Alors que le projet de loi visant à légaliser l’« aide active à mourir » doit être remis au président de la République à la fin du mois de septembre, les acteurs de la prévention du suicide s’inquiètent.
Pour le professeur Michel Debout, psychiatre et membre de l’Observatoire national du suicide, « la loi ne peut pas envoyer deux messages différents en même temps ». La prévention du suicide consiste à prendre en compte la souffrance « au point de ne pas supporter le jour d’après », avant le passage à l’acte, rappelle le médecin. Or « avec une loi qui autorise le suicide assisté, on prend le risque que certaines personnes en souffrance l’envisagent comme une issue ».
Des taux toujours élevés
Le taux de décès par suicide a baissé ces dernières années, mais « les chiffres restent préoccupants et reflètent une souffrance majeure chez de nombreux Français » juge le ministère de la Santé. Dimanche dernier était la Journée mondiale de la prévention du suicide. En France, 10.000 personnes décèdent chaque année après avoir attenté à leur vie. Il s’agit d’un des taux les plus élevés d’Europe. Les tentatives avoisinent quant à elles le nombre de 200.000, en augmentation elles.
Les soignants, « premiers acteurs de la prévention », « ne peuvent pas être chargés d’aider des patients à en finir », plaide Michel Debout, se défendant de toute « position philosophique ou morale ». « Je ne juge en aucun cas le passage à l’acte suicidaire. Mais le suicide ne peut être que médicalement évité et non assisté », affirme le psychiatre.
Le choix des mots
La ministre déléguée aux Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a déjà indiqué privilégier l’expression de « mort choisie » pour éviter l’utilisation du terme « suicide ».
« Il faut faire très attention à écarter les demandes suicidaires du cadre de l’aide active à mourir », insiste le professeur Pierre-François Perrigault, président du comité éthique de la Société française d’anesthésie et de réanimation. « On compte 25 décès pour 700 tentatives de suicide quotidiennes. Ces chiffres montrent bien l’ambivalence face à la mort », souligne-t-il.
« Une déflagration pour ceux qui restent »
Pour Marie Launay dont le mari s’est suicidé en 2016, la laissant avec leurs cinq enfants, « il ne faut pas occulter la douleur pour les proches d’une mort “choisie” ». « Une déflagration pour ceux qui restent. »
« Un message de prévention du suicide et une loi qui l’autorise ne sont pas compatibles, estime-t-elle. La contagion de ce message m’effraie » (cf. Dépénaliser le suicide assisté augmente le nombre de suicides). « Pour les familles endeuillées, une loi sur le suicide assisté serait une “double peine” », affirme la sexagénaire.
« Nous ne sommes pas que des individus atomisés, rappelle Faroudja Hocini, psychiatre-psychanalyste, chercheuse associée à la chaire de philosophie à l’hôpital Sainte-Anne, et signataire d’une tribune sur le sujet. Toute loi envoie un message sur l’avenir, à l’ensemble de la société, et plus particulièrement aux plus vulnérables. »
« En psychiatrie, nous ne pouvons pas rentrer dans une politique de l’offre et de la demande, insiste le médecin. L’interdit de tuer garantit la sécurité de la relation entre patients et soignants et nous permet d’être inventifs pour imaginer des stratégies de soins afin d’aider ces patients plutôt que d’appuyer sur l’interrupteur. » (cf. « Aide active à mourir » : les psychologues inquiets)
Source : Le Figaro, Agnès Leclair (11/09/2023) – Photo : Pixabay