IVG : « la dynamique des libertés individuelles relève avant tout du discours »

Publié le 23 Nov, 2023

Dans une tribune pour le journal La Croix, Clotilde Brunetti-Pons, juriste et professeure émérite de l’Université de Reims, décrypte les conséquences de la volonté d’inscrire l’avortement dans la Constitution française (cf. IVG dans la Constitution : un projet de loi présenté le 13 décembre).

« La protection de la liberté d’avoir recours à l’IVG étant déjà effective et protégée par la jurisprudence constitutionnelle, l’inutilité de la démarche souligne la dimension politique de la réforme dont la portée symbolique aurait, outre des retombées juridiques redoutées, un retentissement sociétal d’autant plus grand qu’il serait recherché », alerte la juriste.

Préserver un « équilibre » ?

« Notre système juridique, y compris la jurisprudence actuelle, ne consacre pas un « droit » à l’avortement mais une « liberté » des femmes de mettre un terme à leur grossesse dans les conditions prévues par la loi », explique le professeur. « La légalisation de l’IVG a été abordée sous l’angle de la liberté (et de la protection) de la femme et non pas sous celui du statut de l’enfant à naître qui serait sinon l’objet d’un droit », explique-t-elle. Or « une personne ne peut faire l’objet d’un droit ». « La proposition constitutionnelle votée par l’Assemblée aurait donc eu pour effet immédiat de réifier l’enfant à naître », analyse la juriste (cf. Le « droit à l’avortement » en chemin vers la Constitution).

Clotilde Brunetti-Pons appelle à assortir la formulation votée par le Sénat (cf. Avortement dans la Constitution : un sénateur fait cavalier seul) « d’ajouts prudents », notamment d’inscrire également dans la Constitution que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». « L’article 16 du code civil prendrait ainsi pleinement rang constitutionnel », affirme la juriste. « Ce complément permettrait de respecter l’équilibre sur lequel repose notre droit positif », estime-t-elle (cf. Jean-Marie Le Méné : “au fond de la loi Gaillot, il y a des motifs d’espérance”).

Les femmes, premières perdantes

En renonçant à présenter l’avortement « comme une exception au principe du respect de la vie dès son commencement »[1], « les femmes, tout d’abord, y perdraient », prévient le professeur.

En effet, la « libéralisation » de l’avortement en 2001 et 2022 a conduit à « supprimer les entretiens et l’assistance qui accompagnaient la prise de décision » (cf. De la loi “Veil” à la loi “Gaillot”). Or, « le plus souvent, l’IVG est subie, et l’après, douloureux », rappelle Clotilde Brunetti-Pons (cf. « Deuil caché » : « une réhabilitation de la souffrance » des femmes qui ont avorté). « La dynamique des libertés individuelles relève avant tout du discours, juge-t-elle, et néglige les réalités concrètes dont il ne faut pas pour autant cesser de tenir compte dans une optique de protection. »

Des répercussions sur le statut de l’enfant à naître « difficiles à endiguer »

Outre les conséquences pour les femmes, « les répercussions sur le statut de l’enfant à naître seraient difficiles à endiguer », prévient le professeur.

« L’un des progrès majeurs de la fin du XXe siècle consista à protéger juridiquement la personne de l’enfant quelles que soient les circonstances de sa naissance », rappelle Clotilde Brunetti-Pons (cf. Intérêt de l’enfant : le « sombre » bilan du quinquennat ; « Des enfants livrés aux aléas des volontés des adultes » : « la rançon d’une filiation fondée sur la seule volonté »). Or, « si l’enfant simplement conçu ne possède pas, avant la naissance, la qualité de personne, il est un être humain que la loi protège dès le commencement de sa vie ».

« Placer l’interruption de grossesse dans la norme suprême, a fortiori sans contrepoids, situerait l’enfant à naître à la traîne dans l’échelle des valeurs et ne tirerait pas les conséquences de sa nature humaine ».

 

[1] article 1er de la loi Veil 1975

Source : La Croix, Clotilde Brunetti-Pons (20/11/2023) – Photo : iStock

Partager cet article

Synthèses de presse

Canada : un juge empêche l’euthanasie d’une femme bipolaire
/ Fin de vie

Canada : un juge empêche l’euthanasie d’une femme bipolaire

Son conjoint avait initié un recours alléguant que le médecin qui a autorisé la procédure, l’a approuvée « par négligence ...
« Aide médicale à mourir » : le Québec autorise les demandes « anticipées »
/ Fin de vie

« Aide médicale à mourir » : le Québec autorise les demandes « anticipées »

« Le gouvernement Trudeau ne lancera aucune action judiciaire pour contester la loi québécoise » qui autorise les demandes « ...

 

Textes officiels

 

Fiches Pratiques

Bibliographie

Lettres