Mercredi, dans son discours inaugural d’ouverture de la présidence française de l’Europe, Emmanuel Macron a déclaré qu’il souhaitait « actualiser » la charte des droits fondamentaux de l’UE en y ajoutant la « protection de l’environnement » ainsi que « la reconnaissance du droit à l’avortement ». Roberto Colombo, membre de l’académie pontificale pour la vie, réagit à ces propos dans une tribune publiée sur le site Tempi.it et traduite pour Gènéthique, .
Au lendemain de l’élection de la Maltaise Roberta Metsola à la présidence du Parlement européen, Emmanuel Macron, chef de l’Élysée, s’est adressé à l’assemblée de Strasbourg en demandant de « mettre à jour » la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne « pour y inclure la protection de l’environnement et la reconnaissance du droit à l’avortement ».
Une déclaration en contradiction avec son histoire personnelle
Il est choquant qu’Emmanuel Macron ait lancé cette provocation avec à ses côtés la présidente nouvellement élue Roberta Metsola, une femme engagée en politique qui n’a jamais (jusqu’à présent) accepté l’avortement comme un moyen de promouvoir les droits des femmes et ne s’est pas reconnue (jusqu’à présent) dans les stratégies d’extension de la couverture légale de l’interruption volontaire de grossesse. Mais plus encore, c’est l’histoire personnelle du président français, sa biographie, qui aurait suggéré au moins un « beau silence » sur la question, ne serait-ce que par cohérence interne avec sa propre éducation et sa formation culturelle.
Une invitation à ne pas suivre le courant « tous libres » face à la vie humaine naissante, devrait venir de sa culture familiale : sa mère Françoise Noguès, médecin, et son père Jean-Michel Macron, neurologue et maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne à Amiens ; son frère Laurent est radiologue et sa sœur Estelle néphrologue. Une carrière familiale au service de la vie humaine qui recommanderait un plus grand respect de celle-ci, surtout lorsqu’elle est fragile et sans défense, encore dans le ventre de la mère.
Même ses études à la faculté de philosophie de Paris X Nanterre, où il est devenu, en dernière année, assistant de rédaction du philosophe Paul Ricoeur, suggèrent une plus grande mesure dans les appels à la liberté « inconditionnelle » – tout ce qui peut être fait est, pour cette raison même, admissible et indiscutable – comme fondement des prétendus nouveaux droits de l’homme face à la vie même de leur sujet. Dans une interview de Renato Parascandolo pour Rai-Educational, Paul Ricœur déclare : « Les techniciens disent que tout ce qui peut être fait est permis, puisque cela peut être fait. Non ! Il y a des choses qui ne peuvent pas être faites. Tout n’est pas permis simplement parce que tout est possible. Comment trouver la limite, comment se limiter dans ce que l’on peut faire, si ce n’est en pratiquant la “phronesis” ? » [NDLR : Phronesis : ce terme grec peut-être traduit par « prudence »]. Une sagesse à laquelle le maître Ricœur aimait se référer et que le « disciple » Macron semble avoir oubliée.
Mais c’est avant tout l’éducation catholique qu’il a reçue au Lycée de la Providence d’Amiens, une école jésuite, qui aurait dû empêcher le Président français de soutenir la thèse la plus radicale de l’idéologie de l’avortement, celle de l’avortement comme « droit originel de la femme », un droit considéré comme fondamental, indépendamment de la vie de l’enfant qui se développe en elle.
Déclarations de l’Eglise catholique sur l’avortement
Et c’est précisément le pape jésuite Jorge Mario Bergoglio, selon ses propres termes, qui rappelle à Emmanuel Macron, ancien étudiant jésuite, que l’avortement n’est pas un droit, mais un crime : « L’avortement n’est pas un ‘moindre mal’. C’est un crime. C’est supprimer l’un pour sauver un autre. C’est ce que fait la mafia. C’est un crime, c’est un mal absolu. […] C’est un mal en soi, mais ce n’est pas un mal religieux, au départ, non, c’est un mal humain. Et évidemment, parce que c’est un mal humain – comme tout meurtre – il est condamné » même par l’Église [1]. « L’avortement est plus qu’un problème, l’avortement est un homicide. […] Sans faux-semblant : celui qui pratique un avortement, tue. […] Cette vie humaine doit être respectée. Ce principe est tellement clair, et à ceux qui ne peuvent pas le comprendre, je pose deux questions : “Est-il juste de tuer une vie humaine pour résoudre un problème ?” Scientifiquement, c’est une vie humaine. Deuxième question : “Est-il juste d’engager un tueur à gages pour résoudre un problème ?” »[2] (cf. Zika : Le pape François prend position contre l’avortement).
Le Concile Vatican II lui-même a condamné très sévèrement l’avortement, le qualifiant de « crime abominable » : « La vie, une fois conçue, doit être protégée avec le plus grand soin : l’avortement ou l’infanticide sont des crimes abominables »[3].
Saint Jean-Paul II, dans son encyclique Evangelium vitae (1995) rappelle qu’« aucune circonstance, aucun but, aucune loi au monde ne peut jamais rendre licite un acte intrinsèquement illicite, parce que contraire à la Loi de Dieu, inscrite dans le cœur de tout homme, reconnaissable par la raison elle-même et proclamée par l’Église »[4].
Benoît XVI est revenu sur le sujet de l’avortement à plusieurs reprises, déclarant explicitement qu’il « ne peut être un droit de l’homme »[5] et reste « une grave injustice »[6]. « Trente ans après la légalisation de l’avortement en Italie, la conséquence en est un moindre respect de la personne humaine, une valeur qui est à la base de toute vie civile commune, quelle que soit la foi professée »[7].
La “protection de l’environnement” au même niveau que l’avortement ?
La vie humaine, de la conception à la mort, n’est pas seulement un bien de la personne, mais aussi un bien de la société, et – en tant que tel – doit toujours être protégée et promue. Il est surprenant et inquiétant que Macron ait comparé l’avortement à la « protection de l’environnement », plaçant le premier au même niveau juridique que le second dans la demande d’intégration de la Charte des droits fondamentaux. Si l’environnement est digne de protection (une affirmation parfaitement raisonnable), comment ne pas considérer a fortiori que la conception humaine est également digne de protection ? Si l’Europe décide de protéger l’environnement, la « maison commune » de ses citoyens, de sa dégradation, et de promouvoir sa « santé » pour le bien commun, comment ne pourrait-elle pas protéger l’embryon et le fœtus humains – l’homme au début de son existence – en promouvant sa vie comme le bien qui sous-tend tout autre bien de chaque citoyen ?
Il n’y a pas de liberté de la femme et de l’homme sur terre sans leur vie : le sujet de tout acte de liberté est quelqu’un qui vit, qui naît parce que la liberté d’un autre sujet a dit “oui” à sa vie. Opposer la liberté de la femme enceinte à la vie de celui qui est en gestation est inconcevable : ce n’est pas une voie viable pour la promotion juste et légitime de la vie et de la dignité des femmes en Europe et dans le monde. Si les droits fondamentaux de tous ne sont pas soutenus et défendus, même les droits de certains ou de beaucoup tombent, perdent leur force et deviennent un simple « flatus vocis ».
L’oubli des racines chrétiennes de l’Europe, cause de la perte de sens de l’homme, de sa dignité et de sa vie
La surprise de la déclaration du chef de l’Elysée devant le Parlement européen ne devrait pas vraiment être une surprise. Cette déclaration a, en fait, un fond culturel français et européen : l’oubli des racines religieuses de notre continent. Saint Jean Paul II l’avait déjà souligné avec une nette incisivité :
« En cherchant les racines les plus profondes de la lutte entre la “culture de la vie” et la “culture de la mort”, nous ne pouvons pas nous arrêter à l’idée perverse de liberté mentionnée ci-dessus. Il faut aller au cœur du drame vécu par l’homme contemporain : l’éclipse du sens de Dieu et de l’homme, typique du contexte social et culturel dominé par le sécularisme, qui, avec ses tentacules envahissants, ne manque pas parfois de mettre à l’épreuve les communautés chrétiennes elles-mêmes. Ceux qui se laissent contaminer par cette atmosphère entrent facilement dans le tourbillon d’un terrible cercle vicieux : en perdant le sens de Dieu, ils tendent à perdre le sens de l’homme, de sa dignité et de sa vie »[8].
A chaque femme et à chaque homme qui cultive l’urgence, l’irréductibilité de son propre sens religieux et de celui de l’histoire judéo-chrétienne de l’Europe, la tâche de reconstruire l’espace de liberté authentique pour tous où la vie de chacun peut être accueillie, protégée et promue. Un espace à défendre bec et ongles, à l’intérieur et à l’extérieur des parlements et des bâtiments gouvernementaux, pour notre propre bien et celui de nos enfants. Tout silence lâche est une responsabilité que nous n’assumons pas, une abdication de notre devoir de citoyen italien et européen.
[1] Pape François, 17 février 2016
[2] Pape François, 15 septembre 2021
[3] Gaudium et spes, n° 51
[4] Evangelium vitae n° 62
[5] 7 septembre 2007
[6] 5 avril 2008
[7] 12 mai 2008
[8] Evangelium vitae, n°21