Fin de vie : « une loi par défaut » qui ne fait pas l’unanimité auprès des plus âgés

31 Mai, 2024

Un collectif de personnalités « entrées dans un âge avancé »[1] s’inquiète, dans une tribune publiée par le Monde, de la tournure prise par les débats autour de la loi sur la fin de vie. Selon eux, « le choix d’intégrer le suicide assisté et l’euthanasie à l’intérieur d’un vaste fourre-tout nommé “soins d’accompagnement” apparaît comme une provocation ».

Le projet de loi sur « l’aide à mourir », actuellement débattu au Parlement, ne fait pas l’unanimité auprès des plus âgés (cf. Fin de vie : comment se profilent les débats en première lecture ?). Il cherche à répondre à l’angoisse d’une minorité de personnes qui, malades ou en fin de vie, ne trouvent pas auprès de la médecine le soulagement nécessaire ou bien préfèrent en finir rapidement, par crainte d’une souffrance insupportable. C’est en effet compréhensible.

Ce projet séduit aussi une frange de « jeunes vieux » encore autonomes et en bonne santé, qui redoutant de « mal vieillir » et de « mal mourir », veulent rester maîtres de leur destin . Inéluctablement, plus on vieillit, plus on entre dans « l’âge cassant », pour citer René Char, avec ses risques de fragilités et de dépendance à autrui. D’où notre inquiétude face à une loi, votée sans l’accord des soignants, qui ferait de l’acte de donner la mort un « soin ultime » (cf. Fin de vie : « l’euthanasie ne soignera jamais la solitude, ni le désespoir, ni la souffrance »). Une loi qui élude les angles morts et les abus, les dévoiements possibles, en ne tenant pas compte de la diversité, et surtout de l’inégalité des conditions d’existence (cf. Fin de vie : un texte qui « s’est résigné aux mensonges »).

« Une provocation »

Pourquoi préférer voter une loi sur le suicide assisté et l’euthanasie – nous réprouvons la perversion sémantique qui consiste à ne pas nommer les choses – plutôt que de mettre les moyens humains et financiers nécessaires au service d’un vieillir et d’un mourir dignement ? (cf. « Bien vieillir » : le texte adopté par les députés, à quand la loi « grand âge » ?) Pourquoi ne pas exiger que la loi Claeys-Leonetti, qui permet, à notre avis, de répondre à toutes les peurs de souffrir avant de mourir, soit mieux connue du public et mieux appliquée par le corps médical ? Pourquoi ne pas exiger, comme l’avait demandé le Comité consultatif national d’éthique, de couvrir d’abord le territoire français de structures de soins palliatifs, avant d’envisager d’aller plus loin ? (cf. Fin de vie : Les soins palliatifs, « parent pauvre de la médecine »)

Le choix d’intégrer le suicide assisté et l’euthanasie à l’intérieur d’un vaste fourre-tout nommé « soins d’accompagnement » nous apparaît comme une provocation (cf. « Soins d’accompagnement » : médecins et infirmiers opposés au changement de terminologie). C’est ainsi qu’il est perçu par la majorité des médecins et des soignants, qui ont une autre conception du « soin » et savent que la confiance que leur témoignent leurs patients âgés sera mise à mal après le vote de cette loi (cf. Fin de vie : « On est en train de remettre en cause l’éthique et les valeurs du soin »). Nous savons que former des médecins aux soins palliatifs, mettre en œuvre une vraie pédagogie de la loi Claeys-Leonetti, monter des équipes hospitalières et intervenant à domicile ont un coût. Alors qu’une injection létale ne coûtera rien.

« Nous pressentons toutes les inégalités que cette loi va créer »

Dans un contexte de disette budgétaire sévère, la ministre Catherine Vautrin s’est engagée à combler le retard dans l’accès aux soins palliatifs avant que l’aide à mourir ne soit votée. Quelle valeur a cette parole face au montant dérisoire des moyens promis au développement de ces soins sur dix ans ? (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier ») Et comment ne pas relever la contradiction entre cette promesse et le fait que « l’aide à mourir » sera votée dès 2025 ?

Nous pressentons toutes les inégalités que cette loi va créer. Les vieux qui ont les moyens de rester chez eux, ou dans un habitat choisi, ceux qui ont une famille ou des amis solidaires, des relations médicales, pourront espérer vieillir et mourir dignement. Mais les autres, les pauvres, les esseulés, les maltraités, ceux que leur famille a « placés » dans un Ehpad, situé au milieu d’un désert médical, sans soins palliatifs à proximité, quel sera leur choix, le jour où, lassés de vivre, seuls et abandonnés, ils se demanderont ce qu’ils font encore là, quémanderont un regard, un geste, une parole qui leur signifie qu’ils ont encore leur place dans notre monde ? Quel choix auront-ils ? Leur proposera-t-on une boisson létale, faute de pouvoir leur offrir un accompagnement humain ?

Et si aucun médecin, aucun soignant ne veut réaliser cet acte radical, devront-ils nommer un proche ? Les concepteurs de ce projet de loi ont-ils réfléchi aux conséquences dramatiques de cette assistance au suicide pour celui qui sera désigné pour l’assumer ? Ce proche qui devra éventuellement donner une dose supplémentaire, au cas où la personne renverserait sa potion ? Ont-ils réfléchi au deuil compliqué qui s’ensuivra ? Ont-ils anticipé les inévitables pressions qui seront exercées sur la personne âgée dès qu’elle émettra la moindre plainte ? Par un entourage lassé, ou des héritiers pressés, qui lui suggéreront peut-être qu’il serait temps qu’elle ait l’élégance de laisser la place à d’autres, de s’auto-effacer ?

Une loi, qui n’a « plus rien d’équilibré, de fraternel, ni de rassembleur »

Le projet de loi annoncé par le président Emmanuel Macron mentionnait que la loi serait encadrée par des « conditions strictes », mais nous sommes témoins de ce qui se passe en ce moment à l’Assemblée. Toutes les conditions strictes volent en éclats, l’une après l’autre, sous la pression de certains députés, et les amendements proposés pour protéger les plus vulnérables sont systématiquement retoqués (cf. Projet de loi fin de vie : « Cette loi est à la dérive avant même d’avoir quitté le port »). Les députés de la commission spéciale sur la fin de vie ont ainsi refusé de voter le délit d’incitation à l’aide à mourir, mais ont, en revanche, voté un délit d’entrave pour celui qui tenterait d’en freiner l’accès. Rien ne doit plus s’opposer au droit à mourir. Nos proches seront-ils punis s’ils tentent de nous dissuader de mettre fin à notre vie ?

Nous, signataires de cette tribune, tous entrés dans un âge avancé, souhaitons interpeller les députés sur ce que nous percevons comme une loi par défaut. Nous leur demandons instamment que celle-ci ne soit pas votée avant que le territoire français ne soit entièrement couvert de ressources palliatives. Nous soutenons fermement les députés qui ont déposé des amendements visant à protéger les plus vulnérables, en instituant un « délit d’incitation au suicide assisté » qui compléterait l’interdit d’abus de faiblesse déjà prévu par la loi (cf. « La réponse à la fragilité ne peut pas consister à faire disparaître les personnes qu’elle atteint »). Car une personne âgée qui a tous ses moyens cognitifs, si on l’incite implicitement, ou explicitement, au suicide, peut avoir le sentiment de plus en plus pressant et oppressant d’être un poids pour la société ou pour ses enfants. Les débats autour de cette loi, qui n’a finalement plus rien d’équilibré, de fraternel ni de rassembleur, nous indignent, et nous tenons à le dire.

[1] Signataires : Yann Arthus-Bertrand (78 ans), photographe, membre de l’Académie des beaux-arts ; Marie-Paule Debray (75 ans), neurophysiologue, membre de l’association Old’Up ; Marie de Hennezel (77 ans), psychologue, autrice, membre du conseil scientifique et stratégique de l’Association des directeurs au service des personnes âgées ; Paule Giron (95 ans), journaliste, autrice, et membre de l’association Old’Up ; Philippe Gutton (92 ans), psychiatre, psychanalyste et professeur des universités, fondateur et codirecteur de la revue Du neuf chez les vieux ; François Monconduit (84 ans), professeur de philosophie politique, membre de l’association Old’Up ; Jean-Daniel Remond (82 ans), auteur, biologiste et psychologue ; Laurence Lucas Skalli (70 ans), psychiatre, fondatrice et présidente du fonds Conscience sans frontières ; Christopher Thiéry (96 ans), président d’honneur de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) ; Valérie Winckler (80 ans), photographe, réalisatrice et autrice.

Cette tribune a été reproduite ici avec l’accord de Marie de Hennezel.

Photo : iStock

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