La mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti poursuit ses auditions cette semaine. Lundi, deux tables rondes se sont succédé. Deux tables rondes pour deux visions radicalement opposées. Après l’audition de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et Le Choix, deux associations militant pour l’euthanasie, ce sont la Fondation Jérôme Lejeune et Alliance Vita, toutes deux opposées à sa légalisation, qui ont été entendues.
Jonathan Denis, président de l’ADMD, débute les auditions en précisant que « le droit de mourir dans la dignité » fait référence à « ce que chacun estime être sa propre dignité ». Un relativisme, centré sur l’individu, auquel fait face une vision ontologique de la dignité, inconditionnelle, elle (cf. Dignité des personnes âgées, euthanasie : « l’heure des choix »).
Les soins palliatifs mis en accusation
Semblant joindre sa voix aux précédents auditionnés, Jonathan Denis paraît regretter le manque de soins palliatifs (cf. Cinquième plan pour les soins palliatifs : des ambitions, peu de moyens). Quand bien même ils seraient suffisants, « il est des patients pour lesquels ils ne correspondent pas à leurs besoins, leurs désirs, ou leur propre de sens de leur dignité », ajoute-t-il, affirmant que « leur prise en charge parfois ressentie comme infantilisante à tort ou à raison » peut ne pas correspondre à la « personnalité » de certains patients.
Pour le Dr Denis Labayle, coprésident de l’association Le Choix, en plus du « problème quantitatif », il existe un « problème qualitatif » en matière de soins palliatifs. En cause selon lui « un barrage idéologique de la part de la SFAP[1] dont l’influence religieuse est reconnue par tout le monde ». La charge est claire contre l’association qui « dicte son point de vue », d’après le militant du Choix.
Les personnes âgées menacées ?
La France détient le record de suicides des personnes âgées, indique Jonathan Denis, estimant qu’une loi autorisant l’« aide active à mourir » les « apaiserait ».
Tugdual Denis, porte-parole d’Alliance Vita, explique être préoccupé par le phénomène de « mort sociale ». Car ce sont les « situations sociales difficiles » plus que les « impasses thérapeutiques » qui sont à l’origine des demandes d’euthanasie, affirme-t-il. S’il faut lutter contre le « mal mourir », ce doit être par une loi grand âge et autonomie (cf. Une proposition de loi sur le grand-âge pour oublier la promesse non tenue ?). D’autant plus que le traitement de la douleur a fait récemment de grands progrès, rappelle le Dr Olivier Trédan, cancérologue et conseiller médical de l’association Alliance Vita.
Une inquiétude également envers les personnes handicapées
Le « droit à la sédation profonde et continue » a « installé dans l’esprit des citoyens l’idée de pouvoir choisir les conditions de sa mort », estime Lucie Pacherie, juriste à la Fondation Jérôme Lejeune. Alors que la sédation profonde et continue est « une nécessité médicale, pas un choix », rappelle-t-elle. La juriste redoute l’emploi de ce « droit à la sédation profonde et continue », car il pourrait être un « outil » pour « faire mourir des personnes dont on considère que la vie n’a pas ou plus de sens ». Elle indique qu’après l’affaire Vincent Lambert, des parents de personnes trisomiques ont manifesté une vive inquiétude (cf. Vincent Lambert : quelle place laissée aux personnes handicapées dans nos sociétés ?).
Ainsi, elle lui préfère les pratiques sédatives réversibles, selon les besoins, et appelle à « une protection particulière des personnes vulnérables », les personnes handicapées âgées, celles hors d’état d’exprimer leur volonté.
Et alors que Jonathan Denis avait invoqué la maladie de Charcot comme première justification de la légalisation de l’euthanasie, Tugdual Derville regrette que des maladies soient « désignées médiatiquement » comme « éligibles à l’euthanasie », se faisant le porte-parole de patients. « La prévention du suicide est pour tous et ne doit exclure personne ».
La rhétorique de l’avortement
Devant la convention citoyenne, le philosophe André Comte-Sponville avait utilisé le vocable d’« interruption volontaire de vie », élargissant par là le concept d’interruption volontaire de grossesse à la fin de vie. Jonathan Denis prend le relai en invoquant « le droit pour tout citoyen de disposer librement de sa vie et de son corps, de sa naissance à la fin de vie ».
Mais « personne ne sera obligé d’y recourir » veut rassurer le président de l’ADMD, « pas plus que les femmes ne sont obligées d’avorter, ou que les hommes et les femmes ne sont obligés de se marier avec un autre homme ou une autre femme ».
En miroir, Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune souligne que lors de la grossesse, le « devoir d’informer » sur le dépistage anténatal, par exemple de la trisomie 21, est devenu un « devoir de dépister ». De même, le « droit de mourir » ne risque-t-il pas de se muer en un devoir ?
Une future loi en filigrane
L’euthanasie masque « la forêt » des autres questions relatives à la fin de vie, déplore Tugdual Derville. Pourtant c’est bien ce sujet qui semble occuper les esprits. Jonathan Denis regrette qu’il manque la possibilité de l’« aide active à mourir » pour les patients en fin de vie, indiquant que l’ADMD a rédigé un projet de loi en s’inspirant de ce qui se pratique en Belgique. Un texte qui avait inspiré la proposition de loi d’Olivier Falorni (cf. La PPL Falorni tombe en désuétude – le spectacle exagéré des promoteurs de l’euthanasie), président de l’actuelle mission parlementaire.
Le président de l’ADMD estime que légaliser l’euthanasie serait « une loi de liberté, d’égalité, de fraternité », prétendant que « les dérives n’existent pas dans les autres pays ». Le contrôle est « total » affirme-t-il, semblant oublier la récente condamnation de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme sur le sujet (cf. Euthanasie pour « dépression incurable » : la CEDH ne soulève qu’un problème de procédure).
Le coprésident du Choix viendra aussi sur le terrain de la loi. S’adressant aux parlementaires, il leur conseille : « ne cherchez pas l’unanimité ». Ce lundi, seuls trois députés, le président de la mission et ses deux rapporteurs, s’étaient déplacés. Combien seront présents jeudi ?
[1] Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, elle a été auditionnée par la mission parlementaire (cf. Alain Claeys : « En parlant d’aide active à mourir on change de paradigme »)