Fin de vie : « à vouloir légiférer de façon (pseudo) compassionnelle », on permet une « épouvantable aberration »

15 Jan, 2024

Alors que l’examen de la loi sur la fin de vie est imminent (cf. Fin de vie : « la volonté exprimée par le président de la République sera tenue »), dans une tribune publiée par le Figaro trois médecins [1] alertent face à la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, envisagée à tort comme « la liberté ultime ».

« Pourquoi serait-il interdit de mettre les pieds dans le plat ? »

La loi devrait comprendre un volet autorisant l’euthanasie et le suicide assisté appelés, sans les nommer, « aide à mourir » (cf. Euthanasie : la corruption des mots précèdera-t-elle la corruption des actes ?). Sur ce volet, comme le relèvent les médecins, « nous devons d’emblée discuter les modalités et autres aménagements de la loi à venir » : qui sera éligible, qui ne le sera pas ? Qu’est-ce que le consentement ? Qu’est-ce qu’une souffrance insupportable ?, … En revanche, « il nous est très explicitement demandé de ne pas remettre en cause, puisqu’il est déjà décidé, le principe même de ladite “innovation” envisagée pour les meilleurs motifs, libre-choix, compassion, dignité,… » s’insurgent-ils. « Pourquoi serait-il interdit de mettre les pieds dans le plat ? »

Dépénaliser signifie qu’il sera possible de « mettre à mort les personnes qui en feront le “choix” », ou « d’assister leur suicide ». « L’interdit fondateur de tuer est transgressé sans tambour ni trompette, et cela est confié, c’est un comble, au monde médical » s’offusquent les médecins (cf. Claire Fourcade : « Je suis médecin, la mort n’est pas mon métier »). « Rien à voir avec le refus de l’acharnement thérapeutique ou la sédation profonde et continue au terme de laquelle le patient décède de sa maladie » préviennent-ils. Pourquoi vouloir rompre « l’équilibre » issu de la loi Claeys-Leonetti, parce qu’elle est insuffisamment connue et que d’autres pays nous ont précédés dans « la barbarie hi-tech » ?

 « La dimension psychologique n’est jamais absente »

« Partant du double constat que la perspective de mourir à plus ou moins brève échéance est pénible pour celui qui l’éprouve comme pour son entourage, et que les soins palliatifs sont peu accessibles » (cf. Fin de vie : Les soins palliatifs, « parent pauvre de la médecine »), la « permission » serait donnée de tuer la personne. Ce serait aussi, nous dit-on, une question de « dignité ». Pourtant, « à vouloir légiférer de façon (pseudo) compassionnelle, à partir de cas exceptionnels et non selon le cas général », on en arrive à envisager une « épouvantable aberration ».

Pour nous « rassurer », on nous affirme que « c’est une liberté, un choix qui sera offert », « nullement une obligation » et qu’il y aura « des garde-fous, des commissions ». « Mais qui décrétera qu’un tel est apte à faire une demande, tandis que tel autre ne l’est pas ? », « qui fera le “tri” entre demandes valides et non valides ? » interrogent les praticiens. « Quel expert mégalomane s’autorisera à cocher la case “bon pour la mort” ? » poursuivent-ils.

Dans une « demande de mort », « la dimension psychologique n’est jamais absente » soulignent les médecins. Chez les personnes âgées, l’euthanasie pourrait être pratiquée du fait de « la demande implicite formulée par la société », ou après incitation, « dans un monstrueux calcul plus ou moins formulé de régulation des longs séjours ou des EHPAD », alertent-ils.

Extension du « droit à mourir »

En outre, comme cela a déjà été démontré dans d’autres pays, l’évolution inéluctable, au nom de la « non-discrimination », est celle de l’extension du « droit à mourir » à toutes les catégories de personnes : malades souffrant de troubles psychiatriques ou psychologiques, sujets âgés polypathologiques, et autres « fatigués de la vie »,  (cf. Euthanasie : la pente glissante). Cela n’a « rien d’une dérive imprévisible » préviennent les praticiens.

Ainsi, une jeune femme de 23 ans, qui semblait souffrir d’un syndrome de stress post-traumatique a été euthanasiée en Belgique (cf. Belgique : une victime des attentats euthanasiée à 23 ans), alors que tout porte à croire que « sa prise en charge psychiatrique n’était pas optimale » relèvent-ils.

« Je peux vous soulager et vous accompagner autrement »

Les demandes de mort sont en réalité des « demandes de suicide » expliquent les médecins. Si pour certaines il n’y a pas « d’intervention psychiatrique » à prévoir, « il serait catastrophique et scandaleux de les favoriser ou d’y participer » protestent-ils. « Derrière le souhait exprimé de mourir, se dissimule toujours une autre demande » rappellent-ils (cf. Fin de vie : des pistes « pires que le mal contre lequel elles entendent lutter »).

Alors qu’ils consacrent une bonne partie de leur vie professionnelle à tenter de prévenir le suicide, les soignants sont « épouvantés par la promotion de celui-ci » (cf. Un site de promotion du suicide à l’origine de 50 morts britanniques), désormais présenté comme « la liberté ultime ».

« Si l’on veut que demain, médecins et patients restent dans une relation qu’on puisse qualifier de thérapeutique, il faut que, même désespérés, ces derniers ne puissent entendre d’autre réponse que : “J’entends votre souffrance, mais donner la mort n’est pas un soin. Je peux vous soulager et vous accompagner autrement” » alertent-ils (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »). L’interdit de tuer pousse les soignants à « rester créatifs » (cf. Euthanasie et prévention du suicide : le paradoxe).

Il y a quarante ans « un Président a su imposer l’abolition de la peine de mort contre l’opinion publique » font remarquer les trois médecins. Face à la volonté populaire, celle des « bien-portants » ou de la convention citoyenne (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie), le président Macron choisira-t-il « un projet déshumanisant » ou « l’éthique et la civilisation » ?

 

[1] Le Dr Raphaël Gourevitch est psychiatre, il dirige le service d’urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne (GHU Paris). Il est également responsable des déclinaisons franciliennes de dispositifs nationaux de prévention du suicide. Le Dr Bruno Dallaporta est médecin à la Fondation santé des étudiants de France, docteur en sciences et docteur en philosophie appliquée à la santé. Le Dr Faroudja Hocini est psychiatre, psychanalyste, philosophe chercheure associée à la Chaire de philosophie à l’hôpital, enseignante-chercheure en psychopathologie à l’Université Paris Cité au Centre de Recherche Psychanalyse, Médecine et Société.

Source : Le Figaro (12/01/2023) – Photo : iStock

 

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