« Nous tous, comme citoyens et comme personnes, sommes concernés par cette question de la fin de la vie, par la mort et par les conditions dans lesquelles elle surviendra. » Dans un article publié par la revue Etudes, Jacques Ricot, philosophe, et Claire Fourcade, présidente de la SFAP, réfutent l’affirmation selon laquelle « l’euthanasie serait un “complément” des soins palliatifs et qu’elle n’enlèverait rien à ces derniers ».
Bien que nous soyons tous concernés, par la proximité qu’ils entretiennent avec la mort, les patients, soignants et accompagnants de soins palliatifs sont les premiers impliqués. Ensemble, ils construisent jour après jour une alliance, et font une promesse : « quoi qu’il arrive, nous serons là, jusqu’au bout. Et nous ferons ce qu’il faut pour vous soulager. Quoi qu’il en coûte mais aussi quoi qu’il nous en coûte ». Dès lors, soignants et accompagnants tremblent à l’idée d’une loi qui, « sous couvert de respecter la liberté », viendrait obliger les patients à envisager qu’ils pourraient être là pour donner la mort.
L’euthanasie est la cessation du soin
Par une « manipulation du dictionnaire et du droit », l’euthanasie est présentée comme un « soin de fin de vie », dénoncent Jacques Ricot et Claire Fourcade. Pourtant « l’euthanasie va “ailleurs” », comme ils le rappellent. « Elle n’est ni un traitement, ni un soin ». En stoppant « tous les gestes humains et médicaux accompagnant la vie qui s’en va », elle ne « s’ajoute pas [aux soins palliatifs], elle les contredit dans leur visée profonde ».
« Aider à mourir, c’est précisément la mission des soins palliatifs qui accompagnent la vie, sans retarder la mort qui vient, ni la provoquer», affirment le philosophe et la présidente de la SFAP. « Aider à mourir, c’est donc aider à vivre le mieux possible les derniers moments d’une existence qui arrive à son terme ». Il s’agit de soulager la souffrance, et non de supprimer le souffrant.
Dès lors, accepter l’euthanasie modifierait le « pacte de soin qui unissait jusqu’à présent le médecin et le patient dans la lutte commune pour rendre supportables les conditions de la fin de vie ».
Les soins palliatifs, « une offre singulière »
« Le soin palliatif ne se réduit pas à celui que l’on donne lorsque la guérison n’est plus l’horizon». Ils sont une philosophie qui place la relation humaine au cœur du soin, rappellent Jacques Ricot et Claire Fourcade. En somme, un « modèle avant-gardiste de l’exercice médical » qui devrait être étendu à d’autres spécialités.
« Le soin palliatif vient rappeler à la médecine sa mission immémoriale : guérir quand c’est possible et soulager toujours, ne pas promettre l’immortalité terrestre, ne pas provoquer la mort. ». « Travailler en soins palliatifs, c’est reconnaître que l’homme est mortel et que la médecine n’est pas toute- puissante ». « Les pionniers des soins palliatifs sont venus interroger une médecine de la performance et de la toute-puissance », refusant comme le rappellent les auteurs. « Ils ont refusé une médecine de plus en plus technique qui divise et morcelle l’homme ».
Aujourd’hui, le soin palliatif récuse cette nouvelle forme de « toute-puissance d’une médecine qui, ne pouvant pas offrir la guérison, s’arrogerait le pouvoir exorbitant de faire le tri entre les “vraies” et les “fausses” demandes d’en finir. » Qui est-on pour s’autoriser une telle décision ? interrogent Jacques Ricot et Claire Fourcade.
Finalement, les soins palliatifs proposent une 3e voie. Ils permettent de « dire le scandale de laisser mourir dans la douleur, la solitude ou la peur en même temps que le scandale de faire mourir. ». Alors « ne dévoyons pas le soin palliatif en prétendant le “compléter” par ce qui le nie ».
Source : Etudes, Jacques Ricot et Claire Fourcade (numéro d’octobre 2022)