Le 10 avril, alors que le projet de loi était présenté en Conseil des ministres le matin (cf. Fin de vie : le projet de loi devant le Conseil des ministres), l’Assemblée nationale a constitué dès l’après-midi la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à « l’accompagnement des malades et de la fin de vie ». Du jamais vu. Ses premiers pas ont de quoi inquiéter.
Des personnalités pro-euthanasie aux premières places
Agnès Firmin Le Bodo, députée Horizons de Seine-Maritime, et ancienne ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de la santé, puis ministre de la santé en sera la présidente.
C’est elle qui était en charge du sujet de la fin de vie jusqu’au 11 janvier. Elle a ainsi rédigé la première version du projet de loi (cf. Fin de vie : Agnès Firmin Le Bodo précise les contours du projet de loi). Désormais, elle va devoir organiser les travaux de la commission, et veiller à leur bon déroulement. Il y a quelques années, elle avait déjà été à la tête de la commission spéciale sur la loi de bioéthique (2019-2021).
Olivier Falorni, député MoDem de Charente-Maritime, a lui été choisi au poste-clé de rapporteur général. Il était déjà présent dans tous les groupes de l’Assemblée nationale sur la fin de vie, présidant la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti de 2016 (cf. Clap de fin pour la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti), mais aussi le groupe d’études sur la fin de vie (cf. Fin de vie : légaliser l’euthanasie n’est « pas un progrès, mais un catafalque social »).
Sa position ne fait plus mystère depuis longtemps. En 2021, il avait déposé une proposition de loi « donnant le droit à une fin de vie libre et choisie » (cf. Euthanasie : le député Olivier Falorni dépose une proposition de loi). Il soutenait une légalisation très large de l’euthanasie, mais le texte n’avait pas été adopté (cf. La PPL Falorni tombe en désuétude – le spectacle exagéré des promoteurs de l’euthanasie).
La désignation de ces deux personnalités pro-euthanasie ne peut qu’interpeler, malgré les promesses affichées sur X par Olivier Falorni qui se réjouit de sa nomination et tente de rassurer : « je sais par expérience l’importance de cette fonction et l’exigence qu’elle requiert. Je l’exercerai avec gravité, responsabilité et détermination afin d’œuvrer à la construction d’une grande loi républicaine de progrès et d’humanité, que tant de Français attendent ». Où est l’humanité d’une loi qui propose la mort comme solution à la souffrance ? (cf. Suicide : ne dévoyons pas « le sens de la fraternité, au nom d’une liberté mal comprise »)
Peu de place à l’opposition
La commission sera composée de 71 membres qui refléteront l’équilibre des forces politiques à l’Assemblée nationale.
Le rapporteur général sera assisté par trois rapporteurs thématiques issus du groupe Renaissance : Laurence Cristol supervisera la partie sur la procédure d’ « aide à mourir », Laurence Maillart-Méhaignerie celle de la définition et des conditions de « l’aide à mourir », et Didier Martin sera en charge des soins palliatifs (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier »). Un quatrième rapporteur appartenant à l’opposition, la députée LFI Caroline Fiat, sera chargée de la clause de conscience et des outils de contrôle et d’évaluation (cf. Euthanasie : la pente glissante). La députée avait déposé un texte visant à légaliser l’euthanasie (cf. Euthanasie : « nouvelle salve » prévue à l’Assemblée).
Les quatre vice-présidents sont par ailleurs la socialiste Marie-Noëlle Battistel, le député LR Patrick Hetzel, le député Renaissance Jean-François Rousset, et Laurent Panifous du groupe indépendant LIOT.
Enfin, les groupes politiques ont également nommé des experts[1]. Les socialistes ont notamment choisi Jérôme Guedj, spécialiste du « grand âge », et Marie-Noëlle Battistel, signataire d’une tribune en faveur d’« une loi de libre choix ». Les Républicains ont eux nommé Thibault Bazin, auteur d’une proposition de loi créant un droit opposable aux soins palliatifs (cf. Une nouvelle proposition de loi en faveur des soins palliatifs), Annie Genevard, Justine Gruet, Patrick Hetzel, Philippe Juvin et Yannick Neuder.
Un agenda « compressé »
La Commission devra mener ses travaux tambour battant, et sur environ une semaine du 22 au 30 avril. Comment imaginer débattre des nombreux aspects d’un sujet aussi sensible en si peu de temps ? Comment entendre avec respect et prudence les points de vue de chacun, y compris ceux des opposants ? Lors de son entretien avec Libération et la Croix, Emmanuel Macron n’avait-il pourtant pas souligné que « sur ce thème sociétal, prendre le temps est plus que nécessaire, une exigence éthique » (cf. Fin de vie : une « loi de rassemblement » qui suscite la colère) ? Désormais, l’agenda politique semble instrumentaliser un débat pourtant essentiel et aux enjeux civilisationnels.
Certaines auditions sont déjà programmées : celle de membres du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (cf. Avis du CCNE sur l’euthanasie : une « révolte métaphysique »), et de la Convention citoyenne (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie). A ce stade, tous sont favorables à la légalisation de l’euthanasie. Une place sera-t-elle aussi faite aux premières concernées, les personnes vulnérables (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »), mais aussi aux religieux et aux soignants, en particulier les professionnels des soins palliatifs, dont les conditions de travail seront largement impactées par l’issue du débat (cf. Fin de vie : 22 % des médecins en soins palliatifs se disent prêts à démissionner) ?
Comment prétendre garantir un débat apaisé et démocratique ?
Comme pour la Convention citoyenne, organisée par une institution présidée par un promoteur de l’euthanasie et dont le comité de gouvernance était piloté par une personne favorable à l’euthanasie, les conclusions semblent d’avance écrites (cf. Convention citoyenne : l’« aide active à mourir » monopolise le programme).
Avec une telle commission et une telle rapidité des travaux, comment prétendre garantir un débat ouvert, apaisé, démocratique ? Les temps annoncent au contraire plutôt un durcissement qu’autre chose. Comme l’a souligné le journaliste Guillaume Tabard, malgré sa prudence de façade, Emmanuel Macron laisse « in fine sa majorité aller aussi loin qu’elle le souhaite »[2]. Nous sommes bien loin de la démarche de « fraternité » et de « rassemblement » annoncée par le Président dans son entretien à Libération et La Croix (cf. Fin de vie : une « loi de rassemblement » qui suscite la colère). Le chemin semble tracé pour aboutir à la légalisation de l’euthanasie.
Viendra ensuite le temps du dépôt des amendements, avant une discussion en commission du 13 mai au 17 mai, puis en séance publique le 27 mai, dans la dernière ligne droite de la campagne européenne. Un parcours au pas cadencé pour utiliser le débat comme « arme politique » ?
[1] Fin de vie : la création d’une commission spéciale ouvre le débat parlementaire, La Croix, Corinne Laurent (10/04/2024)
[2] «Fin de vie, les effets trompeurs d’un calendrier étiré», Le Figaro, Guillaume Tabard (10/04/2024)
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