Après l’entretien du président de la République annonçant le prochain examen du projet de loi sur la fin de vie (cf. « Une forme de nihilisme désormais présent au sein même de l’Etat » : après l’IVG, Emmanuel Macron reprend le dossier de la fin de vie), le Premier ministre Gabriel Attal a indiqué que le premier examen du texte par les députés en séance plénière aurait lieu le 27 mai. Les sénateurs devraient, eux, être saisis du texte « après l’été », a précisé la ministre des Relations avec le Parlement, Marie Lebec. Les soignants réunis au sein du collectif sur la fin de vie [1] dénoncent « un calendrier indécent », alors que « ceux qui devront appliquer cette loi n’ont jamais été associés à sa rédaction et n’ont pas été consultés sur un texte à l’évidence déjà rédigé » (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »).
« Le gouvernement a fait le choix de la brutalité »
« Supprimer les malades pour supprimer le problème à moindre coût, voilà ce qu’en somme propose cette annonce », dénoncent-ils dans un communiqué, témoignant de leur « consternation, colère et tristesse ».
Pour le collectif, cet annonce atteste d’un « aveuglement sur les conditions de l’élaboration du texte ». « Le gouvernement a fait le choix de la brutalité en ignorant la parole des soignants, qui n’ont pas été consultés depuis septembre dernier », dénoncent-ils (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « le mépris affiché à l’égard de soignants désormais qualifiés de “secouristes à l’envers” »).
Les professionnels s’insurgent également contre « un mépris du travail des soignants ». En effet, « le président annonce « une vraie révolution d’humanité et de fraternité en action », et prend comme exemple de l’obligation d’aller à l’étranger des patients atteints de cancer en phase terminale, sans reconnaître l’engagement quotidien auprès de ceux qui vont mourir ».
« L’aide à mourir, c’est ce que nous faisons. Dire que par ce texte nous allons découvrir la fraternité, c’est méprisant pour le travail que nous effectuons », insiste Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).
Un bouleversement qui n’est pas assumé
Le collectif pointe en outre « une confusion lexicale regrettable » quand le président retient le terme d’« aide à mourir », « en n’assumant pas que les options retenues relèvent de l’euthanasie et du suicide assisté ». Ainsi, « ce projet de loi va bouleverser la notion du soin sans que ce soit assumé, puisque le président de la République évoque pour en parler les termes de fraternité et de solidarité », dénonce Claire Fourcade. « Il ne dit d’ailleurs pas un mot des réticences exprimées par une immense majorité de soignants » (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie). Or « nous soignants ne voulons pas avoir à décider de qui doit vivre et de qui peut mourir. Nous ne voulons pas de ce pouvoir de décision. »
« Ce n’est pas un projet de loi sur “l’aide à mourir” mais plutôt sur le “faire mourir” », analyse la présidente de la SFAP. « Je ne sais pas pourquoi on a tant de mal à mettre des mots, s’interroge-t-elle. Si ces mots paraissent difficiles à écrire dans une loi, c’est bien que le geste est difficile. Peut-être trop difficile pour pouvoir être nommé et assumé politiquement. » (cf. Euthanasie : « ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne »)
Le projet de loi dénoncé sur le fond et sur la forme
Le collectif de soignants dénonce « un modèle ultra-permissif » qui « emprunte à toutes les dérives constatées à travers le monde », y ajoutant « l’administration da la substance létale par un proche ». Ce qui n’est fait nulle part.
L’annonce manifeste également « une méconnaissance de l’ambivalence du désir de mort » pointe le collectif, faisant référence aux délais envisagés. « Le président a précisé que les patients qui demanderaient une aide à mourir auraient 48 heures de délai avant de voir un médecin, rappelle Claire Fourcade. Le rendez-vous pourrait être pris plus rapidement que pour la plupart des gens qui ont besoin d’être soignés, s’indigne-t-elle. La décision collégiale devrait ensuite être prise en 15 jours. Soit un temps équivalent à celui d’un délai de rétraction pour un prêt à la consommation… »
Le paravent des soins palliatifs
Les soignants sont également révoltés par les « annonces dérisoires sur l’accompagnement de la fin de vie ». « Le président de la République évoque un milliard d’euros de plus en dix ans, ce qui représente 6 % d’augmentation par rapport au budget actuel, soit à peine plus que l’inflation !, s’insurge la présidente de la SFAP. On nous promettait une révolution, je crains que ce soit à peine une évolution. » (cf. )Soins palliatifs : la promesse d’« une petite révolution », mais pas de moyens Et ce, « alors même que 50% des patients n’ont pas accès à un accompagnement adapté, soit 500 personnes par jour » (cf. « On ne peut pas développer tout un discours sur les soins palliatifs et fermer une unité »).
En outre, « lier dans un même texte un volet sur la mort provoquée et un autre sur les soins palliatifs est une restriction à la liberté parlementaire, juge Claire Fourcade. Comment en effet ne pas voter un texte qui propose de développer les soins palliatifs, ce qui met tout le monde d’accord ? » (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une manipulation sémantique, juridique et politique »)
« Avec ce projet de loi, il semble évident qu’il sera plus facile d’accéder à l’euthanasie qu’aux soins palliatifs pour un grand nombre de patients », dénonce-t-elle. Finalement, « il y [aura] une grande loi pour l’euthanasie et le suicide assisté, avec quelques dispositions mineures de soutien aux soins palliatifs », analyse également Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre et membre du conseil permanent de la Conférence des évêques de France (CEF). « Cette inversion de ce qu’il nous avait annoncé est à la fois triste et préoccupante. »
L’indignation de l’Eglise
Emmanuel Macron « a reçu beaucoup de personnes, y compris les responsables de culte, c’est indéniable (cf. Diner à l’Elysée sur la fin de vie : « un sujet intimidant » ?). Mais il est habile aussi, estime le président de la CEF, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims. Il parvient à reprendre et à approprier au texte annoncé notre grand point d’insistance qui est la fraternité » Or « appeler « loi de fraternité » un texte qui ouvre à la fois le suicide assisté et l’euthanasie est une tromperie ».
« Je crois au caractère normatif de la loi, indique l’archevêque. Elle infléchit forcément les usages, les comportements, les manières de penser : au cœur de notre système de santé, il y aurait désormais ce possible, tellement plus facile et moins coûteux que tout le reste. »
Comme le collectif de soignants, l’Eglise se préoccupe des plus vulnérables. « On a l’impression que dans la start-up nation, les personnes non-productives n’ont plus le droit de cité », s’indigne Mgr Rougé. Le président de la CEF abonde : « Je suis stupéfait que les Ehpad soient mentionnés parmi les lieux possibles. Comment réagiront les autres résidents ? A quel double jeu veut-on contraindre les personnels soignants ? »
Un choix de société
« Il n’y a pas besoin d’être chrétien pour penser qu’une société se grandit en refusant de donner la mort et en mobilisant ses forces pour accompagner chacun jusqu’au bout de sa vie, souligne le représentant des évêques. Il n’y a pas besoin d’être chrétien ni même de croire en Dieu pour comprendre le danger qu’il y a à ce qu’une société participe à mettre fin à une vie humaine. »
Claire Fourcade interroge elle aussi : « A ceux qui veulent mourir, l’Etat a-t-il le droit ou le pouvoir de dire “parce que vous voulez mourir je vais vous tuer” ? Voulons-nous d’une société ou d’une collectivité qui envoie ce message ? » « Robert Badinter, interrogé sur l’euthanasie, a répondu de manière limpide à cette question, rappelle-t-elle : “Nul ne peut ôter la vie à autrui dans une démocratie” ».
Le collectif de soignants indique vouloir se réunir prochainement pour « déterminer les modalités de mobilisation face à ce projet qui va à l’encontre des valeurs du soin et du non-abandon qui fondent notre modèle français d’accompagnement de la fin de vie ». Car ils se disent inquiets pour leur pratique. « D’autant que ce texte est juste un point de départ. Certains regrettent déjà des conditions trop restrictives à l’aide à mourir. »
[1] Signataires :
- AFSOS : Association Française des Soins Oncologiques de support
- ANFIPA : Association Nationale Française des Infirmier.e.s en pratiques avancées
- Claromed : Association pour la clarification du rôle du médecin dans les contextes de fin de vie
- SMCG – CSMF : Syndicat des Médecins Coordonnateurs, EHPAD et autres structures, généralistes ou gériatres – Confédération des Syndicats Médicaux Français
- Conseil National Professionnel de Gériatrie
- FFAMCO-EHPAD : Fédération Française des Associations de Médecins Coordonnateurs en Ehpad
- FNEHAD : Fédération Nationale des Établissements d’Hospitalisation à Domicile
- M3P : Association des Psychologues Cliniciens et des Psychologues Psychothérapeutes.
- MCOOR : Association Nationale des Médecins Coordonnateurs et du Secteur Médico-social
- SFAP : Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs
- SFGG : Société française de Gériatrie et Gérontologie
- SMP : Société Médico-Psychologique
- SNGC : Syndicat National de Gérontologie Clinique
- SNPI : Syndicat National des Professionnels Infirmiers
- 2SPP : Société française de Soins Palliatifs Pédiatriques
Sources : AFP (11/03/2024) ; CP Collectif de soignants (10/03/2024) ; France Info (11/03/2024) ; La Croix, Emmanuelle Réju (11/03/2024) ; Le Figaro, Agnès Leclair (11/03/2024) ; La Croix, Christophe Henning (11/03/2024) – Photo : iStock