Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »

14 Déc, 2023

Alors que la présentation de la future loi en Conseil des ministres a été reportée en février, l’avant-projet de loi sur le « nouveau modèle français de la fin de vie », issu du ministère des Professions de santé, a été dévoilé le 13 décembre par le Figaro. Un texte qui ne tient pas compte des alertes des soignants.

Trente-cinq pages, 21 articles destinés à être intégrés dans le Code de la santé publique, pour cette « version provisoire » qui « codifie la mort ».

L’avant-projet, transmis à Emmanuel Macron, est en attente des derniers arbitrages (cf. Fin de vie : « la volonté exprimée par le président de la République sera tenue »). « Il y a encore du travail à faire sur le texte » explique le cabinet d’un ministre. « Il faut un modèle français de la fin de vie mais le président veut l’expliquer lui-même et choisir son moment. Il est conscient des doutes et des débats que ça va ouvrir » précise une source ministérielle.

Comme annoncé, le texte propose un texte en trois parties incluant les soins palliatifs, les droits des patients et « l’aide à mourir » (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés).

Des critères impossibles à déterminer

« L’aide à mourir » sera inscrite dans l’article L 110-5 du Code de la Santé qui prévoit aujourd’hui un « droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ». Un continuum entre le soin et la mort provoquée sera ainsi créé (cf. Fin de vie : « ne dévoyons pas les soins palliatifs »).

Comme cela avait déjà été annoncé, « l’aide à mourir » serait accessible aux majeurs, atteints d’une « affection grave et incurable qui engage son pronostic vital à court ou moyen terme », ou présentant une « souffrance physique réfractaire ou insupportable » liée à leur maladie, et capable de manifester leur volonté (cf. Fin de vie : Agnès Firmin le Bodo esquisse le futur projet de loi) .

Les souffrances « liées à des troubles psychiques ou psychologiques » sont exclues, mais les critères souvent flous (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une manipulation sémantique, juridique et politique »). La définition de ce « moyen terme », allant de 6 à 12 mois selon le texte, sera laissée à l’évaluation du professionnel de santé. Pourtant, « toutes les publications scientifiques disent qu’il est impossible de déterminer un pronostic vital à “moyen terme” » relève Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). Sarah Halioui, médecin dans le service de soins palliatifs de Narbonne, acquiesce. « Tous les patients que j’ai vus aujourd’hui, je ne peux pas dire s’ils vont mourir à brève ou moyenne échéance. Comment prévoir l’espérance de vie à moyen terme ? Même à court terme, on peut se tromper. Nous avons suivi des personnes qui ont dépassé toutes les estimations d’espérance de vie  », témoigne-t-elle.

« L’euthanasie par tous »

L’administration de la substance létale sera « par principe » effectuée « par la personne elle-même », mais « un médecin, un infirmier », voire même un proche, pourra intervenir si le malade « n’est pas en mesure physiquement d’y procéder ». Les conditions pour lesquelles une personne serait considérée comme incapable de s’administrer elle-même le produit létal ne sont en revanche précisées à aucun moment.

Alors que le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) et le collectif représentant 800.000 soignants s’étaient opposés à l’euthanasie (cf. Euthanasie : le médecin ne peut administrer un produit létal selon l’Ordre des médecins ; 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie), l’avant-projet de loi ouvre à la fois la voie au suicide assisté et à l’euthanasie, sans toutefois utiliser ces termes (cf. Euthanasie : la corruption des mots précèdera-t-elle la corruption des actes ?). « Le texte introduit une exception d’euthanasie sans la nommer. »

Claire Fourcade, elle, va plus loin et estime qu’« il s’agit d’une légalisation de l’euthanasie tout court ». « C’est l’euthanasie par tous » s’offusque-t-elle. « Il n’y a aucune limite pour recourir à cette exception d’euthanasie, aucune réelle barrière entre les deux gestes, aucune étape supplémentaire pour distinguer une procédure de suicide assisté d’une procédure d’euthanasie afin que celle-ci soit effectivement évaluée. Il y a dans le texte une volonté de ne pas distinguer les deux et de ne pas nommer les choses » dénonce-t-elle.

Aucun pays ne réussit à faire cohabiter suicide assisté et euthanasie. « Lorsque les deux sont possibles, l’euthanasie est toujours massive » prévient Claire Fourcade. Tel est notamment le cas au Canada (cf. Canada : le nombre d’euthanasies ne cesse d’augmenter).

Une décision du médecin, et non pas collégiale

Alors qu’ils demandaient l’inverse, l’avant-projet prévoit que le suicide assisté ait obligatoirement lieu en présence d’un soignant, qui devra d’ailleurs être présent à toutes les étapes. Une modalité qui le rapproche du « modèle belge », plus que de celui de l’Oregon, pourtant vanté par Agnès Firmin Le Bodo (cf. Suicide assisté : l’Oregon, un « exemple » aussi pour les dérives).

Le médecin sera d’abord chargé de faire une évaluation médicale des demandes de « mort choisie », et de vérifier que le patient répond aux critères d’accès. Avant de donner son accord, le médecin devra en outre recueillir, au moins, l’avis d’un médecin qui ne connaît pas le patient et d’un spécialiste de la pathologie. Des psychologues, infirmiers ou aides-soignants qui connaissent le patient pourront aussi être interrogés, même si leurs avis « ne s’imposent pas au médecin ». « Il ne s’agit donc pas d’une décision collégiale, mais bien d’une décision prise par le médecin » explique le texte. « C’est la toute-puissance médicale » alerte de son côté Claire Fourcade.

Le médecin sollicité aura 15 jours pour rendre sa décision. Un délai plus long que celui de quatre jours proposé par le député Olivier Falorni en 2021 (cf. La PPL Falorni tombe en désuétude – le spectacle exagéré des promoteurs de l’euthanasie). Un délai de réflexion de deux jours minimum sera ensuite imposé au patient. Celui-ci devra également réitérer sa demande avant que la prescription de la « préparation magistrale létale » ne soit faite par le médecin.

« La médecine à l’envers »

Un médecin ou un infirmier devra être présent avant le geste final pour « vérifier la volonté de la personne », et préparer le produit létal. Il ne sera pas obligé « d’être dans la même pièce » aux derniers instants, mais devra rester sur place pour pouvoir « intervenir en cas d’incident lors de l’administration ».

« Aucun pays n’exige la présence d’un professionnel de santé pour un suicide assisté » s’indigne Claire Fourcade. Le texte évoque en outre un nouveau concept, celui du « secourisme à l’envers » qui permet de « hâter le décès en limitant les souffrances ». « Une déviation du secours vers l’abandon » selon l’éditorialiste Laurence de Charette. « Il fallait oser. C’est la médecine à l’envers, la pensée à l’envers d’en arriver à imaginer cela » s’offusque Claire Fourcade. C’est aussi « une façon de reconnaître que cette procédure n’est pas toujours facile » ajoute-t-elle (cf. Euthanasie : une mort douce ?).

Après le décès, le médecin ou l’infirmier devra enregistrer la procédure pour qu’elle puisse être tracée par une « Commission d’évaluation et de contrôle du dispositif d’aide à mourir », dont la constitution n’est toutefois pas précisée. Comme en Belgique, celle-ci réalisera ensuite un contrôle « a posteriori », uniquement sur la base de la déclaration faite par le médecin chargé de la demande de suicide assisté ou d’euthanasie (cf. Les dérives inquiétantes de la pratique de l’euthanasie en Belgique). La Convention citoyenne sur la fin de vie penchait pourtant plutôt pour un « contrôle a priori » pour éviter les dérives (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie).

Pas de modification du Code pénal

Comme annoncé, une clause de conscience sera proposée (cf. Supprimer la clause de conscience ? Des questions juridiques et éthiques). Les professionnels volontaires seront, eux, invités à s’enregistrer auprès de la « Commission d’évaluation et de contrôle ». Un article suggère par ailleurs que les frais de « l’aide à mourir » soient pris en charge par l’assurance maladie (cf. Euthanasie et économies : quand certains prétendent s’offusquer, d’autres calculent).

La procédure pourra avoir lieu au domicile ou ailleurs, selon la demande du patient. Une hospitalisation ou un hébergement dans un Ehpad ne devra « pas faire obstacle à l’accès d’une personne malade à l’aide à mourir » précise le texte. Les détenus devront, eux aussi, pouvoir accéder au suicide assisté, mais « en dehors des établissements pénitentiaires » (cf. Canada : des questions entourent l’euthanasie pour les prisonniers).

Il n’est en revanche pas prévu de modifier le Code pénal qui définit le meurtre et l’assassinat, deux qualifications que « l’aide à mourir » peut recevoir en l’état de la législation (cf. « C’est un meurtre que de tuer une autre personne, même si on exécute son souhait »). Pour « dépénaliser de façon expresse l’aide à mourir », l’avant-projet prévoit donc de s’appuyer sur une exception déjà prévue pour la personne « qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires », « ce qui serait le cas de l’aide à mourir une fois la loi adoptée ».

« De l’accompagnement de la fin de vie vers l’orchestration de la mort » 

Alors que certains s’attendaient à un texte initial restrictif, l’avant-projet va d’emblée très loin, même si les mots de suicide assisté et d’euthanasie sont volontairement absents (cf. Fin de vie : un nouveau groupe d’experts pour travailler sur les mots). S’inspirant du système belge, l’un des plus « avancés » en matière de « mort choisie », l’avant-projet établit une rupture forte avec le modèle français actuel (cf. Une société vraiment fraternelle : le « modèle français » de la fin de vie), et ne prend pas en compte les alarmes des soignants. « Rien n’a été entendu. Nous avons l’impression de nous faire marcher dessus » s’insurge Claire Fourcade qui annonce déjà que plusieurs collectifs de soignants préparent une réaction dans les jours qui viennent (cf. Fin de vie : un « dialogue de sourds » entre les soignants et le gouvernement).

«  Je ne me vois pas pousser la seringue pour tuer quelqu’un ou lui donner un médicament pour qu’il meure. J’ai peur que des patients demandent d’accélérer leur mort alors qu’il y a d’autres solutions  » s’inquiète Camille, une infirmière de 33 ans. « Cette nouvelle loi, elle me fait peur. Je crains que cela devienne une facilité, un moyen rapide et économique pour régler le sort des malades dans une société d’efficacité » indique quant à elle une aide-soignante du service de soins palliatifs de Narbonne. «  Ça prend du temps, de trouver une solution pour bien prendre en charge les patients. Aurons-nous encore ce temps si l’aide à mourir est présentée comme une porte de sortie ?  » ajoute Raphaëlle Rouhier, nutritionniste de Pass’temps, un programme d’accueil en soins de support, à Narbonne.

« Les soignants craignent, à raison, de voir le sens de leur mission se perdre dans ce glissement de l’accompagnement de la fin de vie vers l’orchestration de la mort, en faisant obstacle à la vie » explique Laurence de Charette. «Dans ce renversement se joue une part de notre humanité, dépossédée de la véritable grandeur puisée dans sa fragilité, chosifiée » prévient-elle. « En sauvant ce qu’il nous reste de fraternité, en pansant les blessures, en soulageant les souffrances, en développant, enfin et avant tout, de véritables soins palliatifs accessibles à tous, ne fera-t-on pas bien plus pour eux, pour nous, et pour le monde, qu’avec des injections létales ? »

 

Sources : Le Figaro, Agnès Leclair (13/12/2023) ; Le Figaro, Laurence de Charrette (13/12/2023) ; La Vie, Félicité de Maupeou (13/12/2023) – Photo : iStock

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