Mardi après-midi, la commission des affaires sociales du Sénat a auditionné Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé dans le cadre de la mission d’information sur la fin de vie. L’occasion d’avoir « un éclairage sur les intentions du gouvernement, en matière d’évolution du droit et de mise à disposition réelle des soins palliatifs ». Un éclairage qui ne semble pas pour autant convaincre tout le monde, et suscite des réticences.
« Un nouveau droit »
Dans le prolongement de l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (cf. Avis du CCNE : en marche vers l’aide active à mourir?), le président de la République a souhaité ouvrir un « débat national » sur la fin de vie. Une première étape s’est achevée avec le rapport de la Convention citoyenne (CCFV) (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie). Agnès Firmin Le Bodo considère que ses travaux ont confirmé « l’orientation favorable de la société à la mise en place d’une aide active à mourir ». Ses conclusions constituent « un support important pour définir les contours du futur modèle de l’aide active à mourir » ajoute-t-elle sans surprise.
Interrogée par Michelle Meunier, sénatrice PS de Loire-Atlantique et co-rapporteur de la mission d’information, sur la demande précise du Président, la ministre déléguée confirme qu’Emmanuel Macron a la volonté d’introduire l’« aide active à mourir » dans la loi (cf. Présidentielles : Emmanuel Macron favorable à l’euthanasie). « Un nouveau droit » qui ne « retire rien à personne » selon elle. Comme annoncé dès le 3 avril, un projet de loi devra donc être présenté avant le 21 septembre (cf. Fin de vie : un processus construit pour aboutir à légaliser l’euthanasie ?).
Pour cela, des travaux ont été menés par le gouvernement simultanément avec la CCFV indique Agnès Firmin Le Bodo qui rappelle avoir créé un « groupe de contacts parlementaires, trans partisan et bicaméral », ainsi qu’un « groupe de professionnels de santé » (cf. Fin de vie : le gouvernement multiplie les concertations).
Après plusieurs déplacements à l’étranger (cf. Fin de vie : « voyage d’observation » en Suisse) pour « se nourrir de l’expérience des États ayant légiféré » Agnès Firmin Le Bodo plaide pour un « modèle français de la fin de vie ». Elle considère en effet qu’aucun « modèle n’est duplicable in extenso dans notre pays », même si « dans chacun des pays il y a quelque chose d’intéressant à prendre ». Nous n’avons pas la même culture, pas les mêmes questions, ajoute-t-elle.
Des critères d’accès « très clairs et très précis »
Le « modèle français » aura 3 volets indique la ministre : développement des soins palliatifs, ouverture de l’« aide active à mourir », et une attention renforcée à la protection des personnes, aux droits des patients. La loi devra « cadrer les choses » et définir des critères d’accès « très clairs et très précis » à respecter, poursuit la ministre déléguée.
Interrogée par Michelle Meunier pour savoir « jusqu’où le texte pourra aller, au-delà des mots », Agnès Firmin Le Bodo rappelle qu’Emmanuel Macron a identifié des limites et souhaite la « stricte ouverture de l’aide active à mourir aux personnes majeures dont le pronostic vital est engagé à moyen terme, disposant de leur plein discernement ». Des conditions sur lesquelles il est « inacceptable de transiger », précise Agnès Firmin Le Bodo. « Si ce n’est pas le cas, je ne porterai pas ce projet de loi », affirme-t-elle.
Corinne Imbert, sénatrice LR de Charente-Maritime et co-rapporteur, rappelle toutefois qu’une partie de la CCFV a recommandé d’autoriser que l’euthanasie puisse être demandée par la personne de confiance. « La mort pourrait alors être donnée à une personne qui ne le demande pas ? », interroge-t-elle (cf. Le « consentement indirect » : « Même la Belgique n’a pas osé »). Pas de réponse précise sur ce point.
« Je tiens à ce qu’il y ait une traçabilité de A à Z », ajoute la ministre déléguée. Cela permet de faire des évaluations et de « sécuriser les soignants » sur le plan juridique et éthique, veut-elle rassurer.
Quel « chemin pour y arriver » ?
Certaines questions restent en revanche encore en suspens. « La question des cérébrolésés est une vraie question. Je n’ai pas de réponse sur ce que nous ferons et sur ce que la loi proposera » explique ainsi notamment Agnès Firmin Le Bodo.
La notion de « moyen terme », sur laquelle s’interroge Daniel Chasseing, sénateur de Corrèze, n’est pas non plus encore définie. « Nous travaillons avec les soignants pour la définir », précise Agnès Firmin Le Bodo qui ajoute que « dans l’Oregon c’est 6 mois ». Le sénateur LR de la Loire, Bernard Bonne, rétorque que, pour des médecins, il est très difficile de dire « dans les 6 mois vous allez mourir ». On ne peut jamais savoir exactement ce que sera le « moyen terme », pointe -t-il.
Reste à savoir aussi quelle forme prendra l’« aide active à mourir ». Rien n’est encore décidé. Agnès Firmin Le Bodo ne veut pas préjuger de « ce vers quoi nous irons ». « La loi va ouvrir ce nouveau droit, le travail de co-construction nous amènera à choisir le chemin pour y arriver » précise-t-elle. « L’important, c’est que nous arrivions à rendre ce nouveau droit effectif », affirme la ministre.
Quelle que soit la méthode, le médecin interviendra forcément dans le processus, reconnait en revanche Agnès Firmin Le Bodo. « C’est la seule personne capable de dire que le pronostic vital est engagé ». La clause de conscience est dès lors « un postulat de base » du projet de loi (cf. Euthanasie : le médecin ne peut administrer un produit létal selon l’Ordre des médecins).
« Un équilibre entre un nouveau droit et les préoccupations des soignants » ?
« Notre rôle et notre pacte républicain sont de prendre en charge toutes les vulnérabilités » insiste Agnès Firmin Le Bodo. Daniel Chasseing lui fait toutefois remarquer que « les malades demandent à guérir plutôt que la mort »(cf. Fin de vie : « Agir de façon conforme à notre humanité »).
Chacun doit exprimer ses idées sur un sujet aussi difficile que celui-là, qui est un « vrai sujet de société », un sujet « complétement trans partisan », poursuit Agnès Firmin Le Bodo. Nous avons l’opportunité de montrer à nos concitoyens que sur ces sujets de sociétés « nous sommes capables de débattre en nous écoutant et en nous respectant », n’hésite-t-elle pas à ajouter.
La ministre déléguée souhaite aboutir à des « propositions consensuelles ». « Un équilibre entre un nouveau droit pour les Français et les préoccupations légitimes des soignants » devra être trouvé. Mais n’est-ce pas là un vœu pieux ?
Pour construire le « modèle français », il est indispensable d’avancer avec les soignants et les professionnels du médico-social qui sont au cœur de l’accompagnement des personnes en fin de vie, considère la ministre déléguée. Le projet de loi sera donc « co-construit » avec les parlementaires en mobilisant « la connaissance et l’expérience des soignants », précise Agnès Firmin Le Bodo. Ce travail commencera dès la semaine prochaine.
« Faire ensemble » ou « décider tout seul » ?
N’est-ce pas là simplement une façon de faire bonne figure ? « On l’a vu sur d’autres sujets, la logique de ce gouvernement est d’affirmer : “On va faire ensemble”, pour finalement tout décider tout seul », prévient Michelle Meunier. De son côté, Bernard Bonne interroge : « le Président souhaite une loi, mais si le Parlement est contre ? ». J’espère que le Parlement gardera la maîtrise de l’acceptation ou non de la loi ajoute-t-il.
« On va forcément élaborer un projet de loi, c’est la mission qui est la nôtre », rétorque Agnès Firmin Le Bodo qui précise toutefois que ce projet sera discuté. Etonnante façon d’avancer vers une co-construction.
« Je ne crois pas que sur ce sujet il y ait de procédure accélérée possible ». « Il faudra prendre le temps, on le prendra », promet en revanche Agnès Firmin Le Bodo en réponse à la question de Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. La ministre déléguée souligne au passage que les questions liées à la fin de vie sont parmi les plus complexes dans le domaine de la santé.
De prochaines contributions
De nombreux groupes, de nombreuses institutions ont été consultés pour « éclairer » le débat, et certains travaux sont attendus prochainement.
Agnès Firmin Le Bodo annonce ainsi que le groupe chargé de travailler sur le « champ lexical de la fin de vie », confié à Erik Orsenna (cf. Fin de vie : un nouveau groupe d’experts pour travailler sur les mots) adressera sa contribution d’ici la fin juillet.
La ministre déléguée indique aussi avoir saisi France assos santé pour recueillir les avis des structures concernées. Avis qui devraient eux aussi être remis très prochainement.
Des travaux d’évaluation de la politique de développement des soins palliatifs ont également été menés par la Cour des comptes (cf. Soins palliatifs : un rapport commandé à la Cour des Comptes). La remise de son rapport est prévue pour fin juin.
Autre publication attendue, celle de la future instruction ministérielle qui va actualiser les dispositions de la circulaire de 2008 relative à l’organisation des soins palliatifs. Le texte devrait être publié « dans les jours prochains » (cf. Nouvelle instruction ministérielle : le début du chantier des soins palliatifs). Un premier geste concret.
Garantir un accès effectif et universel aux soins palliatifs ?
L’audition de la ministre déléguée a par ailleurs été l’occasion de revenir sur la question des soins palliatifs.
« Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut faire avancer les soins palliatifs », rappelle Agnès Firmin Le Bodo. Le 3 avril, Emmanuel Macron a d’ailleurs indiqué que « sur la garantie d’un accès effectif et universel aux soins d’accompagnement à la fin de vie, l’Etat a une obligation de résultat ».
Le gouvernement a aussi besoin de prendre des engagements dans ce domaine s’il veut éviter qu’une partie du corps médical ne fasse barrage au projet de loi autorisant l’« aide active à mourir ». Les professionnels de santé sont en effet majoritairement opposés à une légalisation de l’euthanasie (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie). Ils demandent, en revanche, un renforcement des soins palliatifs. N’est-ce pas là la vraie motivation du gouvernement ?
« Il ne faut pas opposer le développement des soins palliatifs à l’ouverture d’un nouveau droit », anticipe Agnès Firmin Le Bodo. Elle précise que le gouvernement souhaite avancer le travail sur le plan décennal en parallèle du futur projet de loi.
Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val de Loire, fait remarquer quant à elle que, malgré 5 plans sur le sujet, l’argent débloqué est largement insuffisant et entraine toujours des inégalités (cf . Fin de vie : Les soins palliatifs, « parent pauvre de la médecine »).
Réussir à apporter des réponses ?
Une accélération du déploiement des mesures du cinquième plan est prévue. « Nous essayerons de faire en sorte que fin 2024, les 20 départements qui n’ont pas d’unité de soins palliatifs en aient une », annonce la ministre déléguée (cf. Soins palliatifs : les six propositions de la SFAP).
Agnès Firmin Le Bodo reconnait également qu’en France, la prise en charge des soins palliatifs pédiatriques n’est « pas du tout développée ». Pour renforcer l’offre, « nous allons développer un schéma avec 4 à 6 unités pour prendre en charge les cas les plus complexes », indique-t-elle.
Elle ajoute en outre que le gouvernement a désormais choisi de travailler à long terme (cf. Soins palliatifs : et si on visait à long terme ?). « Nous pensons que c’est par ce moyen que nous allons pouvoir réussir à apporter des réponses » explique-t-elle. Les travaux ont débuté, et l’instance de « réflexion stratégique » a été installée jeudi dernier (cf. Soins palliatifs : création de « l’instance de réflexion » préfigurant le plan décennal).
Afin de favoriser l’appropriation de cette prise en charge, « il nous faut travailler à promouvoir une approche transversale et ouverte des soins palliatifs » poursuit la ministre déléguée. En France, on a la « culture du curatif ». Ne pas réussir à soigner peut-être vécu comme « un échec ». « Le palliatif apparait parfois comme un échec », analyse la ministre. Il faut former aux soins palliatifs dès les études de médecine et développer la « culture palliative ».
L’« aide active à mourir », une « forme imparfaite de soins palliatifs » ?
Plusieurs sénateurs s’interrogent face à ces mesures et des voix dissonantes se font entendre.
Véronique Guillotin, sénatrice de Meurthe et Moselle, fait ainsi remarquer que l’avis du CCNE ouvre une voie vers l’« aide active à mourir» , mais qu’il met en place une « chronologie ». « Est-il raisonnable de mettre en place une “aide active à mourir” avant que les soins palliatifs soient suffisamment développés ? » interroge-t-elle. Ce qui me dérangerait serait que l’« aide active à mourir » soit « une forme imparfaite de soins palliatifs », ajoute-t-elle.
Corinne Imbert s’étonne elle aussi. « Alors qu’il y a un décalage entre la loi et la pratique, nous réfléchissions à légiférer à nouveau. Pourquoi ne pas commencer par mieux appliquer la loi de 2016 ? »
Des difficultés persistantes de mise en œuvre des mesures de la loi de 2016 ont été constatées admet Agnès Firmin Le Bodo. Il reste « un long chemin à parcourir pour résorber le décalage entre la loi de 2016 et la pratique » reconnait-elle. Il faut poursuivre et accélérer le développement des mesures de la loi de 2016.
La ministre déléguée ajoute que la loi de 2016 a été « une avancée très importante par rapport à la loi de 2005 », et qu’elle permet de répondre à « l’immense majorité des questions de fin de vie ». Elle insiste toutefois : le texte ne répond « pas à toutes les situations », comme l’a dit l’avis du CCNE. La loi ne répond pas au « moyen terme » (cf. Clap de fin pour la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti).
« Le Comité consultatif national d’éthique a émis un avis, c’était important de se caler sur l’avis », explique la ministre. Elle ajoute : « La société a évolué aussi pendant cette période, assez rapidement. Il y a un pourcentage assez constant de concitoyens qui souhaitent que la loi évolue » (cf. Fin de vie : les sondages « ne procurent jamais une vérité de l’opinion »).
Maitriser les conséquences ?
Outre ces questions, les sénateurs pointent aussi du doigt les possibles dérives d’une légalisation de l’euthanasie.
Christine Bonfanti Dossat, sénatrice LR du Lot et Garonne et co-rapporteur de la mission, demande ainsi si en dépénalisant l’euthanasie, la ministre « ne craint pas la difficulté de maitriser les conséquences d’une telle ouverture ». Elle fait remarquer que les exemples étrangers montrent à la fois « un élargissement possible des critères, une augmentation du nombre de suicides et des dérives possibles » (cf. Les dérives inquiétantes de la pratique de l’euthanasie en Belgique).
Citant les constats faits par Theo Boer (cf. Euthanasie aux Pays-Bas : « Regardez ce pays et vous verrez peut-être la France de 2040 »), Daniel Chasseing se demande lui aussi si, « malgré les garde-fous, nous n’allons pas dériver comme aux Pays-Bas » (cf. Pays Bas : vers l’euthanasie des enfants de moins de 12 ans ?). Cela pourrait être « très grave » alerte-t-il.
Se voulant rassurante, Agnès Firmin Le Bodo rétorque que l’analyse de l’étranger a permis d’identifier « les glissements potentiels et les conditions pour les prévenir ». En allant à l’étranger, nous avons voulu éviter les glissements qui nous ont été rapportés. Cela a été « très instructif » précise-t-elle simplement.
« Garder à l’esprit la caractère singulier, douloureux et complexe de chaque situation »
Les sénateurs n’hésitent pas non plus à relever les paradoxes et les contradictions de la ministre déléguée.
Si « les questions éthiques ne sont jamais résolues par la loi » comme vous l’avez précisé, « est-ce que la loi pourra permettre de “mourir dans la dignité” et d’améliorer les choses ? » s’étonne ainsi Laurent Burgoa, sénateur LR du Gard.
« La fin de vie , la mort nous concerne tous, elle ne doit pas rester un sujet tabou, mais retrouver sa place dans notre parcours de vie », estime Agnès Firmin Le Bodo. « Face à la maladie, personne ne sait comment il réagira », admet toutefois la ministre déléguée. On se pose des questions de « bien portant » ajoute-t-elle. « Quelle que soit la législation et le souci d’assurer sa mise en œuvre rigoureuse, il n’existe pas de bonne mort, de mort zéro défaut, ni de bonne solution à la mort », reconnait-elle.
« La loi ne peut être que “générale” », rappelle également Laurent Burgoa. « Comment peut-elle être “juste et efficace” pour résoudre chaque cas particulier ? » « Il faut garder à l’esprit le caractère singulier, douloureux et complexe de chaque situation de fin de vie », a en effet indiqué Agnès Firmin Le Bodo lors de son audition.
« Allez-vous pouvoir élaborer un projet de loi ? »
Christine Bonfanti Dossat ne crains pas de pointer par ailleurs les divergences existant au sein du gouvernement. Elle relève ainsi qu’Olivier Véran « penche pour l’euthanasie », « Agnès Firmin Le Bodo pour le suicide assisté », et que le ministre de la santé a dit que « l’euthanasie n’est pas un soin » (cf. Fin de vie : le ministre de la Santé vraiment réticent ?). « Allez-vous pouvoir élaborer un projet de loi » dans ces conditions ?, s’étonne-t-elle.
Concluant l’audition, Catherine Deroche n’hésite pas, quant à elle, à parler d’une « forme de dé-civilisation ». A la « dé-civilisation » je réponds « outrance », rétorque Agnès Firmin Le Bodo.
Les sénateurs semblent opposer de la résistance face au projet de loi annoncé. Deux groupes ont d’ailleurs décidé de boycotter les réunions de concertation lancées ce lundi par Agnès Firmin Le Bodo.
Le débat n’est pas clos. Les sénateurs auront-ils le poids suffisant pour enrayer le processus mis en place par le Président (cf. Fin de vie : un processus construit pour aboutir à légaliser l’euthanasie ?) ?