« La GPA est un marché mondial qu’il faut abolir internationalement »

Publié le 22 Oct, 2024

Sans se limiter à son périmètre national, l’Italie vient de voter une loi faisant de la GPA un « délit universel ». Bernard García Larrain, Directeur exécutif de la Déclaration de Casablanca (cf. Des experts de 75 pays demandent l’abolition de la GPA), rappelle que l’enjeu est l’abolition universelle de cette pratique. Entretien.

Gènéthique : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la Déclaration de Casablanca ?

Bernard García Larrain : La Déclaration de Casablanca part d’un constat et d’un besoin. Le constat est le suivant : la GPA est un marché globalisé, mondial, international. Il est inconcevable aujourd’hui de penser la pratique à l’échelle nationale, c’est-à-dire d’imaginer une GPA « à la française » ou « à l’italienne ». Dans ce marché, des femmes de pays pauvres vont prêter leur corps, louer leur ventre à des couples issus de pays développés (cf. Iran, Inde : la GPA pour payer ses factures). Le marché de la GPA, évalué aujourd’hui à 14 milliards de dollars, devrait atteindre 130 milliards de dollars dans 10 ans.

Partant de ce constat, l’objectif de la Déclaration de Casablanca est de promouvoir un traité international sur la GPA pour l’abolir, comme cela a pu être fait pour l’esclavage, sur le modèle d’accords tels que la convention des droits de l’enfant.

La GPA est une nouvelle menace contre la dignité de l’homme en général, de la femme en particulier et également de l’enfant spécifiquement. Notre objectif a, dès lors, été de rassembler un groupe interdisciplinaire. En effet de nombreuses questions se posent. Sur le plan juridique, elles vont concerner par exemple le droit d’accès aux origines, celui d’être élevé par ses parents, la dignité de la femme. La GPA soulève des questions sur le plan médical également, relatives à la santé de la femme, de l’enfant, que ce soit en termes de santé physique mais aussi psychologique. Sur le plan économique, il faut souligner que c’est un véritable marché, avec des avocats spécialisés, des cliniques, des agences. Et cette pratique interroge sur le plan sociologique : quelle société voulons-nous ? Mettre en avant une technique comme la GPA, c’est accepter de sélectionner des êtres humains, en fonction de caractéristiques génétiques, de leur sexe… Ainsi, le groupe d’experts, issus de 80 pays maintenant, a signé une déclaration très large, très générale, qui fait appel aux principes. Chacun peut arriver aux mêmes conclusions par le prisme de sa discipline.

La Déclaration de Casablanca a aussi une vocation transpartisane. La GPA n’est pas et ne doit pas être un sujet de « droite » ou de « gauche ». Les militants de la GPA essayent parfois de dénoncer leurs opposants comme conservateurs ou, à l’inverse, féministes radicales. Le sujet transcende les clivages politiques comme le droit à l’accès à l’eau ou à l’éducation. Dernièrement, on a pu le voir en Italie (cf. L’Italie fait de la GPA un « délit universel »), mais également au Parlement européen avec le vote en avril de la directive qui fait de l’exploitation de la GPA une forme de traite d’êtres humains (cf. “Exploitation de la GPA” : une forme de traite des êtres humains selon le Parlement européen), ou encore au Chili (cf. Chili : 8 députés de 8 partis demandent l’abolition de GPA). Il existe un consensus général, transpartisan.

G : Que s’est-il passé depuis la signature de la Déclaration de Casablanca ?

BGL : Beaucoup de choses se sont passées. Rappelons tout d’abord le vote de cette directive européenne, à l’occasion duquel nous avons été invités avec Olivia Maurel. Elle-même née d’une GPA, elle est porte-parole de la Déclaration de Casablanca (cf. « L’enfant né de GPA sait qu’il a un lourd prix sur sa tête »). Nous avons été conviés pour le jour du vote par le député européen François-Xavier Bellamy qui a promu très courageusement cette directive. Elle n’est pas parfaite mais constitue néanmoins un pas supplémentaire vers l’abolition de la GPA puisqu’elle est mentionnée dans un texte relatif à la traite des êtres humains, comme le mariage forcé ou d’autres atteintes à la dignité humaine.

Par ailleurs, de nombreuses personnes de différents pays ont adhéré à la Déclaration qui a été citée dans des publications académiques et dans la presse, à travers le monde.

Des événements ont également eu lieu aux Nations unies, à New-York en mars et à Genève en juin. Nous sommes intervenus au Parlement tchèque, au Parlement croate. Nous avons rencontré le Pape François qui s’est publiquement engagé pour l’abolition universelle de la GPA. Le cardinal Parolin a rappelé l’engagement du Saint-Siège au mois de septembre.

Nous avons également organisé la Conférence internationale pour l’abolition universelle de la maternité de substitution qui s’est tenue à Rome au mois d’avril. De nombreuses personnalités politiques de tous bords étaient présentes. Reem Alsalem, Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles aux Nations unies, était là, de même qu’un membre du Comité des droits de l’enfant, Velina Todorova, de nationalité bulgare. Un ancien membre du Comité y ayant siégé à deux reprises, Jorge Cardona Llorens, était également présent. Certains ont qualifié cet événement comme étant le plus important qui ait été organisé concernant l’abolition de la GPA.

G : Quel est votre regard sur la loi qui vient d’être votée en Italie ?

BGL : La loi doit encore être validée par le Conseil constitutionnel mais nous sommes très heureux de ce vote. En effet c’est une loi complète. La prohibition nationale, on le voit, ne marche pas. On le constate par exemple en France : il existe une promotion sur des sites internet (cf. GPA : un site internet « manifestement illicite »), dans des salons (cf. Wish for a baby : des GPA commerciales proposées à Paris). Des Français vont à l’étranger, en Ukraine, en Californie, pour y faire pratiquer des GPA (cf. GPA en Ukraine : deux naissances par semaine de commanditaires français).

Cette loi italienne est un pas de plus vers l’abolition universelle. En effet, en condamnant la GPA comme un « délit universel », les autorités italiennes se déclarent compétentes, dès lors qu’un citoyen italien est concerné. C’est une prise de conscience que l’interdiction au niveau national ne suffit plus et qu’une compétence pénale à l’échelle internationale est nécessaire dans quelques cas, comme les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre.

L’Italie de ce point de vue là est un exemple pour le monde. L’étape suivante est le traité international. Nous espérons que d’autres pays se joignent à ce mouvement.

G : Quelles sont vos prochaines actions ? Et vos attentes à l’avenir ?

BGL : Comme tous les combats importants pour l’humanité, pour la dignité de l’homme, cela prend du temps. Il n’est pas facile d’éclairer les consciences. Prendre le temps d’informer l’opinion publique sur ce qu’est la GPA, loin des « belles histoires » présentées dans la presse (cf. « France 2 nous a présenté un Walt Disney de la GPA »). En Argentine, on vient de découvrir un réseau de trafic d’êtres humains. Des femmes exploitées, des enfants argentins envoyés à l’étranger dans d’obscures conditions, pour répondre à la demande de couples ayant recours à la GPA.

Nos actions sont constantes. Nous sommes par exemple en train d’organiser un congrès international au Pérou sur les conditions de la femme latino-américaine et le marché de la GPA. Nous voudrions également organiser un autre événement aux Nations unies dans l’objectif de mobiliser un groupe d’Etats qui adhérerait à la Déclaration de Casablanca et serait disposé à travailler à l’élaboration d’un traité sur la GPA.

L’objectif est véritablement d’aboutir à un traité international, ou de réformer un traité international pour y inclure la GPA. Cela pourrait passer par le protocole sur la vente d’enfants qui s’applique déjà largement à la GPA, sans toutefois le spécifier explicitement, ou encore un traité relatif au trafic d’êtres humains.

Certains pays ne se sentent pas concernés par le sujet et pourtant tous le sont. Il est très facile avec les technologies actuelles de contacter une jeune femme en bonne santé résidant dans un pays vulnérable afin de lui proposer de porter un enfant pour un couple. De nombreux démarchages de mères porteuses passent par internet.

La bataille est rude, en raison des intérêts économiques en jeu, mais aussi en raison de la mentalité individualiste qui fait du désir d’enfant un « droit à l’enfant ». D’autant plus qu’il n’existe pas véritablement de barrières pour ce marché comme il en existe pour les procédures d’adoption. Nous sommes convaincus que la meilleure façon, politique, juridique, humaine, d’aborder la GPA, c’est par l’abolition. On ne peut pas envisager de la « réguler » – ce que voudrait la conférence de la Haye (cf. A La Haye, un groupe d’experts veut encadrer la GPA à l’échelle internationale) – comme on ne peut envisager de « réguler » l’esclavage. La GPA est un marché mondial qu’il faut abolir internationalement. C’est la pratique en elle-même qui est contraire à la dignité de l’homme.

Photo : Déclaration de Casablanca

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