« La France doit être consciente des risques liés au chemin dans lequel elle s’engage ». Alors qu’un projet de loi sur la fin de vie est annoncé d’ici la fin de l’été, Theo Boer, professeur d’éthique de la santé et ancien membre d’un comité d’examen de l’euthanasie du Gouvernement néerlandais, sonne l’alerte dans une tribune publiée par Le Figaro.
Un changement dans la relation médecins-patients
En s’engageant dans cette voie, le Gouvernement devra décider s’il entend légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté. « Ce choix est d’une importance capitale » prévient Theo Boer.
Selon lui, « l’euthanasie, bien plus que le suicide assisté, affecte le travail, la conscience professionnelle et l’image de la médecine ». « Si tuer fait partie du travail normal d’un médecin, cela change le type de relation que les médecins ont avec les patients en fin de vie, en exigeant une solution médicale pour des problèmes non médicaux tels que la solitude ou le sentiment d’inutilité », précise-t-il (cf. Euthanasie : le médecin ne peut administrer un produit létal selon l’Ordre des médecins).
Un deuxième point à trancher sera de savoir si l’euthanasie entrera dans le Code pénal pour y introduire « une exception à la règle selon laquelle tuer est un crime ». Si tel est le cas, elle sera progressivement considérée comme un droit ou « une pratique médicale normale » alerte Theo Boer.
C’est ce qui s’est passé aux Pays-Bas, mais aussi au Canada où les médecins sont désormais tenus d’informer les patients qu’ils remplissent les conditions pour une euthanasie. Ceux qui refusent de le faire doivent se justifier, et sont soumis à des pressions affirme-t-il.
« Jusqu’à 15 % des décès sont dus à l’euthanasie »
Enfin, le Gouvernement devra aussi décider quels critères il entend fixer. Qui pourra être « éligible » ? Qui pourra décider ? Et qu’en sera-t-il des médecins ? Autant de questions auxquelles il faudra répondre. « Il est clair qu’il n’existe pas de critère qui ne soit pas tôt ou tard perçu comme injuste et discriminatoire » prévient Theo Boer (cf. Pays-Bas, Belgique, Suisse… L’incontrôlable « pente glissante » de l’euthanasie).
Lorsque l’euthanasie a été légalisée aux Pays-Bas, l’ancien contrôleur indique qu’il était « d’abord convaincu que nous avions trouvé le juste équilibre entre la compassion, le respect de la vie humaine et celui des libertés individuelles ». Mais, au fil des années, il s’est aperçu que « ce qui est perçu comme une opportunité bienvenue par ceux qui valorisent l’autodétermination devient rapidement une incitation au désespoir pour d’autres » (cf. Pays-Bas : des personnes euthanasiées seulement en raison de leur déficience intellectuelle).
Le nombre d’euthanasies est ainsi passé de 2000 en 2002 à presque 10.000 aujourd’hui. « À certains endroits des Pays-Bas, jusqu’à 15 % des décès sont dus à l’euthanasie » relève même Theo Boer.
« L’un des choix les plus déshumanisants »
Face à ce paradoxe, l’ancien contrôleur affirme finalement que « dans une société où l’aide à mourir est possible, les personnes sont confrontées à l’un des choix les plus déshumanisants : est-ce que je veux continuer à vivre ou est-ce que je veux mettre fin à ma vie ? » (cf. Handicap, dépression, pauvreté: l’aide médicale à mourir se généralise au Canada) .
« Restez vigilants » avertit Theo Boer. Si l’« aide à mourir » faisait partie du système de santé, « cela saperait la détermination de la société à porter assistance aux plus vulnérables, et inciterait à baisser les bras. Le visage de la médecine serait radicalement altéré » prévient-il (cf. Loi euthanasie : le renoncement à l’accompagnement en fin de vie ?).
Source : Le Figaro, Theo Boer (23/06/2023) – Photo : Pixabay