Fin de vie : un processus construit pour aboutir à légaliser l’euthanasie ?

4 Avr, 2023

« Je suis admiratif de la façon dont tout ça a été construit », déclarait Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans la matinale de France Inter ce matin. Une construction que l’on peut admirer en effet, tant ses différentes étapes semblent avoir été pensées avec soin.

Le processus a débuté avec un avis du CCNE favorable à l’« aide active à mourir ». L’instance est ainsi revenue sur tous ses avis précédents sur le sujet et a installé dans le débat un nouveau vocable. L’« aide active à mourir » rassure, quand l’euthanasie pouvait évoquer des heures sombres (cf. Euthanasie : « ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne »).

Deuxième étape : une Convention citoyenne. Les avantages d’un référendum sans ses inconvénients. Censés représenter les Français, les 184 citoyens tirés au sort ont été soigneusement encadrés par une instance qui s’est déjà prononcée en faveur de l’euthanasie (cf. Le CESE adopte un avis favorable à un droit à l’euthanasie).

Une convention orientée

Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin et vice-Président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, recense un « cortège des preuves de leur manipulation » [1] : « opacité sur les critères de choix des orateurs, exclusion d’ouvrages hostiles à la légalisation de l’euthanasie dans la bibliographie à disposition des conventionnels (cf. Convention citoyenne : un parti pris qui ne se cache pas), interventions de promoteurs des systèmes belge et suisse dès le début de la procédure (cf. Lancement de la convention citoyenne : beaucoup de questions, et d’inquiétudes), absence de débat contradictoire avec les promoteurs des législations étrangères de légalisation de l’euthanasie (Belgique, Québec, Suisse), emploi systématique du terme “d’aide active à mourir” au cours des débats, discussion limitée à une heure quinze sur 27 jours de phase délibérative entre tenants et adversaires de l’euthanasie (cf. Convention citoyenne : début (et fin ?) de la délibération), mise à l’écart de philosophes et d’éthiciens réservés sur la légalisation de l’euthanasie (cf. Fin de vie : une convention manipulée ?), limitation de la voix des médecins à une seule matinée, refus d’organiser des visites d’unités de soins palliatifs sur le terrain ».

On pourrait ajouter à cette longue liste que l’intervention de Jean-François Delfraissy, lors de la première session de la Convention, avec sa stature de médecin, d’expert, aura pu en impressionner certains. Et que c’est Alain Claeys, favorable à l’euthanasie, qui est venu présenter la loi Claeys-Leonetti (cf. Alain Claeys : « En parlant d’aide active à mourir on change de paradigme »), pas son confrère Jean Leonetti (cf. Jean Leonetti : « La mort n’est pas un problème médical, la mort est un problème existentiel »).

Le tout pour parvenir à répondre à une question que Patrick Hetzel qualifie de « cas d’école de malhonnêteté intellectuelle »[2]. Comment en effet les conventionnels auraient-ils pu répondre que la loi est adaptée à toutes les situations, quand, par définition, elle est conçue pour le cas général ?

Des points de vue choisis

Du côté des média, tous les points de vue n’ont pas non plus eu voix au chapitre. Ainsi, Marie-Caroline Schürr, porteuse d’un lourd handicap, indique avoir été contactée par BFMTV, qui lui a précisé « que 92% de la Convention citoyenne était favorable à l’aide active à mourir » [3]. « La journaliste pensait que moi aussi », raconte-t-elle. Mais « lorsque la chaîne d’informations a compris que je m’y opposais, ils ont annulé ma venue sur le plateau… »

Un sort qu’elle a connu aussi auprès du président de la République auquel elle avait adressé une lettre ouverte. « Par le biais de son cabinet, le président m’a adressé une réponse creuse, impersonnelle, sans fond, qui ne répond pas du tout à la lettre où je m’implique personnellement », regrette Marie-Caroline Schürr. « J’aurais voulu qu’Emmanuel Macron s’engage. Je ne sais même pas s’il a lu ma lettre ouverte. » Mais le président avait réservé ses promesses à Line Renaud (cf. « Convention citoyenne » sur la fin de vie : une consultation en trompe l’œil ?).

Vers un véritable débat parlementaire ?

La construction se poursuit, et passe à présent à la dernière étape : un débat parlementaire qu’a préparé la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti présidée par le député Olivier Falorni (MoDem et Indépendants), fervent promoteur de l’euthanasie (cf. Un rapport orienté vers l’« aide active à mourir » ?).

Mais deux grains de sable pourraient faire grincer ce beau rouage. Tout d’abord les soignants qui ne cessent de répéter leur opposition à l’euthanasie (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie). En première ligne sur le sujet, leur voix devrait compter plus que celle d’artistes, quelque populaires qu’ils soient. Deuxième obstacle possible sur la route d’une future loi légalisant l’euthanasie : le Sénat. Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, a réitéré son opposition à la mort médicalement administrée[4]. « On mesure la qualité d’une civilisation aux soins qu’on apporte aux plus fragiles », rappelle-t-il.

Suite au dernier avis du CCNE, les Sages ont décidé de mener de leur côté une mission d’information sur la fin de vie. Et, d’un bout à l’autre de l’hémicycle, ils semblent douter de la pertinence de légiférer sur le sujet (cf. Fin de vie : le Sénat mène aussi des travaux). Sauront-ils résister au « consensus » qu’on voudra leur opposer ?

Le début de la pente glissante

Si l’« aide active à mourir » intègre le droit français, ce sera avec des « garde-fous », des « lignes rouges », derrière lesquels s’abriter. Emmanuel Macron a d’ores et déjà exclu les mineurs du futur texte, et a insisté sur la notion de discernement (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie). Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou en état pauci-relationnel pourraient aussi être protégées, pour le moment. Un militant de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) ne s’en cache pas : il ne s’agit que de la première étape.

« On a déjà eu du mal à porter cette loi. Il faut y aller par étapes et obtenir dans un premier temps ce qui fait le plus consensus. Sinon, on va nous accuser de ne pas respecter le choix du patient alors que l’on n’arrête pas de brailler que la fin de vie c’est avant tout le choix de la personne », a-t-il déclaré [5].

Evoquer « la possibilité d’une euthanasie active aux patients dont le discernement est altéré » pourrait « donner du grain à moudre aux adversaires d’une évolution de la législation », et mettre en péril cette construction si bien orchestrée.

 

[1] Le Figaro, Patrick Hetzel : «Le débat sur la fin de vie mérite mieux que l’amateurisme et les manipulations» (03/04/2023)

[2] La question posée aux conventionnels était la suivante : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »

[3] Ombres & Lumière, Marilyne Chaumont, « La Convention citoyenne s’est faite de manière hypocrite » (03/04/2023)

[4] AFP (04/04/2023)

[5] Marianne, Lisa Guillemin, Fin de vie et discernement : la convention citoyenne a-t-elle évité le débat principal ? (03/04/2023)

Photo : Pixabay

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