, c’est plus insidieux. Nous nous sommes sérieusement écartés de la définition kantienne de la dignité en substituant peu à peu l’être physique à l’être moral (en niant la notion même d’être moral ?), déplore-t-il, en substituant à la capacité proprement humaine d’agir par obéissance à l’impératif catégorique la conception, plus animale et plus plate, d’état de santé, devenu une sorte de condition de possibilité de la dignité humaine, jusqu’à représenter finalement son seul sens véritable. »
Un risque pour les plus vulnérables
Le collectif de médecins rappelle que le « cadre strict » « a déjà volé en éclats dans les rares pays qui ont légalisé cette pratique ». En effet, « liberté encadrée », veut dire « limitée ». Et déjà le texte appelle des critiques. « Si on en fait une lecture extensive, une maladie psychiatrique pourrait être considérée comme grave et incurable », alerte la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), le Dr Claire Fourcade.
Par ailleurs, le texte dispose que « les personnes qui ne sont plus en capacité de s’exprimer puissent avoir accès à l’euthanasie à la condition que cette demande figure expressément dans leurs directives anticipées ou relayée par leur personne de confiance » (cf. L’euthanasie examinée en commission par les députés). Un risque de dérives « immense » pour le médecin. « Nous perdrions le droit à l’inconstance de nos désirs. Cela ouvrirait un champ considérable de patients potentiellement concernés, allant jusqu’aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ».
Et au-delà « des inquiétudes sur les contours du texte », les médecins de soins palliatifs préviennent : « autoriser l’euthanasie n’ouvrirait pas seulement un droit à quelques-uns mais changerait irrémédiablement la manière dont toute notre société considère la mort ». En effet, « si personne ne serait obligé de choisir cette fin de vie », « tout le monde serait obligé de l’envisager ». Selon le Dr Fourcade, « c’est un piège qui se referme ». « Avec cette loi, on court le risque de voir beaucoup de patients refuser d’être soulagés et orientés d’emblée vers une assistance à mourir », alerte-t-elle.
Une proposition paradoxale dans un contexte de crise sanitaire
Jacques Ricot, auteur de Penser la fin de vie, interroge : dans le contexte de pandémie actuel, « n’y a-t-il pas une contradiction, et même une indécence, à délivrer un bien étrange message : nous nous battons quoi qu’il en coûte pour protéger votre vie, même très avancée, même très diminuée, mais si vous le désirez, nous vous offrons le moyen de choisir de disparaître ? » Le collectif de médecins abonde, rappelant « la détermination du corps médical et soignant à mener une lutte titanesque, pour défendre la vie des siens, parfois au péril de sa propre vie ».
« Lorsqu’un pays – une société, une civilisation – en vient à légaliser l’euthanasie, il perd à mes yeux tout droit au respect », affirme Michel Houellebecq.
Sources : Le Figaro, Tribune collective (05/04/2021), Michel Houellebecq (05/04/2021) ; Ouest France, Jacques Ricot (02/04/2021) – Photo : iStock