Mardi, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adopté en séance plénière un avis en faveur du suicide assisté et de l’euthanasie. L’avis, intitulé « Fin de vie : faire évoluer la loi ? », a été voté à une large majorité, avec 98 voix pour, 6 contre et 12 abstentions.
C’est la seconde fois que le CESE se prononce sur le sujet. En 2018, il avait déjà rendu un avis, « Fin de vie : la France à l’heure des choix », dans lequel il se déclarait favorable à une évolution de la loi de 2016 et s’interrogeait sur la mise en œuvre des soins palliatifs (cf. Le CESE adopte un avis favorable à un droit à l’euthanasie).
De multiples consultations, mais des conclusions convergentes
« Le cycle de consultation, la maturation collective » ne s’étaient pas clos avec le dépôt du rapport de la convention citoyenne rappelle Thierry Beaudet, président du CESE en introduction de la séance.
Pour répondre à la question posée par le Premier ministre, le CESE a en effet mené deux démarches parallèles. Afin de porter la voix des « organisations de la société civile », une commission temporaire (cf. Fin de vie : deux entités coexistent au sein du CESE), qui vient de rendre son avis, a été mise en place en plus de la convention citoyenne (cf. « Convention citoyenne » sur la fin de vie : une consultation en trompe l’œil ?).
« Nous n’avons pas repris ni copié les travaux de la convention, nous les avons pris en compte » précise Albert Ritzenthaler, président de la commission temporaire. « Ses travaux et l’attention aux personnes en situation de vulnérabilité a été notre fil rouge » n’hésite-t-il pas à ajouter.
Sans surprise, leurs conclusions sont pourtant les mêmes, à peu de choses près. « En travaillant de façon parallèle, chacun dans son champ, nous sommes arrivés aux mêmes conclusions » admet d’ailleurs elle-aussi Agnès Firmin le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé, et copilote des débats sur la fin de vie avec Olivier Véran, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé du Renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
Après l’avis du Comité consultatif national d’éthique (cf. Avis du CCNE : en marche vers l’aide active à mourir ?), le rapport de la Convention citoyenne (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie), et celui de la mission parlementaire (cf. Clap de fin pour la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti), les conclusions du CESE convergent : le cadre juridique actuel n’apporte pas une réponse à toutes les situations, estime-t-il. « Il n’est pas clair, et explicite. Il suscite des interrogations et des contradictions » affirme Dominique Joseph, la rapporteure de l’avis, également secrétaire générale de la Fédération nationale de la mutualité française (cf. Fin de vie : des mutuelles et fédérations professionnelles pour « l’aide active à mourir »). Tous les feux sont désormais « au vert » pour aboutir à une évolution de la loi.
Treize « préconisations » sont formulées par le CESE dans son rapport dans ce but.
Une société solidaire et respectant la dignité ?
Se parant de belles intentions, le CESE n’hésite pas à dire qu’il souhaite « s’inscrire dans le cadre d’un projet humaniste d’une société solidaire, inclusive et émancipatrice ». Ce « projet » constitue d’ailleurs la première partie de son avis.
On peut y lire que « la solidarité envers les plus faibles et les plus vulnérables est le ciment de la société inclusive (..). Chacun et chacune a une place et sa place dans la société (..) . Il n’y a pas les utiles d’un côté et les inutiles de l’autre. Personne ne devrait jamais se ressentir comme un poids pour la société et les autres ».
C’est fort de ce projet que le CESE entend formuler sa première préconisation : « une modification de la loi pour affirmer qu’en fin de vie, le droit à l’accompagnement est ouvert jusqu’à l’aide active à mourir ». Ce « droit » devra respecter « toutes les personnes dans leur singularité et leur dignité » précise le rapport.
Derrières ces « grands mots », il est permis de s’étonner de cette vision de l’accompagnement comme de la solidarité. Une vision qui semble pour le moins paradoxale. Peut-on à la fois être solidaire des plus faibles, et leur proposer d’avoir recours au suicide assisté ou à l’euthanasie ?
Léo, l’un des conventionnels, n‘hésite pas à caractériser de « pernicieuse » cette méthodologie consistant à partir d’une société dans laquelle l’« aide active à mourir » se ferait dans les meilleures conditions. « Cette société, où est-elle ? » interroge-t-il au cours de la séance plénière. « Elle existe peu, de moins en moins », ajoute-t-il avant d’appeler à ne pas « tomber dans un aveuglement ».
Le recours au suicide assisté ou à l’euthanasie, une liberté ?
Développant sa première proposition, le CESE se positionne, au nom du principe de liberté individuelle, en faveur du « droit pour les personnes atteintes de maladies graves et incurables, en état de souffrance physique ou psychique insupportable et inapaisable, de recourir au suicide assisté ou à l’euthanasie ».
La loi devra en revanche définir le cadre précis de ce droit, « avec une attention particulière pour les personnes en situation de vulnérabilité » précise là encore le rapport.
Le CESE préconise également que les actes nécessaires (prescription médicale, injection létale…) soient considérés comme des actes médicaux, s’opposant ainsi à la position de la majorité des soignants (cf. La SFAP s’insurge : « Donner la mort n’est pas un soin »). Donner la mort pourrait-il être un soin ?
Pour les professionnels de santé, la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie s’accompagnera toutefois de la possibilité de refuser de pratiquer ces actes en faisant valoir leur clause de conscience, recommande le CESE. Celle-ci sera cependant assortie de « l’obligation d’information et d’orientation des patients et de prise en charge des patients par une ou un autre professionnel ». La « liberté de choix » du patient semble ainsi devoir prévaloir sur celle des professionnels de santé qui devrait connaitre des limites.
Admettre un « consentement indirect » et préserver le bénéfice des contrats d’assurance
Concernant la demande du patient, le CESE n’hésite pas à prévoir lui aussi la possibilité de « consentement indirect » (cf. Le « consentement indirect » : « Même la Belgique n’a pas osé »). Il préconise en effet que, lorsque la situation ne permet pas une expression réitérée en pleine conscience, les directives anticipées puissent être prises en compte.
Allant encore plus loin, le rapport précise aussi qu’en l’absence de directives anticipées, et en cas d’impossibilité d’expression de la volonté individuelle et du consentement, le rôle de la personne de confiance et le processus collégial élargi à l’entourage de la personne devront être renforcés. Le CESE propose même d’instaurer une procédure judiciaire spécifique et accélérée en cas d’impossible conciliation entre l’entourage du patient, la personne de confiance et les soignants. Tout semble « bon » pour « pousser » les patients vers le suicide assisté ou l’euthanasie.
Pour « parfaire » le dispositif, le CESE prend le soin d’appeler à la vigilance sur les modifications à apporter aux dispositions législatives et réglementaires prévues dans les codes existants, et en particulier le code pénal, le code de la santé publique et le code des assurances, « afin de prévenir d’éventuelles poursuites » dit-il.
Dans un tweet, l’avocat et essayiste Erwan Le Morhedec se demande ainsi s’il faudrait, notamment, en déduire que « le CESE préconise de permettre la publicité ou la propagande en faveur de l’euthanasie » qui sont actuellement interdites par le code pénal comme le rappelle l’avis.
Le CESE n’hésite pas non plus à préciser également qu’il convient de « préserver les droits des bénéficiaires et de leurs héritiers au titre des contrats de prévoyance, d’assurance décès, d’assurance vie ». Il ajoute aussi que le volet médical du certificat de décès devra être renseigné en fonction de la pathologie à l’origine de l’acte.
Un accès aux soins palliatifs pour tous et partout
A son tour, le CESE insiste par ailleurs sur « les inégalités territoriales et sociales qui perdurent dans l’accès aux soins palliatifs ». Il sollicite leur renforcement en leur donnant « les moyens correspondants » (cf. Plan décennal pour les soins palliatifs : encore des promesses ?).
« Les soins palliatifs ne sont pas seulement des soins de fin de vie, prodigués à quelques jours ou quelques heures de la mort : ils peuvent accompagner le malade tout au long de son projet de vie et de fin de vie si nécessaire » rappelle l’avis.
Le CESE préconise ainsi que « toute maladie grave évolutive puisse donner lieu à des soins d’accompagnement et palliatifs, dès l’annonce du diagnostic et le début de la prise en charge du patient, en complément des actes médicaux et traitements à visée curative ».
L’égalité d’accès à ces soins devra être garantie dans tous les territoires, particulièrement les territoires ultramarins insiste en outre le CESE qui rappelle « le manque de moyens matériels, financiers et humains pour couvrir tous les besoins dans tous les territoires et en tous lieux, y compris au domicile ».
L’avis insiste : il faut « un accès aux soins palliatifs pour toutes et tous partout » et l’égalité d’accès à ces soins. Pour faire face à ces échéances démographiques, notre pays devra adapter les moyens dédiés aux soins palliatifs à sa pyramide des âges indique-t-il en s’appuyant sur les récentes projections de l’INSEE [1].
Etendre les droits et le rôle des acteurs de la fin de vie
« La question de la fin de vie ne peut ni ne doit se résumer à une opposition entre soins palliatifs et aide active à mourir » ajoute Dominique Joseph.
Parmi ses autres préconisations, le rapport du CESE propose de développer les directives anticipées et la personne de confiance qui sont « des mesures essentielles » lit-on.
A ce titre, il est suggéré que les directives anticipées intègrent la possibilité du suicide assisté et de l’euthanasie. Leur opposabilité devra aussi être réaffirmée, et leur dépôt sécurisé dans un registre national public, comme « Mon espace santé » par exemple.
Enfin, le CESE préconise que la place des associations de bénévoles et des aidants soit renforcée, et que leur engagement soit reconnu et valorisé. Pour cela, il propose notamment une revalorisation des congés de « proche aidant » et de « solidarité familiale ».
Les travaux du CESE, « une pierre importante pour la construction de la loi »
« Le projet d’avis est dans le bon calendrier pour inspirer le législateur », se réjouit Thierry Beaudet. « Notre société est prête à voir l’ouverture de ce nouveau droit » considère d’ailleurs Agnès Firmin le Bodo.
Elle rappelle que le président de la République a demandé début avril au gouvernement de proposer avant la fin de l’été un projet de loi. Ce projet sera nourri de tous vos travaux ajoute-t-elle. « Ils sont une pierre importante pour la construction de la loi. » « Nous allons concevoir ensemble (..) ce modèle à la française d’accompagnement de la fin de vie qui comprendra un projet de loi sur l’aide active à mourir », déclare la ministre.
Ce sujet « ne pourra être clos par la prochaine loi » prévient toutefois d’ores et déjà le CESE. « Les évolutions sociétales, les progrès de la recherche médicale mais aussi les futures évaluations et rapports sur l’effectivité de l’accès de chacun et chacune à ce droit de l’accompagnement de la fin de vie rendront nécessaires de nouvelles évolutions législatives » précise l’avis.
Tel pourrait être le cas de l’accès des mineurs à « l’aide active à mourir ». Comme l’ont fait remarquer plusieurs intervenants lors de la séance plénière, en le regrettant parfois, la question des mineurs n’a pas été tranchée par le CESE.
L’avis suggère aussi de revoir aussi les « termes de suicide assisté et d’euthanasie ». « Les mots ont une forte résonance pour celles et ceux ayant connu des situations difficiles et douloureuses » estime-t-il (cf. Euthanasie : « ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne »).
Avant même le dépôt d’un projet de loi, la voie est ainsi d’ores et déjà ouverte à de futures évolutions.
[1] INSEE PREMIÈRE n°1943, avril 2023, Nathalie Blanpain : « En 2023, la France compte 30 000 personnes âgées de 100 ans ou plus, soit près de 30 fois plus que dans les années 1960-1975. Ils devraient être 76 000 en 2040. »