Fin de vie : « nul pays au monde ne prévoit un tel laxisme qui ouvre la porte à toutes les transgressions imaginables »

16 Mai, 2024

Alors que le projet de loi sur la fin de vie est examiné par la commission spéciale cette semaine, Laurent Frémont, enseignant en droit constitutionnel à Sciences Po et cofondateur du collectif Tenir ta main, décrypte le texte dans une tribune publiée par le Figaro. Malgré les « précautions oratoires » du Gouvernement, le projet de loi sur la fin de vie est plus laxiste que les législations étrangères dénonce-t-il.

« Un chemin possible, dans une situation déterminée » selon Emmanuel Macron, des « conditions strictes » pour Gabriel Attal, « un texte d’équilibre » explique Catherine Vautrin… L’exécutif redouble de précautions oratoires pour justifier son projet de loi légalisant l’euthanasie et le suicide assisté (cf. Fin de vie : Catherine Vautrin, première auditionnée de la commission spéciale). À force d’être assénée, cette circonspection a fini par s’inscrire dans la conscience collective. Pourtant, une lecture attentive du projet de loi montre que cette prudence affichée est factice. Un effort minimal de législation comparée prouve au contraire que la loi française serait la plus permissive au monde, sans même envisager les inévitables évolutions à venir.

Des critères subjectifs et imprécis

Première exception française, les trois principaux critères d’éligibilité seront non seulement très larges, mais aussi très flous. Pour pouvoir demander la mort, la personne devra « présenter une souffrance physique ou psychologique » qui soit « réfractaire aux traitements » ou « insupportable lorsque la personne ne reçoit pas ou a choisi d’arrêter de recevoir des traitements ». Les législations les plus latitudinaires ne prévoient pas des critères aussi larges et alternatifs. Même la Belgique ou le Canada instaurent des conditions cumulatives.

De plus, la personne devra voir son pronostic vital engagé « à court ou moyen terme ». Or, chacun sait l’incapacité de la médecine à pronostiquer une mort à six mois ou un an. Aucun pays ayant légalisé l’euthanasie n’a prévu une condition aussi imprécise et subjective. Nul doute qu’elle ouvrira la porte à des dissensions insolubles, sources d’immanquables contentieux.

Enfin, les conditions de la manifestation d’une « volonté libre et éclairée » ne sont pas précisées et rien n’est prévu pour les contrôler, alors même que le rôle de la loi devrait être de prévenir les troubles du discernement et les potentiels abus de faiblesse.

Il est donc illusoire de penser que les critères seraient stricts, tant ceux-ci sont soumis à une forte subjectivité, sans référence à des échelles normées. Seuls deux critères sur cinq restent objectivables : la nationalité ou la résidence stable en France, ainsi que l’âge, mais l’on voit bien les pressions déjà à l’œuvre pour étendre la mort provoquée aux mineurs (cf. Fin de vie : un projet de loi qui « permet de mettre un pied dans la porte », avant les prochaines étapes).

« Une chambre d’enregistrement »

Le droit de provoquer la mort sera donc soumis à l’appréciation solitaire d’« un médecin » indéfini, le second avis médical pouvant être donné à distance, sans même que le praticien n’ait à examiner la personne. Emmanuel Macron annonçait qu’« il revient à une équipe médicale de décider collégialement et en transparence ». Pourtant, dans le projet de loi, il n’y a ni équipe, ni collégialité, ni transparence. Il n’y a qu’un médecin seul, face à un patient seul, qui prend sa décision quasi seul, avec une législation imprécise (cf. Fin de vie : « On est en train de remettre en cause l’éthique et les valeurs du soin »).

D’ailleurs, tous ces prétendus critères d’éligibilité demeurent fictifs : il n’est prévu qu’un contrôle a posteriori, par définition quand la personne sera morte, qui n’est qu’une chambre d’enregistrement. Ici, la France s’inspire de la commission fédérale belge, qui n’a transmis qu’un cas problématique sur 33 610 euthanasies déclarées au procureur du roi en vingt-deux ans, et dont la neutralité et l’impartialité ont été remises en cause par la CEDH dans l’arrêt Mortier c. Belgique en 2022 (cf. Euthanasie : Une première condamnation de la Belgique par une juridiction internationale). Sur un acte aux conséquences fatales, ne pas prévoir de contrôle préalable, contrairement à l’Espagne, par exemple, est particulièrement irresponsable.

« Même la loi belge exige une demande écrite »

C’est dans la procédure que le laxisme français apparaît de manière encore plus flagrante. La demande de mort pourra être exprimée à l’oral, alors que certains actes médicaux autrement moins engageants nécessitent des autorisations écrites, ou du moins signées. Même la loi belge exige une demande écrite, datée et signée par le patient. Aucun tiers ne devra être présent, lorsque la loi canadienne exige un témoin indépendant ou que la loi autrichienne prévoit une demande devant notaire.

D’ailleurs, la famille ou les proches seront totalement évacués du processus : à aucun moment ils ne seront consultés, ni même informés, ce qui entraînera immanquablement des traumatismes intrafamiliaux. Le texte prévoit qu’ils ne pourront pas « faire recours à la demande », alors que c’est explicitement ce qu’annonçait le président de la République.

« Le gouvernement détourne les yeux des risques »

Autre originalité proposée par le gouvernement : l’acte létal pourrait être réalisé « en dehors du domicile du patient », sans encadrement quelconque. Là encore, nul pays au monde ne prévoit un tel laxisme qui ouvre la porte à toutes les transgressions imaginables. Seul le Québec, depuis 2023, prévoit que l’administration de la mort puisse se faire dans un lieu au choix du patient. Les dérives sont déjà flagrantes : on voit ainsi un salon funéraire proposer un forfait « euthanasie clé en main » dans ses murs pour 700 dollars (cf. Canada : un complexe funéraire propose un forfait pour être euthanasié). Une telle imprévoyance a de quoi laisser pantois.

Pire, toute « personne volontaire, que le requérant désigne », pourra pousser la seringue mortelle. Nulle part ailleurs on n’a ne serait-ce qu’envisagé cette situation. Il est inconséquent de la prévoir avec une telle désinvolture. Le gouvernement détourne les yeux des risques de conflits d’intérêts et d’abus de faiblesse, ainsi que des conséquences prévisibles en matière de divisions des familles et de traumatismes personnels et transgénérationnels qui ne manqueront pas de survenir.

« L’exception française est décidément d’une violence rare »

Enfin, le texte français se distingue par la coercition qu’il impose aux établissements sanitaires et médico-sociaux, qui seront « tenus » d’organiser la mort administrée dans leurs murs. Aucun pays n’impose ainsi à des équipes ou des établissements de violer ainsi leur conscience. Seul le Québec oblige depuis l’an dernier les maisons de soins palliatifs à mettre en place l’euthanasie (cf. « Aide médicale à mourir » : aucune exemption pour une maison de soins palliatifs). De même, la France serait la seule à contraindre les pharmaciens à délivrer la substance létale (cf. « Aide à mourir » : « Un même acte, actuellement puni jusqu’à 30 ans de prison, deviendrait une obligation pour les pharmaciens »). En plus d’être originale, l’exception française est décidément d’une violence rare.

Il est essentiel de ne pas être dupes de ce qui est à l’œuvre : nous sommes loin de la « loi de fraternité [permettant] de choisir le moindre mal quand la mort est déjà là » comme le dit Emmanuel Macron (cf. Suicide : ne dévoyons pas « le sens de la fraternité, au nom d’une liberté mal comprise »). Le texte soumis à l’Assemblée nationale vise à répondre largement aux demandes de mort, dans des conditions très souples et relatives, avec une implication forte et contrainte des soignants, dans une société « en voie de liquéfaction avancée » selon les mots de Zygmunt Bauman. Le nier serait au mieux un aveuglement irresponsable, au pire un artifice politicien coupable.

 

Cette tribune a été reproduite ici avec l’accord de son auteur.

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