Dans une interview accordée à Sciences Critiques et publiée le 3 janvier, Régis Aubry, chef du service de soins palliatifs du CHU de Besançon et rapporteur de l’avis 140 du CCNE sur « les leçons de la crise sanitaire et hospitalière » (cf. Avis du CCNE : fonder les soins sur l’éthique), explique les méfaits de la « technicisation » de la pratique soignante au détriment de la relation.
« Le temps des professionnels ne croise plus, ou de moins en moins, le temps des malades »
Il constate que les aspects scientifiques et techniques de la médecine prennent davantage le pas sur la partie clinique et relationnelle du soin et de la médecine. « Le temps de l’écoute de la souffrance des malades est en effet un temps qui a tendance à s’estomper au profit de la technique » note-il. Or, « ce temps est essentiel. La personne malade est une personne experte (…), experte d’elle-même » explique-t-il. En effet, la parole de la personne malade est considérée comme « un outil de soin » : c’est par elle que « la sémiologie médicale s’est développée ». Cette écoute favorise l’accompagnement des personnes et peut conduire à l’acceptation de la maladie grave voire mortelle.
Mais, la communication concerne aussi les professionnels de santé entre eux. « L’action médicale juste doit être le fruit très fréquemment de discussions préalables avec le patient et entre professionnels concernés, de métiers et de formation différents » précise-t-il en soulignant les bénéfices du travail en interdisciplinarité. Cela permet de « croiser les regards sur un sujet complexe, associer la personne malade, mais associer également des professionnels de santé », une « nécessité pour apporter la réponse la plus adaptée, la plus ajustée, à la fois à la maladie mais, surtout, à la personne dans son environnement ».
Une rupture de confiance ?
Ce manque d’écoute contribue à briser la confiance entre le malade et le professionnel de santé. Or, c’est « le nœud gordien de l’exercice du soin ».
Cette rupture existe aussi du côté des professionnels de santé. Lyse Langlois, une chercheuse canadienne, nomme cela la « souffrance éthique ». Cette rupture du lien avec les malades « interroge la question du sens de leur métier, de ce que soigner veut dire ».
Refonder le système de santé ?
Les « humanités médicales » comme l’apprentissage de l’écoute, du débat, de la réflexion, qui ont été évincées de la formation doivent être revalorisées et constituer « un levier essentiel pour la réforme du système de soins ».
La place des acteurs du système de soins doit être reconsidérée car « il n’y a pas de hiérarchie de valeur en éthique ». Chaque personne a un regard différent sur la question éthique posée de telle sorte que « la hiérarchie (…) avec, du côté des professionnels de santé, le médecin au sommet et, du côté des organisations, les directeurs d’établissements en haut, doit être repensée ».
Ainsi, le CCNE promeut « une réforme profonde des organisations en santé, avec une participation active des malades et des acteurs du soin au niveau de la gouvernance du système » conclut-il.
Source : Sciences Critiques, Régis Aubry (03/01/2023)