La Convention citoyenne sur la fin de vie a débuté le week-end dernier. Les 185 participants tirés au sort seront mobilisés à neuf reprises trois jours durant, jusqu’au mois de mars.
Une consultation sans enjeu véritable ?
« Je suis convaincu » qu’un « débat apaisé “est possible” » a déclaré Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE). L’organisateur de la convention promet aux participants : « Je me porte garant que votre parole sera prise en compte ».
Mais lors de cette première session, Elisabeth Borne a tenu à rappeler en introduction qu’il reviendra à la représentation nationale de trancher. « Votre avis sera notre boussole, précieuse, mais ce sont bien les élus de la nation qui endosseront la mission, confiée par la Constitution, de décider de la loi, a abondé Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale. Vous êtes libres. Les parlementaires aussi. »
Des interventions militantes
Au cours du week-end, les participants ont assisté à différentes interventions. Ils ont entendu l’ancien député Alain Claeys sur le cadre législatif existant (cf. Alain Claeys : sédation, aide à mourir, euthanasie ?), ou encore Jean-François Delfraissy venu présenter le dernier avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qu’il préside, sur le sujet (cf. Audition au Sénat : le président du CCNE justifie le suicide assisté).
Deux représentantes de l’association Dignitas sont venues exposer le système suisse qui autorise le suicide assisté (cf. Suicide assisté : Dignitas devant le Conseil d’Etat français). Pour la Belgique où l’euthanasie est dépénalisée, c’est le Dr Corinne Vaysse-van Oost qui s’en est chargée. « Leur a-t-elle dit, comme à moi ce jour-là, qu’elle avait euthanasié une petite dame de 90 ans qui avait perdu la vue et que la perspective d’aller en maison de repos terrorisait ? », interroge l’avocat Erwan Le Morhedec sur twitter.
Des « ateliers thématiques » ont par ailleurs permis à ces citoyens « de se familiariser, entre autres, avec la notion de soins palliatifs » (cf. Soins palliatifs : un rapport commandé à la Cour des Comptes). Ce qui a laissé Laura et Martial sur leur faim : « On aimerait aller voir une unité de soins palliatifs, approfondir le sujet avec des médecins et, pourquoi pas, entendre ceux d’entre nous qui ont été confrontés à la fin de vie d’un proche », indiquent-ils.
Toujours lors de cette « phase d’appropriation et de rencontres », les participants à la convention ont « rendez-vous vendredi prochain pour trois jours de rencontres avec les grandes religions et les personnels soignants ».
L’inquiétude monte du côté des soins palliatifs et des EHPAD
Mais le lancement de cette convention inquiète. Elle « fait surgir une épée de Damoclès sur la tête des résidents d’EHPAD », estiment les médecins coordonnateurs en EHPAD dans un communiqué. L’euthanasie ou le suicide assisté pourrait s’imposer dans ces structures craignent-ils, alors qu’elles « ne disposent pas d’assez de moyens pour assurer des soins palliatifs auprès de tous les résidents »[1].
« Dans un moment où réforme des retraites et coût de la dépendance entrent en collision avec le débat sur la fin de vie, où la pression sociale se fait plus forte que jamais sur nos aînés pour qu’ils soient des éléments “contributifs” à notre société, comment peuvent réagir les personnes les plus précaires et les plus pauvres ? », alertent de leur côté Alain Villez et Yann Lasnier, président et délégué général de l’association les Petits Frères des Pauvres. « 530 000 aînés sont en situation de mort sociale » soulignent-ils. « Nous entendons déjà nombre des personnes que nous accompagnons estimer qu’elles sont un poids pour la société, insistent-ils. Comment ne pas craindre qu’elles envisagent l’ouverture d’une aide active à mourir comme une forme d’échappatoire à une situation de détresse qui peut être avant tout sociale ? » (cf. Canada : l’élargissement sans limite de l’« aide médicale à mourir »)
Donner la parole à ceux qui sont confrontés à la fin de vie
La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) appelle à avoir une « vision complète des expériences internationales », et à « donner la priorité au réel », renouvelant son invitation à « accueillir en immersion les citoyens sélectionnés ». Car « réfléchir entre citoyens en bonne santé sur des situations de fin de vie est une chose, confronter ses convictions et ses interrogations aux situations réelles en est une autre ». Le Cese « ne devrait pas reprendre tel quel » la proposition.
La SFAP rappelle par ailleurs la « légitimité spécifique » des accompagnants.
Dans une tribune pour le journal Le Figaro, le « Collectif francilien » qui accompagne des personnes en fin de vie veut alerter sur les risques que ferait courir au monde palliatif l’irruption de l’euthanasie « dans cet environnement entièrement consacré aux moments qui restent à vivre ». « Des risques irréversibles et croissants, à en juger par ce que nous confient nos confrères étrangers », soulignent-ils.
« Nous avons à cœur d’affirmer haut et fort notre opposition à une évolution de la loi qui obligerait chaque personne vulnérable à quelque étape de son parcours à s’interroger sur la valeur de sa vie », écrivent dans une autre tribune, pour le journal Marianne, des représentants de bénévoles d’accompagnement en soins palliatifs. « Face à la peur, aux angoisses de mort, n’est-il pas plus essentiel de prendre le temps de les entendre plutôt que de les anticiper ?, interrogent-ils. Nous sommes témoins chaque jour qu’un désir de mort est bien différent d’une demande de mort. »
[1] Le collectif est également préoccupé la mise en œuvre de directives anticipées. « L’application d’une directive anticipée rédigée avant l’apparition de leur maladie leur retirerait le droit de pouvoir changer d’avis si cette directive devait être appliquée au prétexte que leur vie ne serait plus digne », s’inquiètent ces médecins confrontés à de nombreux résidents souffrant de maladies neurodégénératives.
Sources : La Croix, Antoine d’Abbundo (11/12/2022) ; France Info (09/12/2022) ; France Info, Alice Galopin (09/12/2022) ; Hospimedia, Jérôme Robillard (09/12/2022) ; Le Figaro, Tribune collective (09/12/2022) ; Marianne, Tribune collective (09/12/2022) ; La Croix, Alain Villez et Yann Lasnier (10/12/2022)