Ce jeudi, la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti présidée par Olivier Falorni menait sa deuxième série d’auditions. Pierre-Antoine Gailly, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et rapporteur de l’avis du Conseil intitulé « Fin de vie : la France à l’heure des choix » paru en avril 2018 (cf. Le CESE adopte un avis favorable à un droit à l’euthanasie), était le premier à être entendu par la mission. Ensuite, ce sont Sarah Dauchy, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) et Giovanna Marsico, sa directrice, qui ont été auditionnées par les députés.
Un manque de données
Alors que la mission parlementaire est en charge d’évaluer la loi en vigueur en France, les données font défaut. Le CNSPFV, créé en 2016 et renouvelé en 2022 avec une mission de « centre de références et de ressources ainsi qu’une participation au débat sociétal », ne dispose pas de données consolidées.
Sarah Dauchy affirme qu’il y a 1200 euthanasies illégales en France par an, s’appuyant sur un chiffre de 2010 (cf. Euthanasies « clandestines » en France : la Sfap rétablit les faits). Des données plus récentes sont « difficiles à obtenir », indique-t-elle.
La présidente du CNSPFV relève également une difficulté au niveau de la sédation profonde et continue, « un acte médical difficile à suivre » selon elle. « Il faudrait que les actes réalisés soient enregistrés ». Pourquoi ne le sont-ils pas ? Astrid Panosyan-Bouvet, députée Renaissance, interroge Pierre-Antoine Gailly sur la fréquence des sédations quand elles durent « plusieurs semaines ». L’ancien membre du CESE doute qu’il existe des « statistiques formelles » en la matière. Elles pourraient fournir des éléments en vue d’un éventuel « plaidoyer », pointe-t-il.
Un statu quo sur la fin de vie ?
Pierre-Antoine Gailly estime que sur la fin de vie, « peu de choses sont faites » : déserts médicaux, formation des soignants, communication auprès des patients et plus généralement des citoyens. Une situation qui n’a pas vraiment changé depuis 2018.
Une fois dressé le constat, le rapport du CESE a formulé 14 « préconisations », sans obtenir de consensus au sein de ses membres, comme ce fut également le cas du CCNE plus récemment (cf. Avis du CCNE : en marche vers “l’aide active à mourir” ?). Parmi les « préconisations » du Conseil, figurait le « droit » de demander au médecin « une médication expressément létale ». Les conditions posées alors incluaient le fait de souffrir d’une maladie incurable, un pronostic vital engagé inférieur à 6 mois, et une clause de conscience « classique » pour le médecin, c’est-à-dire, précise Pierre-Antoine Gailly, assortie d’un « devoir » d’adresser le patient à un confrère non objecteur.
Des préconisations qui n’ont pas empêché le CESE d’être en charge aujourd’hui d’animer la Convention citoyenne sur la fin de vie. Après s’être déclaré favorable à l’euthanasie en 2018, est-il en mesure d’assurer la neutralité du débat ?
La levée prévisible des « garde-fous »
Interrogé sur la comparaison entre la Belgique et la Suisse, l’ancien membre du CESE explique que le Conseil penchait du côté de la Belgique. Selon lui, la procédure de déclaration, de contrôle y est bien meilleure qu’en Suisse. Le contrôle en Belgique est pourtant notoirement défaillant, comme l’a jugé récemment la CEDH (cf. Euthanasie pour « dépression incurable » : la CEDH ne soulève qu’un problème de procédure). Sur une question si grave, une question de vie ou de mort au sens propre du terme, peut-on se contenter de si peu ? Autre argument avancé par Pierre-Antoine Gailly : entre la Belgique et la Suisse, « les tarifs ne sont pas du tout les mêmes ».
En 2018, le CESE n’avait pas voulu se prononcer sur la question de l’euthanasie des mineurs ou des personnes handicapées. Mais, selon l’ancien membre du CESE, il faudrait aujourd’hui « élargir le champ ». Le terrain est glissant, Pierre-Antoine Gailly tente de faire montre de prudence en distinguant handicap faisant suite à un accident ou de naissance. « Les mots sont importants car ils sont connotés », pointe Didier Martin, député Renaissance et rapporteur de la mission. « Si vous utilisez euthanasie et personnes en situation de handicap, ça rappelle des souvenirs absolument intolérables. »
La question des mineurs a aussi été débattue. Caroline Fiat, députée LFI et également rapporteur de la mission d’évaluation, revient sur le sujet. Puisque la « majorité sexuelle » est fixée à 15 ans, ne pourrait-on pas envisager de pouvoir « disposer de son corps » dès cet âge également, pour mettre fin à sa vie ? Pierre-Antoine Gailly reste encore prudent, estimant qu’il s’agit là d’« une autre affaire ».
Informer et revaloriser les soins palliatifs
En matière de fin de vie, Giovanna Marsico déplore que l’on « parle à la place des personnes » (cf. Euthanasie : « Ce prétendu droit m’enlève ma dignité, et tôt ou tard, me désigne la porte »). Le patient doit avoir toutes les informations malgré sa vulnérabilité, affirme-t-elle. Elle regrette également le « cloisonnement » actuel : entre professionnels, entre « soins actifs » et soins de fin de vie, entre l’hôpital et la ville. Finalement, « il y a une revalorisation majeure à apporter aux soins palliatifs réalisés par des acteurs spécialisés » dans les unités dédiées, estime Sarah Dauchy. Mais tous les acteurs sont nécessaires. « Il faut intégrer le fait que ça fait partie des soins normaux » (cf. Avis du CCNE : fonder les soins sur l’éthique).
Des « soins normaux », qui, pour certains, pourraient inclure l’euthanasie. Le « dernier soin », va jusqu’à dire Pierre-Antoine Gailly. Pourtant, comme le montre le « modèle belge » si souvent vanté par les promoteurs de l’euthanasie, loin de venir compléter les soins palliatifs, l’euthanasie risque bien de les tuer (cf. Euthanasie en Belgique : après 20 ans de dépénalisation, le constat d’un échec).