Mercredi 28 juin, une table ronde sur la prise en charge de la douleur se tenait devant la Commission des affaires sociales du Sénat. Le même jour, la commission rendait son rapport sur la fin de vie (cf. « Aide active à mourir » : le Sénat dit non). Devant les sénateurs trois intervenants : le Dr Valérie Ertel-Pau de la Haute autorité de santé (HAS), le professeur Valéria Martinez, présidente de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), et le Dr Marc Lévêque, formé en Belgique et au Canada, qui exerce la neurochirurgie et l’algologie [1] à Marseille après avoir été praticien à la Pitié Salpêtrière.
Le 3 avril dernier, lors de la clôture de la convention citoyenne sur la fin de vie, le président de la République annonçait le plan décennal national de prise en charge de la douleur et des soins palliatifs (cf. Fin de vie : un processus construit pour aboutir à légaliser l’euthanasie ?). Après « 10 ans d’attente », déplore le Pr Valéria Martinez, qui reste prudente. Dans quelle mesure le plan déclinera-t-il des mesures concrètes pour la prise en charge de la douleur tout au long de la vie ?, interroge-t-elle (cf. Plan décennal soins palliatifs, douleurs et fin de vie : renforcer la médecine de la douleur). Car aucun plan douleur n’a été déployé depuis 2012, le 4e plan n’ayant jamais vu le jour, dénonce le professeur.
Pourtant la douleur est un « drame individuel » autant qu’« fléau national », selon les mots du Dr Marc Lévêque : un adulte sur cinq est touché. Elle est la première cause de consultation chez le médecin.
L’accès aux thérapeutiques
Bien que la douleur chronique soit un sujet spécifique, des synergies possibles sont possibles avec les soins palliatifs indique le Pr Martinez, notamment en termes d’accès aux thérapeutiques.
Le médecin mentionne la neuro-modulation qui peut être utilisée en cancérologie pour traiter les douleurs réfractaires, ou encore l’analgésie intrathécale qui consiste à administrer les antalgiques au plus près de la moelle épinière afin de diminuer les doses délivrées d’un facteur 300 précise le Dr Lévêque. Cela permet de préserver la relation dans les derniers jours « si précieux » du patient. Seul un patient sur 10 peut en bénéficier à ce jour, avec des disparités territoriales. Pour la douleur chronique, ce sont 3 patients sur 100 qui peuvent avoir accès à un centre spécialisé. Seuls 15 d’entre eux proposent une prise en charge pédiatrique.
Un besoin de reconnaissance
Manque de médecins formés, manque de connaissances, manque de valorisation financière de ces actes. Il y a beaucoup à faire.
La douleur doit devenir une spécialité médicale, plaident les praticiens. Comme pour les soins palliatifs, les futurs médecins y sont très peu formés : de 30 à 40 heures au cours de leur cursus. Or, la douleur chronique nécessite une expertise, de prendre du temps. Le niveau d’anxiété, de dépression sont aussi évalués.
« Quand on se dirige vers la médecine, c’est pour soulager la souffrance », témoigne Marc Lévêque. « Mais cette spécialité risque de mourir avant d’être née », prévient-il.
Le mirage du cannabis médical
Interrogée par les sénateurs Laurent Burgoa (LR) et Chantal Deseyne (LR) sur le potentiel du cannabis médical, Valéria Martinez rappelle que l’expérimentation en cours vise à vérifier la faisabilité de la délivrance de ce traitement, mais n’en évalue pas l’efficacité, ce qui nécessiterait une comparaison avec l’effet placebo notamment (cf. Cannabis « thérapeutique » : une expérimentation dénoncée par les Académies de médecine et de pharmacie). Le sujet dépasse la problématique médicale, estime le professeur qui indique que la substance n’est pas la panacée : un patient sur 10, sur 11, serait soulagé selon de précédentes études (cf. Utilisation du cannabis médical : seuls 10% des patients souffrent moins). Contre 1 sur 2 par la neuro-modulation. Des méta-analyses ne montrent pas de différence avec le placebo, indique de son côté Marc Lévêque (cf. Cannabis médical : pas d’amélioration pour les patients atteints d’un « cancer avancé »).
L’algologue craint quant à lui que « cela mette le trouble dans la prise en charge de la douleur chronique ». Car « la douleur ne se prouve pas, elle s’éprouve ». Or le caractère addictif du cannabis pourrait créer le trouble chez le praticien : la demande de cannabis est-elle justifiée, la douleur est-elle réelle ?
La question récurrente de la fin de vie
Les spécialistes ont aussi été interrogés sur la sédation profonde et continue par la sénatrice Annick Jacquemet (UDI). Pour le professeur Valéria Martinez, un meilleur accès à différentes techniques pourrait diminuer la demande de sédation profonde.
A l’occasion de cette question, le médecin cite à nouveau l’analgésie intrathécale, ou encore la neurolyse de certains ganglions. Recommandées par des sociétés savantes, elles le sont aussi par la HAS qui a travaillé sur les antalgies rebelles en 2018 et 2020, précise Valérie Ertel-Pau. Mais les patients en fin de vie ont-ils pu avoir accès à ces techniques ?, interroge le Pr Martinez.
Elle rappelle les faits : 150 000 patients meurent de cancer tous les ans. Parmi eux, 4500 ont des douleurs réfractaires et pourraient bénéficier de ces techniques, mais seules 300 pompes intrathécales sont posées. Trente médecins en France peuvent le faire.
Sans possibilité de proposer un soulagement efficace de la douleur, en raison des carences de l’offre de soins, il existe une crainte déclare Marc Lévêque. Celle de « cette solution de facilité » qui serait de « mettre fin à la vie alors qu’on pourrait mettre fin aux souffrances » (cf. “Ne dévoyons pas les soins palliatifs”).
[1] spécialisation dans la prise en charge de la douleur
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