Le 26 avril, Jean-Marie Le Mené, président de la Fondation Jérôme Lejeune, a été auditionné à l’Assemblée nationale par la commission spéciale sur la fin de vie. Rompant « le charme du projet de loi », il dénonce la résignation du texte qui ne dit pas tout et fait place aux mensonges. Le dernier spasme d’une société libertaire à l’agonie. Gènéthique retranscrit ici son intervention.
Deux lectures différentes du projet de loi sur la fin de vie peuvent coexister.
La première est une lecture idéaliste visant à repenser le concept de vie comme un « matériau à gérer », dans le sillage illustre de Pierre Simon et Henri Caillavet, notamment. Une lecture qui exprime très logiquement que si donner la vie doit être un choix, la quitter doit aussi pouvoir être un choix.
La même vision prométhéenne aux deux extrémités de la vie transparaît en effet dans les mêmes arguments : mon corps m’appartient, ma mort m’appartient. Mais aussi les mêmes acteurs : les mots eu-génisme et eu-thanasie sont de la même famille ; le planning familial et l’ADMD ont les mêmes géniteurs. Ou encore les mêmes méthodes : la personne qui ne peut pas avorter ou être euthanasiée est une victime, le médecin qui pratique illégalement avortement ou euthanasie est un héros. Et les mêmes résultats : des actes considérés comme des crimes depuis des millénaires sont, du jour au lendemain, transformés en bienfaits pour l’humanité.
« Un texte de résignation »
Mais ce narratif triomphaliste n’est pas celui du projet de loi que vous avez sous les yeux. Il s’en inspire, mais sans le dire. La réalité s’est invitée et le charme est rompu.
Loin du côté exaltant de la rupture civilisationnelle, le projet de loi offre une lecture sous-tendue par le côté pesant de la dérogation au principe du respect de la vie. De fait, le projet de loi n’est pas un projet idéal, mais un texte de résignation. Il croit devoir mettre l’accent sur « l’encadrement très strict ». Les conditions d’accès, de procédure, de clause de conscience, de contrôle et d’évaluation sont censés nous rassurer. Faut-il donc que nous en ayons besoin pour que la ministre de la Santé nous précise que « personne n’imposera à qui que ce soit l’aide à mourir » ? (cf. Fin de vie : Catherine Vautrin, première auditionnée de la commission spéciale)
« Tuer, même peu, c’est déjà trop »
Ayant eu le privilège d’avoir suivi toutes les lois de bioéthique, déclarées ou non, depuis 30 ans, je peux vous garantir que si la rigueur de l’encadrement strict est proportionnelle à la gravité de la transgression, cette rigueur est purement incantatoire. En effet, la transgression d’un principe signifie que disparaissent le principe : si la transgression encadrée paraît acceptable, c’est une illusion car sa perversité ne réside pas dans l’excès, mais dans l’essence de l’acte de tuer. Tuer, même peu, c’est déjà trop. Mais aussi, la limite : la limite c’est l’interdit de tuer, et non pas l’autorisation limitée de tuer qui devient parfaitement arbitraire (cf. « L’interdit fondamental d’ôter la vie, quelles que soient les circonstances »). Ainsi, dans l’IVG, la PMA, la recherche sur l’embryon, les limites ont toutes explosé. Ou encore la dérive : on dérive par rapport à un cap, mais si le cap est perdu, la dérive ne veut rien dire. Il n’y a que des illégalités provisoires qui finissent par être légalisées. Chaque loi de bioéthique n’a fait que rendre légal ce qui ne l’était pas dans la loi précédente (cf. Jean-Marie Le Méné : Les lois de bioéthique ne sont ni bio, ni éthiques, elles n’ont pas limité les dérives, elles sont les dérives). Et le contrôle : on ne contrôle pas des limites qui ne sont pas sanctionnées et ont vocation à disparaître.
A partir de ce constat, et contrairement à ce qui est prévu dans la loi, il n’y aura aucune raison, ni légale et encore moins morale, de ne pas appliquer la loi aux mineurs, aux étrangers, aux personnes porteuses de handicap (la loi leur garantira une égalité d’accès à l’« aide à mourir »), et enfin à toutes les personnes qui trouvent la vie insupportable (cf. Les dérives inquiétantes de la pratique de l’euthanasie en Belgique). Qui sommes-nous pour juger de leurs détresses ? Demande-t-on des comptes à la femme qui dit mon corps m’appartient ? En demandera-t-on à celui qui dit ma mort m’appartient ?
« Le dernier spasme d’une société libertaire à l’agonie »
C’est pourquoi ce projet de loi est un texte de résignation, parce qu’il ne dit pas tout et s’est résigné aux mensonges (cf. Euthanasie : la corruption des mots précèdera-t-elle la corruption des actes ?). Mensonges quant à l’absence d’impact sur les familles qu’on va diviser avant même l’ouverture de la succession, sur les médecins tenus à un ré-adressage honteux, sur les soignants qui pourront rester en dehors de la pièce au moment de l’acte mais devront être prêts à intervenir en cas d’incident, sur les pharmaciens (dont l’implication ne justifie pas de clause de conscience parce qu’ils se « contentent » de délivrer la substance létale), sur les directeurs d’établissements de santé qui seront sanctionnés s’ils refusent, sur les élus locaux qui président les conseils d’administration de ces établissements, etc.
Mais cette résignation au mensonge atteint son paroxysme dans l’euphémisation du titre « aide à mourir » qui ne comporte nulle mention ni de l’euthanasie, ni du suicide. Difficile de ne pas qualifier pareille veulerie. Même le Conseil d’Etat s’en est ému en observation préalable dans son avis. Les Français risqueraient-ils de comprendre ? Il faudrait donc leur cacher la vérité des mots ? C’est aussi la mort de la politique. La seule chose que l’on puisse espérer c’est que ce débat sur l’euthanasie soit le dernier spasme d’une société libertaire à l’agonie.