Ce lundi 22 avril, les auditions de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi sur la fin de vie vont débuter à l’Assemblée nationale (cf. Fin de vie : une commission orientée vers l’euthanasie ?). Pourtant, une partie des soignants n’a pas été conviée.
Dans une lettre adressée à Agnès Firmin le Bodo, présidente de la commission, et aux rapporteurs du texte, un collectif réunissant 13 sociétés savantes et organisations de soignants souligne sa totale « incompréhension » (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « le mépris affiché à l’égard de soignants désormais qualifiés de secouristes à l’envers »). Il demande « officiellement et formellement » une audition pour chacune des organisations. « Les soignants que nous représentons seront les premiers concernés par le projet de loi et seront tenus de mettre en œuvre ses dispositions » insistent-ils.
« Inquiètes de savoir si on va les soigner ou les tuer »
Les gériatres sont particulièrement inquiets. « Un quart des Français meurent en Ehpad » soulignent-ils. En outre, « l’implication directe des gériatres dans le processus envisagé d’aide à mourir est spécifiquement mentionnée aux articles 10 et 16 du projet de loi » relèvent le Conseil National Professionnel de gériatrie (CNP), ainsi que des associations de médecins coordonnateurs d’Ehpad, et la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG).
« Depuis le lancement de ce débat, des personnes âgées persuadées que l’aide à mourir existe déjà sont inquiètes de savoir si on va les soigner ou les tuer » déplore Sophie Moulias de la SFGG (cf. Fin de vie : « médecine de l’accompagnement » ou « médecine de la mort donnée » ?). « Aujourd’hui, la grande majorité de la population âgée qui souffre de dépression n’est pas traitée » poursuit-elle. « Il n’y a toujours pas de loi grand âge. Cela paraît plus simple d’écrire un texte pour faire mourir qu’une loi pour soigner et accompagner les personnes vieillissantes » dénonce le médecin (cf. « Bien vieillir » : le texte adopté par les députés, à quand la loi « grand âge » ?). Les récents propos de Matthias Savignac, président de la mutuelle MGEN, qui a déclaré que « le taux de suicide des personnes âgées en France montre que la demande est déjà là » ne font qu’augmenter ces inquiétudes (cf. Soutien des mutuelles à l’euthanasie : « ces organismes ne font même plus semblant »).
« Le temps qui reste à vivre à un patient mérite d’être vécu ou non ? »
Le collectif des soignants, dont fait partie la Société médico-psychologique (SMP), regrette également que les organisations de psychologie et de psychiatrie ne soient « pas considérées ».
« Dire qu’une demande de suicide est pathologique ou “raisonnable” semble complètement irréaliste » prévient le chef du service d’urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne, le Dr Raphaël Gourevitch. En outre, alors que les praticiens luttent pour prévenir les suicides, il dénonce le projet de loi « qui en fait la promotion comme une liberté ultime » (cf. Effet Werther : « En légalisant le suicide assisté et l’euthanasie, on banalise le suicide »). « Des demandes de suicide, j’en entends tous les jours aux urgences. Les gens y donnent toujours une explication : la vieillesse, le handicap, l’idée qu’on ne veut pas être un poids pour les autres… Etre malade est aussi un facteur bien connu de dépression. Or ces demandes s’avèrent inconstantes et ambivalentes, y compris chez des gens qui font des gestes graves » souligne le praticien (cf. « Aide active à mourir » : les psychologues inquiets). « Qu’est-ce qui permet de dire que le temps qui reste à vivre à un patient mérite d’être vécu ou non ? C’est une question à laquelle il est impossible de répondre » alerte-t-il.
« C’est comme si nous étions simplement bons à pousser la seringue »
Du coté des infirmiers, l’audition du conseil national de l’ordre est prévue, mais pas celle du CNP infirmier, qui représente pourtant 700 000 professionnels. « C’est comme si nous étions simplement bons à pousser la seringue. Nous sommes extrêmement choqués de ne pas être entendus, alors que cette loi prévoit que les infirmières et les infirmiers puissent injecter un produit mortel dans l’intention de tuer ou d’“achever” un patient quand un suicide assisté ne se passerait pas comme prévu » s’offusque le porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers, Thierry Amouroux (cf. Fin de vie : les infirmiers craignent « une fuite accentuée des soignants »). « Les députés refusent-ils de nous entendre car nous avons alerté des dangers pour les plus fragiles ? » (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables)
La présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), Claire Fourcade, fera quant à elle bien partie des soignants auditionnés, mais sa prise de parole risque d’être limitée à une quinzaine de minutes simplement. Son audition est en effet prévue dans le même temps que celle de trois autres médecins, parmi lesquels le Pr Franck Chauvin, chargé d’élaborer le plan décennal pour les soins palliatifs (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier ») et un médecin favorable à l’euthanasie.
« Mettre dans un même texte deux approches à la philosophie opposée est une provocation »
« Nous avons décidé de donner beaucoup de temps au débat. La fin de vie est un sujet complexe, chacun doit avoir le temps de donner sa conviction » tente de rassurer Agnès Firmin Le Bodo, l’ancienne ministre de la Santé qui préside désormais la commission spéciale. Les auditions seront pourtant menées « au pas de charge », malgré les vacances parlementaires, pour permettre l’examen du projet de loi avant les élections européennes de début juin, dénoncent les députés opposés au texte.
« Ce sont des débats sur lesquels nous allons être très mobilisés » prévient Patrick Hetzel, député LR et vice-président de la commission spéciale. « Il aurait fallu deux lois : l’une sur les soins palliatifs, l’autre sur l’aide à mourir. Mettre dans un même texte deux approches à la philosophie opposée est une provocation » dénonce-t-il (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés). « Nous sommes sur une modification profonde, et le président de la République ne nomme pas les choses. Il dit que ce texte n’instaure pas le suicide assisté et l’euthanasie, alors que c’est l’un et l’autre. Le sujet est suffisamment important pour qu’on ne s’amuse pas à louvoyer avec les termes » s’offusque le député (cf. Projet de loi sur la fin de vie : un texte truffé de contre-vérités et déconnecté de la réalité).
Une fois le texte examiné en commission, il sera discuté en séance par les députés dès le 27 mai. Le vote est prévu quinze jours après.
Source : le Figaro, Wally Bordas et Agnès Leclair (21/04/2024) – Photo : iStock