L’Italie vient de voter une loi faisant de la GPA un « délit universel » (cf. L’Italie fait de la GPA un « délit universel »), alors, qu’à l’inverse, un salon proposant des GPA commerciales s’est tenu à Paris fin septembre dans l’indifférence des autorités et en dépit des alertes lancées par l’association Juristes pour l’enfance (cf. Wish for a baby : des GPA commerciales proposées à Paris). Pourquoi une telle complaisance ? Entretien avec Matthieu le Tourneur, juriste au sein de l’association Juristes pour l’enfance.
Gènéthique : Les 28 et 29 septembre derniers, un salon s’est tenu à Paris qui a proposé des GPA commerciales. Les autorités ont ignoré l’alerte que vous avez lancée et le tribunal administratif de Paris saisi en référé vous a déboutés. De son côté, la Cour de cassation a, dans deux arrêts récents, posé quelques conditions à la reconnaissance en France de la filiation d’enfants nés par GPA à l’étranger (cf. GPA : la Cour de cassation demande quelques « garanties »). Comment comprendre ces arrêts ? Comment expliquer cette complaisance avec une pratique illégale ?
Matthieu le Tourneur : Le salon Wish for a baby 2024 a hébergé dans ses travées des agences de gestation pour autrui. Juristes pour l’enfance en a effectivement informé les autorités préfectorales parisiennes dès juin 2024, soit 3 mois avant. Alors que la GPA est interdite en France, que le fait de mettre en relation des commanditaires et une mère porteuse est constitutif du délit pénal d’entremise en vue de la GPA puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amendes (article 227-12 du Code pénal) et que Juristes pour l’enfance avait apporté les preuves manifestant sans la moindre équivoque l’intention des sociétés de GPA présentes au salon de proposer leurs services d’entremise, les autorités préfectorales n’ont pas agi pour prévenir ce trouble à l’ordre public. Devant les juges, les organisateurs ont réussi à faire croire qu’aucune proposition de gestation pour autrui ne serait formulée durant le salon, malgré l’ensemble des preuves que Juristes pour l’enfance avait apportées, issues notamment des précédentes tenues du salon et surtout, de propositions émanant des sociétés en cause elles-mêmes de se retrouver au salon à Paris pour envisager une GPA à Chypre ou ailleurs. Les organisateurs ont fait valoir que les entreprises de GPA avaient signé un code de conduite leur interdisant de proposer explicitement des offres de GPA. Cependant, ce document les autorisait à parler de leurs offres de GPA, en vue d’obtenir des rendez-vous commerciaux, à condition d’informer les visiteurs de ce que la loi française interdit ! Cette solution hypocrite, contredite par les propositions émanant des sociétés elles-mêmes, a convaincu les juges, au détriment de la loi pénale pourtant très claire sur l’entremise en vue d’un GPA.
Ensuite, la Cour de cassation de son côté a rendu deux arrêts concernant l’application en France des décisions de filiation rendues à l’étranger et notamment au Canada. Il n’y a rien de nouveau ni de révolutionnaire dans ces deux arrêts. En effet, depuis 2015 et dans la foulée de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en 2014, les juridictions françaises acceptent la transcription des actes de naissance étrangers des enfants nés de GPA. Ces deux arrêts se situent sur un plan différent car ils décident des conditions que doivent présenter les décisions étrangères pour recevoir l’exequatur en France. Elles doivent permettre au juge français de vérifier la qualité des personnes mentionnées dans le jugement (les parents d’intention, la mère porteuse) ainsi que le consentement des parties à la convention de GPA et notamment le consentement aux effets de cette convention pour la mère porteuse au regard de la filiation de l’enfant.
En d’autres termes, la Cour permet à nouveau à des Français de contourner la loi française, en vérifiant que la convention de mère porteuse conclue à l’étranger est « valable », autrement dit en s’appuyant textuellement sur l’existence d’une convention qui est nulle en droit français, c’est-à-dire qui n’existe pas.
De plus, elle définit des critères d’acceptabilité de la GPA que nul ne lui demandait de créer, puisque la GPA est interdite en France. Selon la Cour, dès lors que la GPA présente des garanties relatives au respect des droits des personnes et à leur consentement, alors elle doit pouvoir produire des effets en France. La Cour de cassation admet qu’elle fait référence à des textes internationaux qui n’existent pas (encore) et sort de son rôle de juge pour endosser celui de législateur.
Par ailleurs, si la convention de GPA est nulle, comment le juge français peut-il s’inquiéter des garanties entourant le consentement des parties ? Surtout, puisqu’il est sans cesse affirmé que la reconnaissance de la GPA est nécessaire pour le bien des enfants objets de l’accord, quel sort réserve-t-elle aux enfants issus d’une GPA qui ne respecte pas ces « critères » ?
En réalité, la Cour de cassation paie son laxisme initial qui a consisté à reconnaitre aux GPA faites à l’étranger des effets en France dès 2014. Dès lors que la GPA a lieu, il n’y a aucune solution acceptable pour gérer le sort des enfants, de la mère porteuse et même celui des commanditaires. Or, lorsqu’un problème n’a pas de solution satisfaisante, il faut alors éviter qu’il ne se pose. C’est pourquoi le problème de la GPA n’a qu’une seule solution : l’abolition universelle. Juristes pour l’enfance fait partie de l’initiative internationale appelée « Déclaration de la Casablanca pour l’abolition de la gestation pour autrui » afin d’obtenir une convention internationale d’abolition, comme il a été fait avec l’esclavage (cf. Des experts de 75 pays demandent l’abolition de la GPA).
G : L’Italie a récemment voté un texte contre la gestation par autrui. Cela va-t-il dans le sens de l’abolition universelle que vous appelez de vos vœux ?
MlT : En effet, l’Italie a voté une loi rendant universel le délit de gestation pour autrui. En d’autres termes le recours à la GPA par des Italiens est sanctionné sur le sol italien et dans le monde entier. Ceux-ci risquent entre 3 mois et 2 ans d’emprisonnement et entre 600 000 et 1 million d’euros d’amende s’ils se rendent coupables du délit de gestation pour autrui, peu importe que la GPA soit légale dans le pays où elle est commise.
Une telle modification de la loi serait également possible en France. Juristes pour l’enfance a déjà fait ce type de proposition de modification de la loi. Il y a eu plusieurs propositions de lois déposées en ce sens, notamment par Valérie Boyer, mais aucune n’a encore abouti (cf. GPA : une proposition de loi pour interdire le recours à une mère porteuse déposée devant le Sénat). Juridiquement, cela ne demande pas de grands changements, il suffit d’une volonté politique.
G : Un ancien candidat de l’émission « l’Amour est dans le pré » a annoncé que la GPA qu’il a commanditée en Colombie a été filmée et serait diffusée sur M6 « sous peu »[1]. Comment analysez-vous le traitement de cette pratique dans les médias ? Pourquoi les dangers encourus par les mères porteuses trouvent-ils si peu d’écho selon vous ? (cf. GPA : une pratique à risque pour la santé de la mère porteuse)
MlT : La GPA bénéficie aujourd’hui d’un traitement médiatique complaisant pour plusieurs raisons. La première est l’ignorance. Peu de personnes connaissent la triste réalité marchande de la gestation pour autrui. Il s’agit quand même pour les commanditaires de prendre le contrôle, via des intermédiaires grassement rémunérés, sur le corps d’une femme puis d’acheter et d’emmener un enfant. L’habillage médiatique nous montre le bonheur d’une naissance, la joie de l’accueil d’un enfant mais fait l’impasse sur la souffrance de l’enfant et l’atteinte à sa filiation. Par ailleurs, les couples d’hommes sont souvent mis en avant permettant d’assimiler toute critique de cette nouvelle pratique esclavagiste à de « l’homophobie », alors que cela n’a rien à voir et que, en outre, la majorité des commanditaires sont des couples homme-femme.
C’est pourquoi, il faut mener cette bataille culturelle et médiatique : rappeler que le corps de la femme ne peut pas faire l’objet d’une location, et que l’enfant ne peut faire l’objet d’une vente. Il faut rappeler que l’exercice des attributs du droit de propriété (comme la location ou la vente) sur une personne est la définition de l’esclavage donnée par la Convention de Genève relative à l’esclavage de 1926. Aujourd’hui l’arène médiatique est souvent le combat entre deux narratifs. Celui des mères porteuses ou des enfants nés de GPA est quasiment inexistant et pèse bien peu face au narratif des commanditaires. Olivia Maurel, née de GPA et porte-parole de la Déclaration de Casablanca, est une exception notable et inaugure certainement une libération de la parole chez les enfants victimes de la GPA, très difficile en raison du conflit de loyauté que cela suppose dans leurs relations avec leurs parents (cf. « L’enfant né de GPA sait qu’il a un lourd prix sur sa tête »).
Quant à cet ancien candidat de l’émission « l’Amour est dans le pré », la problématique est double. Non seulement il a eu recours à une GPA, visée par la directive européenne sur la traite modifiée le 13 juin 2024 comme un des « cas minimum » de « traite humaine »[2] (cf. “Exploitation de la GPA” : une forme de traite des êtres humains selon le Parlement européen), mais en plus, il tire profit de cette pratique puisqu’il diffuse son acte et ses conséquences auprès du public, avec de probables profits pécuniaires et avantages sociaux. La médiatisation de sa GPA, avant comme après la naissance, apparait dès lors comme un investissement potentiellement rentable qui interroge en raison de l’utilisation de l’enfant que cette mise en scène réalise.
G : Des députés chiliens se sont au contraire récemment démarqués par leur ferme opposition à la GPA, qu’ils n’ont pas hésité à comparer à l’esclavage (cf. Chili : 8 députés de 8 partis demandent l’abolition de GPA). Une telle prise de conscience pourrait-elle avoir lieu en France ? Que serait-il nécessaire pour que cela soit le cas ? La révision en 2024 de la Directive européenne de 2011 sur la traite des êtres humains serait-elle un premier pas ?
MlT : La définition de l’esclavage donné par la Convention relative à l’esclavage signée à Genève le 24 septembre 1926 est la suivante : « l’esclavage est l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux ». Or en droit, les attributs du droit de propriété sont l’usus, le fructus et l’abusus. L’usus est le droit d’utiliser une chose, le fructus est le droit d’en retirer des fruits et l’abusus est le droit d’en disposer. Dans le cas de la GPA, la mère porteuse, dont le corps est loué par les commanditaires, leur remet l’enfant : cette remise et la réception qui en résulte sont des actes de disposition de l’enfant. Les commanditaires jouissent par ailleurs durant la grossesse de droits exorbitants sur le corps de la femme (prise d’hormones, régime alimentaire strict et mode de vie étroitement surveillé, césarienne, etc.) et sur celui de l’enfant (interruption de grossesse, soins in utero, etc. cf. Ils croient avoir surpris la mère porteuse en train de boire un verre d’alcool et la forcent à avorter). Au sein de ces différentes relations, des attributs du droit de propriété sont exercés à l’encontre de la femme et de l’enfant. La qualification de la gestation pour autrui comme une forme d’esclavage moderne est donc parfaitement valable, et les députés chiliens ont raison de s’accorder là-dessus.
En France, les responsables politiques sont nombreux à être révoltés contre la pratique de la gestation pour autrui. Olivia Maurel a d’ailleurs pu rencontrer l’ancienne ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé, et a reçu une lettre de l’Elysée rappelant l’opposition d’Emmanuel Macron à la légalisation de la gestation pour autrui. De nombreuses associations féministes (le CoRP [3], la CIAMS [4], etc.) militent pour l’abolition universelle de la gestation pour autrui. Elles se retrouvent en accord avec le Syndicat de la Famille ou d’autres associations qualifiées de conservatrices. Une prise de conscience pourrait donc émerger rapidement en faveur d’une interdiction efficace de la GPA.
[1] Public, Mathieu Ceschin (L’amour est dans le pré) : sa GPA a été filmée et sera bientôt diffusée sur M6 (08/10/2024)
[2] Directive (UE) 2024/1712 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 modifiant la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes
[3] Collectif pour le Respect de la Personne
[4] Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution