Les GPA commerciales sont autorisées en Russie depuis la chute du régime communiste. Mais comme dans d’autres pays ‘producteurs de bébés’, la crise sanitaire a mis en lumière les graves dérives de ce business. Suite aux nombreux scandales, un projet de loi pour interdire les GPA internationales a été déposé ce mois-ci au parlement russe. Betty Mahaur, pseudonyme de deux juristes engagés dans le droit de la famille et de la bioéthique, fait le point pour Gènéthique.
La Russie, un pays producteur de GPA
Alors que la Russie fut l’un des premiers pays au monde à autoriser les GPA commerciales, la législation russe pourrait évoluer vers un système plus restrictif qui de facto interdirait les GPA internationales avec la proposition de loi déposée en juin 2021 à la Douma d’Etat, la chambre basse du parlement russe[1]. La loi fédérale russe autorise la GPA depuis 1993, et on estime que c’est en 1995 qu’un enfant est né pour la première fois en Russie de GPA[2]. Depuis, et à l’instar d’autres pays aux législations peu regardantes en la matière, une véritable industrie de GPA composées de plus de 150 cliniques s’est développée en Russie[3].
La concurrence entre pays producteurs de GPA se fait sur le prix et les conditions d’accès. Et la Russie a des atouts à faire valoir sur ces deux volets. Les couples clients de GPA viennent des Etats-Unis, d’Italie, d’Espagne, de Chine ou des Philippines[4] attirés par des tarifs particulièrement attractifs, débutant à moins de 60 000 €[5] (contre plus de 100 000€ par GPA aux Etats-Unis). La jurisprudence russe a par ailleurs reconnu le droit aux femmes et aux hommes célibataires d’avoir recours à des GPA, là où d’autres pays comme l’Ukraine n’autorisent la GPA qu’aux couples mariés hétérosexuels et infertiles[6].
La crise sanitaire remet en question cette industrie
Aujourd’hui la Russie semble remettre en question son industrie de GPA internationales. Il s’agit d’une rupture nette avec la tendance observée ces dernières années vers plus de libéralisation sur ce marché.
Après des jurisprudences favorables aux célibataires ayant recours aux GPA dès 2009, une proposition de loi pro-GPA avait été déposé à la Douma en 2016 pour supprimer les dispositions permettant à la mère porteuse de garder l’enfant après l’accouchement[7]. Malgré le rejet de cette proposition de loi par les députés, une jurisprudence d’avril 2017 de la Cour Suprême russe a réduit les droits des mères porteuses à garder l’enfant qu’elles mettent au monde[8]. Les cliniques de GPA russes continuent depuis leur lobby. Le directeur général des cliniques Centre EKO Sergueï Lebedev nous rappelle ainsi que « la GPA est un aspect du tourisme médical que le président Poutine appelle à développer »[9].
Mais la crise sanitaire est passée par là et a rendu visible les dérives inévitables de ce business. Avec la fermeture des frontières, jusqu’à une centaine de bébés nés de GPA se sont retrouvés bloqués en Russie[10]. La GPA est une industrie à flux tendu[11], et aucune solution n’avait été prévue pour « stocker » les bébés en attendant que les couples viennent les récupérer. Si une trentaine de bébés commandés par des couples chinois ont été placés dans des orphelinats notamment à St Pétersbourg[12], d’autres ont simplement été gardés par des nourrices dans des appartements loués pour l’occasion par les cliniques. La qualité des soins prodigués y a été très variable et plusieurs bébés nés de GPA ont été retrouvés morts par les autorités locales en décembre 2019 ou en avril 2020[13]. Les autorités russes ont depuis ouvert des procédures pénales contre les cliniques et les médecins impliqués dans ces affaires[14].
L’interdiction des GPA internationales est une bonne chose pour la Russie et l’Europe
A la suite de ces drames, plusieurs députés et politiciens ont pris la parole pour dénoncer publiquement le système des GPA internationales en Russie. La vice-présidente de la Douma, Irina Iarovaïa, indiquait récemment que « la Russie ne saurait devenir une usine à enfants pour les étrangers »[15]. La proposition de loi déposée à la Douma fait explicitement référence à ces drames dans son exposé des motifs. Elle vise à interdire les GPA internationales en imposant à tout couple commanditaire d’avoir la nationalité russe au moment de la signature du contrat. Par ailleurs, tout enfant né de GPA aura la nationalité russe afin « de permettre aux autorités compétentes russes de réaliser un contrôle nécessaire sur le destin des enfants sortis du pays »[16] . La proposition de loi limite également l’accès à la GPA aux couples mariés et aux femmes célibataires qui ne peuvent avoir des enfants pour des raisons médicales.
En 2017, un projet de loi pour abolir toute forme de GPA avait été déposé en Russie, mais reporté sine die[17]. Cette fois-ci, le texte vise un objectif plus consensuel et plus atteignable au regard des dérives mis en lumière par la crise sanitaire. Le texte a reçu le soutien du Patriarche de l’Eglise orthodoxe russe Cyril qui a rappelé que la GPA « détruit l’unité familiale et devient une forme d’exploitation des femmes en besoins »[18], ainsi que d’Anna Kuznetsova, la haute représentante du Président de la Fédération de Russie pour les droits de l’enfant.[19] Le texte sera débattu à partir d’octobre 2021, après les élections parlementaires qui sont prévues le 18 septembre 2021. Si cette version du texte ne sera donc probablement pas adoptée en l’état, il est probable qu’elle le soit au cours des prochaines sessions. Les procédures pénales en cours contre les cliniques de GPA attirant à la fois l’attention médiatique et politique de la Russie sur ces sujets. Il est cependant à noter qu’Oksana Puchkariova, l’adjointe du comité en charge des questions de famille, des femmes et des enfants, responsable de l’analyse de cette proposition de loi, s’est formellement opposée à ce texte qui, selon elle, limite les droits constitutionnels « des couples, y compris qui ceux qui ne sont pas mariés, ainsi que des hommes célibataires qui souhaitent devenir pères à l’aide d’une mère porteuse »[20].
Si elle était adoptée, cette loi russe aurait des répercussions sur la France. Les ‘pays clients de GPA’ comme la France ont en effet exclusivement recours à des GPA réalisées à l’étranger en l’absence de production domestique. Par conséquent, le meilleur moyen pour rendre l’interdit de la GPA effectif en France serait que les ‘pays producteurs de GPA’ arrêtent les GPA internationales. Le Royaume-Uni, l’Inde, la Thaïlande ou le Cambodge ont déjà interdit les GPA internationales. En Ukraine aussi, des voix se lèvent pour les interdire. La Russie prendra-t-elle le même chemin ?
[1] https://sozd.duma.gov.ru/bill/1191971-7#bh_note
[2] https://theconversation.com/la-russie-ce-pays-ou-la-gestation-pour-autrui-est-legitime-72383
[3] https://www.lecourrierderussie.com/2020/06/les-bebes-confines-de-la-gpa/
[4] https://sozd.duma.gov.ru/bill/1191971-7#bh_note
[5] https://babygest.com/fr/gestation-pour-autrui-en-russie/ et https://www.surrogacyfrance.com/prix-de-la-gestation-pour-autrui-en-france.php
[6] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/02/en-ukraine-le-cote-obscur-de-la-gpa_6044887_3210.html
[7] https://theconversation.com/la-russie-ce-pays-ou-la-gestation-pour-autrui-est-legitime-72383
[8] https://www.lecourrierderussie.com/2020/06/les-bebes-confines-de-la-gpa/ et lien du journal officiel du gouvernement russe sur cet arrêt : https://rg.ru/2017/05/24/detiproishozhd-dok.html
[9] https://www.lecourrierderussie.com/2020/08/gpa-la-russie-prete-a-rouvrir-le-debat/
[10] https://www.lecourrierderussie.com/2020/06/les-bebes-confines-de-la-gpa/
[11] https://www.valeursactuelles.com/societe/coronavirus-une-centaine-de-bebes-nes-de-gpa-bloques-en-ukraine/
[12] https://www.lepoint.fr/monde/bebes-bloques-en-russie-les-autorites-envisagent-un-vol-humanitaire-22-09-2020-2393150_24.php
[13] https://sozd.duma.gov.ru/bill/1191971-7#bh_note
[14] https://www.lecourrierderussie.com/2020/06/les-bebes-confines-de-la-gpa/
[15] https://www.lecourrierderussie.com/2020/08/gpa-la-russie-prete-a-rouvrir-le-debat/
[16] Note explicative, page 7 https://sozd.duma.gov.ru/bill/1191971-7#bh_note
[17] https://theconversation.com/la-russie-ce-pays-ou-la-gestation-pour-autrui-est-legitime-72383
[18] https://rg.ru/2021/05/18/patriarh-kirill-prizval-zapretit-surrogatnoe-materinstvo-dlia-inostrancev.html
[19] https://iz.ru/1157496/2021-04-27/kuznetcova-nazvala-surrogatnoe-materinstvo-dlia-inostrantcev-bezobraziem