Alors que la mission parlementaire présidée par Olivier Falorni (MoDem et Indépendants) remettait son rapport à la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale hier (cf. Un rapport orienté vers l’« aide active à mourir » ?), une autre commission menait des auditions. Cette fois-ci au Sénat. En effet, suite à l’audition du CCNE après la publication de son avis sur la fin de vie (cf. Audition au Sénat : le président du CCNE justifie le suicide assisté), la Chambre haute a décidé de mettre en place une « mission d’information relative à l’évolution de la législation relative à la fin de vie ».
Hier, la mission entendait les philosophes. Ils étaient quatre à être invités à s’exprimer : Monique Canto-Sperber, directrice de recherche au CNRS et membre du Comité consultatif national d’éthique, Bernard-Marie Dupont, médecin, juriste, et professeur d’éthique médicale, André Comte-Sponville, philosophe et essayiste, et Jacques Ricot, chercheur associé au département de philosophie de l’université de Nantes.
Rappeler l’interdit de tuer
« La prohibition de tuer est au fondement de la notion d’intégrité personnelle et de respect de la personne humaine qui est au cœur de notre conception libérale, a tenu à rappeler Monique Canto-Sperber. Je ne peux pas imaginer une société libre qui apporte la moindre nuance à ce principe qui est un principe absolu et fondamental de l’intégrité humaine. »
La philosophe pointe le fait que, dans le cas d’une euthanasie, la personne est inconsciente au moment ultime. Même si on connaissait sa volonté, accepterait-on de marier quelqu’un sans recueillir son consentement au moment clé ?, interroge-t-elle.
Une question de principes ?
Dignité, liberté, autonomie, voire laïcité : les principes invoqués par les promoteurs de l’euthanasie évoluent (cf. Fin de vie : liberté, dignité, laïcité ?). André Comte-Sponville affirme que ce n’est pas la dignité qui est en cause, mais invoque la liberté. Et ajoute que « le problème moral de l’avortement est infiniment plus grave que le problème du suicide assisté ». En matière de fin de vie « il s’agit de moi, seulement ». Jacques Ricot abonde : « Arrêtons d’utiliser le mot de digne pour dire qu’il existerait des morts dignes et d’autres qui n’en seraient pas ».
Bernard-Marie Dupont souligne que l’autonomie n’est pas l’indépendance. Mon choix engage la partie adverse, notamment le soignant. Il est faux de dire que je fais ce que je veux. Se disant très attaché à la liberté, Jacques Ricot affirme : « Une vraie société, une société digne de ce nom est une société qui reconfigure l’éthique de l’autonomie par une éthique de la vulnérabilité ».
Le danger pour les personnes âgées
Bernard-Marie Dupont, seul médecin intervenant, insiste sur les « zones grises ». Car, avant, la mort avait une « unité d’action, de lieu et de temps ». Avant, on pouvait dire : « avant d’être mort, il était en vie ». Une lapalissade. Désormais, avec l’apparition de la réanimation médicale, la définition de la mort est passée du cœur au cerveau, de la mort cardio-vasculaire à la mort cérébrale. Avec comme corollaire l’apparition de « situations extrêmement complexes ». Le médecin cite le cas de Vincent Lambert et appelle à démédicaliser la mort.
La mort s’est aussi déplacée géographiquement, vers les hôpitaux, les Ehpad. Or, en quittant le domicile, « on perd ses repères ». Bernard-Marie Dupont alerte sur la question des personnes âgées. Les moyens manquent, en gériatrie on dispose d’un lit pour 10 candidats. Face à André Comte-Sponville qui demande que soit autorisée l’euthanasie, y compris pour les personnes âgées, le médecin interpelle : « Est ce qu’il n’y a pas une question d’indignité de nos comportements de bien portants à dire aux personnes âgées que, s’ils veulent partir, il faut répondre à leur demande ? »
Mourir, un droit ?
« Je crois que le droit de mourir, y compris volontairement, fait partie des droits de l’homme », indique André Comte-Sponville. Un « droit » toutefois « beaucoup moins important que le droit de vivre ».
Mais Bernard-Marie Dupont s’inscrit en faux. « Il n’y a pas de droit à la mort. Pas de droit à exiger de nous soignants qu’on donne la mort parce qu’on aurait décidé de mourir. » Jacques Ricot acquiesce : le suicide est une liberté, pas un droit. En invoquant un « droit », « on change de monde ».
Pour Bernard-Marie Dupont, « on demande aux soignants une réponse médicale à une question philosophique ». Pourtant, « le problème n’est pas médical d’abord, ni juridique, mais existentiel, affirme-t-il. Le sens de la vie, le sens du passage ».
Un encadrement possible ?
Ma position n’est pas une posture idéologique, précise Bernard-Marie Dupont. « Je ne suis pas contre par principe religieux, philosophique ou politique. Je suis contre car dans aucun pays où on a légalisé l’euthanasie, on a maitrisé les dérives. »
Car « l’euthanasie ne complète pas l’accompagnement, elle l’arrête, souligne Jacques Ricot. Elle ne succède pas aux soins palliatifs, elle les interrompt. Elle ne soulage pas le patient, elle l’élimine ». Et « soulager la souffrance ce n’est pas faire disparaitre le souffrant ».
Citant Paul Ricœur, il affirme : « s’il faut avouer que les pratiques d’euthanasies sont inéradicables [1] et si l’éthique de détresse est confrontée à des situations où le choix n’est pas entre le bien et le mal mais le mal et le pire, alors même le législateur ne saurait donner sa caution ».
Pourquoi légiférer ?
« Est-ce utile de céder à la « fureur de légiférer » ? », interroge Jacques Ricot. « Est-ce au législateur de se laisser impressionner, intimider par le discours médiatique qui ici va toujours dans le même sens : celui du spectacle, celui de l’émotion ? »
Alors que les auditions de la mission Falorni se sont succédées devant une poignée de députés, la salle du Sénat était comble ce mercredi. Et les questions nombreuses. Laurence Cohen, sénatrice du groupe communiste, républicain, citoyen, écologiste, indique que, selon elle, aucun groupe n’a de position commune sur le sujet de la fin de vie. « Je suis un peu gênée par le fait de devoir légiférer, explique-t-elle. De plus en plus on doit légiférer et ça m’interroge. » Des doutes dont ne s’encombre pas Olivier Falorni. Avec la remise de son rapport, il souhaite avoir contribué « à prendre demain les décisions législatives nécessaires ».
[1] Il y a proportionnellement plus d’euthanasies clandestines en Belgique qu’en France selon deux études scientifiques, indique Jacques Ricot.