La position pro-vie est « cohérente intellectuellement et inclusive envers les membres les plus fragiles de notre espèce »

Publié le 22 Juil, 2024

Matthieu Lavagna est un auteur-conférencier catholique français, travaillant dans le domaine de l’apologétique pour l’association Marie De Nazareth depuis 2021. Diplômé de mathématiques, de philosophie et de théologie, ses travaux concernent principalement la défense rationnelle de la foi catholique. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage Soyez rationnel, devenez catholique, ainsi que de Non, le Christ n’est pas un mythe. Libre réponse à Michel Onfray. Son dernier ouvrage, La raison est pro-vie, s’attaque au délicat sujet de l’avortement. Dans cet essai, Matthieu Lavagna, entend proposer des « arguments non religieux pour un débat dépassionné ». Il a accepté de répondre aux questions de Gènéthique.

 Gènéthique : Pourquoi avoir écrit ce livre ? A qui s’adresse-t-il ?

Matthieu Lavagna : Ce livre s’adresse aux personnes de bonne volonté cherchant honnêtement la vérité sur la question de l’avortement. J’ai choisi d’écrire cet ouvrage parce que l’avortement est un acte banalisé dans la plupart des sociétés modernes. Le nombre d’IVG est très important chaque année et l’on considère cette pratique comme étant de plus en plus anodine. On constate aussi que beaucoup de nos contemporains sont en général très mal informés sur cette question. Les faits scientifiques et biologiques concernant l’IVG sont souvent mal expliqués au grand public et, en pratique, les Français n’ont jamais vraiment entendu parler des arguments pro-vie. Ce livre se propose donc de servir à pallier ce manque d’informations pour instruire objectivement le lecteur sur ce sujet au plan scientifique et philosophique.

G : Est-il encore possible de débattre de l’avortement aujourd’hui ?

ML : Aux Etats-Unis le débat est encore possible car la liberté d’expression des citoyens est plutôt respectée. Malheureusement, il semble que cela soit très peu le cas en France où ce sujet est vraiment tabou. Plus personne (ou presque) n’en parle au niveau médiatique, et aucun politique n’ose le remettre en question. Dans la pensée moderne, oser remettre en cause l’avortement est le paroxysme d’une pensée fasciste et autoritaire, qui mérite tout de suite de se faire taxer de partisan d’« extrême droite ». Le débat rationnel est encore bien loin d’entrer dans la sphère publique.

G : Comment procéder pour rétablir un dialogue ? Y a-t-il des termes à proscrire ? Quelles sont les clés pour un débat dépassionné ?

ML : La méthode que je préconise est de partir de ce qui est commun aux deux positions, et de construire un raisonnement à partir de prémisses partagées par l’autre. Il y a en réalité un bon nombre de choses sur lesquelles les pro et les anti-avortement peuvent être d’accord : les faits scientifiques touchant aux procédures d’avortement ; les statistiques des avortements pratiqués chaque année, ainsi que les raisons qu’invoquent les femmes en général pour justifier leur avortement ; les faits scientifiques liés à l’embryologie et au développement fœtal (certains pro-choix les ignorent totalement, mais ces faits ne sont pas soumis à la controverse dans le débat académique sur l’avortement) ; l’usage de la raison : les deux camps reconnaissent en général que la raison humaine est un bon guide pour atteindre la vérité. Enfin, les gens ont, en général, un sens commun de la moralité. Même s’ils ne croient pas en Dieu, ils disent croire au moins aux « droits de l’homme » et à la notion de « dignité humaine ».

Tous ces points communs doivent servir de fondement au dialogue.

Lors d’un dialogue avec une personne favorable à l’avortement, n’hésitons pas aussi à poser « des questions bêtes » pour lancer la conversation. Ces questions peuvent paraître très simples, mais dès que notre interlocuteur essayera d’y répondre, cela nous permettra d’entrer directement dans le cœur du débat : qu’est-ce qu’un avortement ?, qu’est-ce qu’un bébé ?, qu’est-ce qu’un embryon ?, qu’est-ce qu’un fœtus ?, qu’est-ce qu’une grossesse ?, qu’est-ce qu’un être humain ?, qu’est-ce qu’une personne ?, qu’est-ce que l’avortement fait au fœtus ?, pourquoi est-ce immoral de tuer un bébé après sa naissance ?, pourquoi l’avortement est-il un choix « triste » ou « difficile » ?, que pensez-vous des « avortements tardifs »?, l’avortement devrait-il être autorisé en toutes circonstances et à n’importe quel stade de la grossesse ? Si non, pour quelles raisons ?, est-il « immoral » d’utiliser l’avortement comme moyen de contraception ? Si oui, pourquoi ?. Ou encore : si l’avortement n’est pas « immoral », alors pourquoi vouloir le rendre plus rare ? Est-ce uniquement pour des raisons économiques ? , y a-t-il un nombre d’avortements limite qu’une femme devrait pouvoir légalement avoir dans sa vie ? Si oui, pourquoi cette limite particulière ?, jusqu’à quel point pensez-vous que l’avortement devrait être légal et pensez-vous que cette limite est arbitraire ? Si non, expliquez pourquoi, et enfin, si l’enfant à naître avait le même statut moral que vous et moi, seriez-vous contre l’avortement ? Ces questions permettent de lancer la conversation et de chercher à comprendre la position de notre interlocuteur sans agressivité, ce qui permet de fluidifier le débat.

G : Quels sont les arguments en faveur de la défense de la vie ? Existe-t-il un argument principal ?

ML : L’argument principal que je développe dans le livre est le suivant : il est immoral (et il devrait être illégal) de tuer directement et volontairement un être humain innocent. Or, l’avortement tue directement et volontairement un être humain innocent. L’avortement est donc immoral (et devrait être illégal).

L’argument est logiquement valide, car il prend la forme d’un simple syllogisme. Cela signifie que si les prémisses sont vraies, la conclusion s’ensuit logiquement et nécessairement.

La première prémisse semble évidente. Elle est fondée sur la notion de dignité humaine. Le droit à la vie devrait être un droit fondamental chez les êtres humains, indépendamment de leur race, de leur sexe, de leur taille, de leur niveau de développement ou encore de leur statut social. La Déclaration des droits de l’homme ne dit pas : « Après un certain stade de développement physiologique, les êtres humains deviennent égaux petit à petit. » Au contraire, la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies (1948) reconnaît bien « la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables ». L’article 3 de la déclaration affirme : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. » Il n’y a pas besoin d’être religieux pour accepter cette prémisse. Il suffit d’adhérer à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

En ce qui concerne la seconde prémisse, il est évident que l’avortement consiste, par définition, à tuer délibérément un fœtus en vue de mettre fin à une grossesse. Or, il est possible de montrer que le fœtus en question est un être humain biologiquement en s’appuyant sur la science. Il suffit d’ouvrir n’importe quel manuel d’embryologie en médecine afin de constater que les scientifiques sont unanimes pour dire qu’à partir du moment de la fécondation, un organisme humain vivant indépendant est créé dans le corps de la mère avec un patrimoine génétique qui lui est propre. Par exemple le manuel L’être humain en développement affirme : « Un zygote est le début d’un nouvel être humain (c’est-à-dire un embryon). Le développement humain commence à la fécondation, le processus au cours duquel un gamète ou un spermatozoïde mâle […] s’unit à un gamète ou à un ovocyte femelle […] pour former une seule cellule appelée zygote. Cette cellule totipotente hautement spécialisée marque le début de chacun de nous en tant qu’individu unique. »

Ainsi, au moment de la formation du zygote, il existe un organisme humain individuel qui possède la totalité de son ADN. On peut alors connaître de façon très précise ce à quoi il ressemblera (couleur des yeux, couleur de ses cheveux, ainsi que l’ensemble de ses caractéristiques phénotypiques qui se retrouvent dans le génotype). Le fœtus est donc un être humain biologiquement, précisément parce qu’il s’agit d’un organisme vivant membre de l’espèce Homo Sapiens. Cet organisme génétiquement distinct se développe de manière continue en vue d’atteindre l’âge adulte. Le Comité judiciaire du Sénat américain reconnaissait d’ailleurs dès les années 80 que « les médecins, les biologistes et autres scientifiques sont d’accord pour dire que la conception est le début de la vie d’un être humain – un être vivant, membre de l’espèce humaine. Il y a un consensus écrasant sur ce point dans d’innombrables écrits médicaux, biologiques et scientifiques ».

C’est pourquoi les défenseurs de l’avortement sont bien obligés de reconnaître ce fait. Par exemple, Etienne-Emile Baulieu, célèbre propagandiste de la pilule abortive RU 486, déclarait en 1992 : « Oui, un zygote est un être humain vivant ». David Boonin, un des meilleurs défenseurs de la position pro-avortement admet lui aussi en toute franchise qu’« un fœtus humain est simplement un être humain à un stade très précoce de son développement ». Il en est de même pour Peter Singer, philosophe pro-choix mondialement connu : « il ne fait aucun doute que dès les premiers instants de son existence, un embryon conçu à partir de spermatozoïdes et d’ovules humains est un être humain ».

Ainsi, les défenseurs sérieux du droit à l’avortement, renseignés en matière de science, n’ont aucun problème à admettre que le fœtus est un être humain. Il n’y a aucun désaccord là-dessus dans le débat universitaire sur l’avortement. Le débat porte plutôt sur la question de savoir si tous les êtres humains ont le même droit à la vie, indépendamment de leur taille, de leur niveau de développement ou de leur degré de dépendance.

En dépit de ce constat, beaucoup objectent cependant que ce ne sont que des amas de cellules. Cet argument est si faible qu’on ne l’entend jamais dans le débat intellectuel sur l’avortement. En biologie, le terme « amas de cellules » se réfère à « un agglomérat de plusieurs cellules sans organisation ni unité ». Ce n’est pas du tout le cas de l’embryon qui, lui est un organisme complet et unifié qui ne fait que se développer en vue d’atteindre l’âge adulte si on lui donne assez de temps, de nourriture et un environnement adapté. Bien au contraire, si vous donnez assez de temps de nourriture et un environnement adapté à un amas de cellules vous n’obtiendrez jamais un être humain adulte précisément parce que ces cellules ne sont pas des organismes et n’ont donc pas la capacité interne à se développer en un membre mature de l’espèce humaine. Au contraire, un embryon a toutes ses parties qui se coordonnent pour former un être uni et organisé et animé par une activité autonome. C’est pourquoi même le docteur pro-avortement Thomas Verney rappelait qu’il fallait arrêter de mentir aux femmes en leur disant que l’embryon n’est qu’un amas de cellules : « Je crois que le choix d’avoir ou de ne pas avoir d’enfant devrait être laissé à la femme […] Mais je pense aussi qu’une femme doit être pleinement consciente que ce qui est en jeu n’est pas un amas de cellules, mais le début d’une vie humaine ».

G : Les promoteurs de l’avortement ont-ils des arguments rationnels à faire valoir ?

ML : Etant donné qu’il est impossible de nier que le fœtus est un être, biologiquement, beaucoup de défenseurs de la position pro-avortement cherchent à retirer au fœtus son droit à la vie en soutenant que, même s’il est un être humain biologiquement, il ne serait pas une « personne » (qui elles seules ont un droit à la vie). Pour cela, ils tentent de redéfinir le concept de « personne » de sorte à pouvoir exclure le fœtus. Ils peuvent alors faire appel à plusieurs critères disqualificateurs comme la viabilité, la sentience ou la conscience de soi pour chercher à exclure le fœtus de son droit à la vie. Comme je le montre dans mon livre, ces tentatives échouent.

Aujourd’hui, beaucoup de critères proposés par les philosophes pro-avortement excluent non seulement les fœtus, mais aussi les nouveaux nés. C’est pourquoi ces derniers sont aussi logiquement amenés à soutenir que l’infanticide n’est en fin de compte, pas si immoral que ça. Cette position peut paraitre choquante, mais elle n’est pas aussi minoritaire que l’on pourrait croire. Parmi les philosophes qui n’accordent pas le statut de « personne » aux nouveau-nés, on retrouve Tooley, Singer, Minerva, Hassoun, Kriegel, Räsänen, Schuklenk, Warren, McMahan et bien d’autres. Récemment, les philosophes italiens Giubilini et Minerva ont proposé de définir la personne comme « un individu capable d’attribuer à sa propre existence une certaine valeur ». Etant donné que les nouveau-nés ne sont pas encore capables d’« attribuer de la valeur à leur propre existence », nos deux philosophes italiens admettent explicitement que « le fœtus et le nouveau-né ne sont pas des personnes dans le sens d’un sujet avec un droit à la vie », et ils en concluent logiquement que « tuer un nouveau-né devrait être autorisé dans tous les cas où l’avortement est autorisé, y compris les cas où le nouveau-né n’est pas handicapé ».

Peter Singer, lui, ira jusqu’à soutenir que le nouveau-né a moins de valeur intrinsèque que des animaux : « Si le fœtus n’a pas le même droit à la vie qu’une personne, il semble que ce soit aussi le cas pour le nouveau-né. […] La vie d’un nouveau-né a moins de valeur que celle d’un cochon, d’un chien ou d’un chimpanzé ». C’est pourquoi il admet que les nouveau-nés ne sont pas encore des personnes, et préconise de rendre l’infanticide légal. On lui avait d’ailleurs posé la question : « Tueriez-vous un bébé handicapé ? ». Il avait alors répondu : « Oui, si c’était dans l’intérêt du bébé et de la famille dans son ensemble. Beaucoup de gens trouvent cela choquant, mais ils soutiennent le droit d’une femme à avorter. Un point sur lequel je suis d’accord avec les opposants à l’avortement est que – du point de vue de l’éthique plutôt que de la loi – il n’y a pas de distinction nette entre le fœtus et le nouveau-né. »

Bien que la plupart ne poussent jamais la logique si loin, une position pro-avortement cohérente se doit de défendre également l’infanticide, car il est impossible de donner une définition cohérente et non arbitraire du concept de « personne » qui inclut les nouveau-nés tout en excluant le fœtus. La position pro-vie, au contraire, est cohérente intellectuellement, et inclusive envers les membres les plus fragiles de notre espèce. Elle ne discrimine aucun être humain de son statut de personne sur la base de critères « fonctionnalistes ». Pas besoin d’être fort, grand, très intelligent, très développé, indépendant, ou dans un environnement particulier pour être une personne avec une dignité propre et faire partie de la famille humaine. Si le nouveau-né doit être traité avec amour et dignité, l’être humain prénatal mérite tout autant d’être traité avec le même respect.

G : Alors que la liberté de recourir à l’avortement a été inscrite dans la Constitution française, pensez-vous que des évolutions législatives soient encore possibles ?

ML : Avec la constitutionnalisation de l’IVG, je suis bien conscient que l’abolition de l’avortement ne sera pas pour demain, mais cela ne doit pas nous empêcher de lutter au niveau culturel et intellectuel (cf. La France inscrit l’avortement dans sa Constitution. Et ensuite ?). Même si notre génération ne verra malheureusement pas l’avortement aboli, nous le faisons pour les générations à venir. L’exemple des Etats-Unis est tout à fait frappant à ce sujet. Les Américains ont pratiqué des dizaines de millions d’avortements depuis 1973, et ils ont légalisé les pires méthodes d’avortement dans les années 90. Pourtant, la jurisprudence Roe vs. Wade a enfin été abolie (cf. Etats-Unis : « L’annulation de « Roe » rendra la politique d’avortement au peuple »). C’est une immense victoire pour le mouvement pro-vie, et cela nous montre que notre cause n’est pas perdue. A nous de prendre exemple sur nos amis américains et d’œuvrer pour la défense des plus faibles en France.

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